Défi Premier roman.
Brillant comme l'amour: l'écrivain genevois Ivan Salamanca signe avec "En état de luire" un premier roman travaillé, à trois voix, où se glisse la vie de personnages simples, dans un cadre quasi intemporel.
Trois voix, trois regards, un triptyque en un seul livre: on pourrait voir ici trois courts romans en un, tournant autour d'un seul amour. Il n'est certes pas évident de trouver immédiatement ses marques dans ce récit, dont le début privilégie l'allusion et le style plutôt que de mettre le lecteur à l'aise. La première partie a du reste les allures d'un puzzle désordonné, ce que suggèrent les numéros de chapitres, qui ne sont pas dans l'ordre; il y a même des bis, pour parachever un trouble qui rend l'oeuvre peu évidente à suivre.
On reconnaît plus distinctement les voix du Pépé, qui hante la deuxième partie "Les petits éboulements", et de la femme, celle qui joue du piano et a aussi aimé - justement la narratrice de la première partie. Ces deux parties, la première et la dernière, semblent se faire écho: elles brillent de plus d'un passage où les corps exultent, l'auteur exprimant avec justesse, dans une très belle écriture soucieuse du rythme - brièveté des chapitres, longueur des phrases - les moments d'intimité partagée. Et puis, des lettres permettent à d'autres voix encore d'émerger.
Ce n'est que progressivement que l'on découvre l'univers dans lequel évoluent les personnages mis en scène. Un univers non urbain, où les gens se livrent difficilement, ce que l'auteur souligne volontiers: la question du "nous contre eux", du campagnard face au citadin prié de s'intégrer, est posée - il est permis d'y voir, de loin, une allusion à l'immigration, thème d'une brûlante actualité. Progressivement, on observe les personnages masculins exercer leur métier de briquèterie et de tuilerie. Styliste exigeant avec lui-même, l'écrivain ménage des moments très concrets qui servent de repère au lecteur.
Et puis il y a Paul, qui se présente comme la figure dansante de ce roman. Surtout, c'est celui qui invente des mots, le jeune citadin qui - justement - doit trouver sa place dans un monde nouveau, bien réglé, où il a décidé de s'installer. Le lecteur ressent une tendresse particulière pour lui. Il s'éteint au terme de la première partie, mais son aura subsiste sur tout le roman, la troisième partie décrivant même, de manière délicate, ses funérailles vues par une femme émue.
On l'a compris, "En état de luire" est un roman qui se mérite, dont le style empreint de poésie s'avère difficile d'accès, un peu comme un chemin de montagne escarpé. Que le lecteur fasse l'effort de s'y plonger, cependant, et il y trouvera de quoi faire son bonheur tout au long d'une histoire d'amour éperdue et atypique.
Ivan Salamanca, En état de luire, Gollion, InFolio, 2016.