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9 décembre 2016 5 09 /12 /décembre /2016 21:51

Roubaty Caractères

Lu par Francis Richard.

Le site de l'éditeur, le blog de l'auteur.

Défi Premier roman.

 

A lire le titre du premier roman du jeune écrivain fribourgeois Bastien Roubaty, on pourrait penser aux fameux "Caractères" de La Bruyère. Ceux-ci sont cependant absents de ce livre, "Les Caractères", qui revendique plutôt l'héritage du vingtième siècle littéraire, assorti d'une certaine lutte des classes. Des casses, voudrait-on même dire, pour reprendre le langage des imprimeurs. Et qu'on ne se fie pas à ces quelques mots, ni à la couverture, un poil rebutante à force de grisaille, signée Camilla Maraschini: "Les Caractères" de Bastien Roubaty, c'est haut en couleur.

 

L'auteur installe une ambiance qui, avec constance, évoque le surréalisme décalé d'un Boris Vian, celui de "L'Ecume des jours" ou, dans une certaine mesure, de "Vercoquin et le plancton". Quelques aspects sont particulièrement voyants, à l'instar d'un personnage nommé Chloé Demiton, musicienne envoûtante, dont le prénom rappelle celui de la compagne de Colin dans "L'Ecume des jours". Il y en a d'autres aussi, comme la distance installée entre une classe privilégiée qui écoute du jazz et vit de manière finalement déconnectée ("Il avait fait un tour à bicyclette avec Monsieur Gordy à travers les petits jardins si plein du charme des pauvres gens,...", p. 12), et les travailleurs, déshumanisés et relégués dans les sous-sols. Enfin, comme dans certaines pages de Boris Vian, un soupçon d'érotisme ne saurait manquer. Le romancier a bien retenu la leçon!

 

Reste que ce dernier va plus loin que le simple décalque d'un auteur surréaliste fameux en nommant son personnage principal Anis Sallymara - un nom qui renvoie immanquablement à Raymond Queneau et à la littérature potentielle. Alors qu'on soit au clair: "Les Caractères" n'est pas un roman expérimental, cherchant à identifier au fil de la plume des potentialités insoupçonnées. Mais il est possible de noter qu'il s'inscrit dans une recherche d'innovation littéraire, en rendant par exemple poreuses les frontières entre le roman et ce genre trop peu reconnu qu'est le théâtre. De manière plus nette encore, l'auteur n'hésite pas à créer des images surprenantes, voire à créer des mots pour dire quelque chose de nouveau et de surprenant. Les néologismes ne ressemblent à rien de connu parfois, et pourtant, ils sont évocateurs et sonnent juste... L'auteur sait-il par ailleurs que le président actuel de l'Oulipo, l'écrivain Paul Fournel, est aussi un féru de vélo? Cela donnerait un supplément de sens, sous forme de clin d'oeil, au personnage fictif du cycliste Marcel Cadran, devenu ministre dans "Les Caractères" (et dont le nom fait penser à celui d'un boxeur fameux qui a bel et bien existé... ah, l'art de l'onomastique à double fond!).

 

Derrière ce qui pourrait paraître un aimable amusement, se cache une réflexion sérieuse sur la lutte des classes. D'un strict point de vue politique, celle-ci, dans sa vision strictement manichéenne, paraît dépassée à plus d'un égard. Mais l'auteur des "Caractères" lui redonne des habits neufs, des habits poétiques: en plantant son décor dans une imprimerie, il suggère un affrontement entre les "bas de casse", c'est-à-dire les "minuscules", et les "hauts de casse", à savoir les majuscules, proposant que les uns et les autres se regardent en chiens de faïence - quand ils se regardent. La guerre civile va éclater, il y aura des morts... Et ceux qui prendront le relais, une fois la révolution achevée, ne sont certainement pas les garants d'un changement pour le mieux.

 

Bastien Roubaty donne à son premier roman toute la fausse légèreté du romancier Boris Vian - cette fausse légèreté qui invite à réfléchir à chaque détail, sous des dehors décalés. "Les Caractères" construit un conflit social et poétique de toutes pièces pour développer une intrigue ludique où les mots, d'hier ou de demain, s'entrechoquent en une brillante musique où la clarinette de Chloé Demiton répond à la trompinette de Boris Vian.

 

Bastien Roubaty, Les Caractères, Fribourg, Presses littéraires de Fribourg, 2016.

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5 décembre 2016 1 05 /12 /décembre /2016 20:56

Berger Revenir

Le site de l'auteur, le site de l'éditeur.

 

Ils étaient deux ce jour-là, en mai 2008, à dédicacer côte à côte, sur le stand des éditions L'Age d'Homme du Salon du livre de Genève. Jean-Michel Olivier, que je connaissais par blog interposé, proposait à son lectorat "La vie mécène". Et François Berger a su titiller ma curiosité avec son roman "Revenir". J'ai eu le plaisir de saluer cet écrivain neuchâtelois, poète et romancier, une seconde fois à l'automne 2015, au Salon de l'AENJ. Et c'est en automne 2016 que, m'apprêtant à visiter la nouvelle édition de ce Salon des écrivains neuchâtelois et jurassiens, j'ai pris le temps de lire "Revenir". Bien m'en a pris, enfin!

 

Dans une écriture classique, sobrement concentrée sur la narration plus que sur les effets voyants, l'auteur/narrateur s'adresse à un certain Jack, impliqué à sa manière dans le drame de "Revenir". "Revenir", c'est l'alliance entre deux ambitions diverses, émanant de milieux que tout sépare: si Robert, simple contrôleur des chemins de fer, vient des quartiers populaires de Genève, Lorraine, violoniste, est issue d'une riche famille de banquiers de la cité de Calvin. Un magazine va les rapprocher.

 

Dès lors, l'auteur dessine avec une grande exactitude ce que peut être un amour qui croît, évolue et doute, même, au fil des années d'un mariage qui s'est fait contre les familles et se présente donc comme un ambitieux pari sur l'avenir. L'ambition de l'amour qui dure toujours vient donc doubler les ambitions professionnelles, l'envie de carrière: Lorraine court les concerts comme soliste sans arriver tout à fait à percer, et Robert, devenu chef de division, ne deviendra jamais patron des Chemins de fer fédéraux suisses. Et si tout semble bien se passer, l'auteur glisse quelques difficultés: un fils emprisonné au Moyen-Orient, une passade fatale pour Robert. Des défis qui montrent qu'il n'y a pas d'amour sans nuage, et donnent à "Revenir" un côté profondément humain: toujours, il manque une marche, toujours, l'on trébuche...

 

Plongé dans le contexte spécifique du vingtième siècle, mettant en scène des baby-boomers tiraillés entre tradition et modernité (l'ombre de Mai 68 plane...), "Revenir" est aussi imprégné de quelques beautés: des gestes de partage à l'attention des réfugiés hongrois arrivés en Suisse dans les années 1956, le soleil de la Toscane et la beauté radieuse des gens qui l'habitent... sans compter la redécouverte surprenante d'une oeuvre religieuse de Piero della Francesca. Oeuvre religieuse qui reflète l'une des séparations invisibles entre Robert et Lorraine, tous deux personnages chrétiens, l'un catholique, l'autre enfant de la Réforme.

 

Le narrateur est le frère de Robert le cheminot monté en graine, disons-le. On devine cependant que c'est un rôle de convention, assigné à un personnage de journaliste sportif: l'auteur lui donne un profil de narrateur omniscient qui ne dit pas son nom, capable de s'immiscer dans les alcôves et les secrets de famille d'un couple finement observé, et même de recréer des épisodes aussi gênants que le chantage sexuel de tel professeur de violon à l'encontre de Lorraine. Fidèle, la parole du narrateur traverse même plusieurs décennies en s'arrêtant aux années clés d'une union à la fois soudée et marquée par d'irrattrapables fêlures.

 

François Berger, Revenir, Lausanne, L'Age d'Homme, 2008.

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28 novembre 2016 1 28 /11 /novembre /2016 21:52

Cheval Cendre

Le site de l'éditeur.

Défi Premier roman.

 

Et la conversation naquit du désoeuvrement: "La disparition de l'homme à la peau cendre", premier roman d'Auguste Cheval, met en scène deux bonshommes, Pablo et Michel, qui se parlent à longueur de journée et se racontent des histoires. Il arrive même qu'elles aient prise dans la vraie vie, si dérisoires qu'elles soient, et qu'elles gagnent presque l'épaisseur d'une intrigue policière à (faux) suspens.

 

L'histoire est simple: la voisine vient chercher du sel chez Pablo et Michel (qui vivent ensemble), Pablo tombe amoureux de la voisine, mais celle-ci, avec son étrange mâchoire prognathe, est mystérieuse. Elle a peut-être tué son propriétaire, le fameux "homme à la peau cendre"... ce qui rajoute justement du sel à l'affaire.

 

Cette simplicité permet à l'auteur de développer tout un tas de récits enchâssés et d'anecdotes insolites: considérations sur des personnages romanesques de policiers, considérations sur la nature qui "ne fait pas de sauts", fables cruelles mettant en scène des bébés scorpions qui font de la gymnastique pour avoir la courbure de corps idéale. L'auteur donne ainsi à voir un monde onirique et éclectique, surfant sur l'écume des jours dans le souci de faire sourire le lecteur. Cette vision est portée encore par les dessins au trait, minimalistes et clairs, de Constant Bonard.

 

Il est délicieux de voir à quel point Pablo et Michel arrivent à se monter un film à partir d'indices que la seule raison ne trouverait guère concluants, laissant ainsi se développer une anti-intrigue policière. Les deux gars sont du reste attachants, à défaut d'être vraiment futés: l'un est plutôt long et sportif, l'autre est fort et large. Ils carburent au pastis et au café et, à l'instar du peuple de personnages secondaires de ce roman, leur comportement trahit quelques amusantes excentricités. Il est permis de penser à Laurel et Hardy ou à plein d'autres duos amicaux célèbres fonctionnant sur les contrastes.

 

Ce duo s'agrandit de la figure du narrateur, utilisée de manière originale dans "La disparition de l'homme à la peau cendre". Ni personnage clé ni abstraction omnisciente, celui-ci joue en effet le rôle de pivot entre le lecteur et les personnages, ceux-ci n'hésitant pas à entrer en dialogue avec lui; quant au narrateur, il parle sans complexe de ses états d'âme d'écrivain au lecteur, expliquant par exemple que ça l'ennuie de répéter tel épisode. Autant dire que si la conversation s'installe entre les personnages, occupant une vaste place dans le récit (son deuxième titre est du reste "Eloge de la conversation"), elle fonctionne aussi entre le lecteur et ce narrateur qui fonctionne comme un intermédiaire tous azimuts.

 

Enfin, si "La disparition de l'homme à la peau cendre" a un petit côté expérimental, cela n'empêche pas ce premier roman d'être doucement décalé et amusant. En particulier, il est porté par une écriture poétique nourrie d'un brin de folie bienvenu. Elle est attentive aux sonorités et aux sens des mots, ose des rapprochements inattendus et des constructions hardies telles que des zeugmas en pagaille ou de subtils distinguos entre mots de sonorités proches ou identiques, comme les flamands contre les flamants. Une faute? Non, une astuce, confirme l'auteur qui, derrière les apparences rêveuses d'une simple histoire, a décidément tout prévu avec exactitude...

 

Auguste Cheval, La disparition de l'homme à la peau cendre/Eloge de la conversation, Lausanne, Editions de la Marquise, 2016, illustrations de Constant Bonard.

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26 novembre 2016 6 26 /11 /novembre /2016 23:33

Dubath Lutte

Lu par Alain Bagnoud, Francis Richard.

Le site de l'éditeur - merci pour l'envoi.

 

Commentant ma lecture de "Des geôles" de Jean-Yves Dubath, j'avais écrit "Exigeant jusque dans les geôles". Et ayant reçu il y a quelque temps le dernier livre de cet écrivain lausannois, "Un homme en lutte suisse", je me suis immédiatement demandé si l'auteur sera aussi exigeant jusque dans les ronds de sciure. Force est de constater que la réponse est affirmative... même si ce n'est pas tout à fait pour les mêmes raisons.

 

L'écrivain donne la parole à un lutteur suisse, un de ces hommes musculeux qui vont se battre à deux dans un rond de sciure, selon des règles ancestrales typiquement suisses mais qui trouvent leurs racines dans la lutte gréco-romaine et une parenté dans des sports de combat traditionnels d'autres nations. Particularité: le narrateur a des lettres, ce qui lui permet de citer Honoré de Balzac et Lucien de Rubempré.

 

L'écrivain s'est montré exigeant avec lui-même, c'est certain. A travers ce lutteur lettré, on perçoit la voix de l'auteur, fidèle à elle-même, avec ses tours recherchés, sa préciosité même parfois. Cela n'empêche pas la précision, qui éclate dans le choix d'une terminologie exacte, quitte à utiliser des termes alémaniques. Et puis, l'on cite les adversaires, les grands noms de ce sport, d'hier et surtout d'aujourd'hui, ses lieux mythiques comme le Lac Noir, et aussi ce que l'on ressent lors des combats, nommés "passes", qu'on soit face à l'adversaire ou assis dans les gradins.

 

On le devine, "Un homme en lutte suisse" se distingue par une observation fine de l'art du lutteur suisse, "à la culotte": on croirait lire le témoignage d'un véritable sportif. L'écrivain amène son lecteur jusque sur le rond de sciure pour lui montrer les prises, les gestes, mais aussi les regards et les interactions entre lutteurs. Il donne aussi à ressentir l'amertume des défaites, éventuellement noyée dans le vin blanc, et l'ambiance des fêtes de lutte suisse en général. Sans compter les supporters, au premier rang desquels se trouve souvent, passionnée, l'épouse des lutteurs. Et si l'écriture est travaillée, la lecture reste claire, garante d'un moment éblouissant.

 

Offrant un roman bref, l'auteur a aussi la sagesse de proposer des chapitres courts, comme peut l'être une passe. Sur un sport rural populaire avant tout en Suisse alémanique, l'écrivain porte un regard suisse romand, rare et donc précieux, qui a aussi quelque chose d'urbain dans son style recherché. Ainsi, il s'aventure dans un monde inattendu, qui n'a pas encore forcément ses lettres de noblesse littéraire. C'est là un mérite suprême: avec "Un homme en lutte suisse", Jean-Yves Dubath invite ses lecteurs à plonger dans un monde nouveau.

 

Jean-Yves Dubath, Un homme en lutte suisse, Lausanne, BSN Press, 2016.

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23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 23:24

Bielmann Guichets

Le site de l'éditeur, celui de l'auteur.

 

Fredi et Big Bad Boy, quelle belle paire de paillasses! Ce sont les personnages principaux du roman "A guichets fermés" de David Bielmann. Un écrivain fribourgeois d'expression allemande qui, sous le pseudonyme de Pierre Paillasse (tiens, justement...), avait offert au lectorat fribourgeois le roman policier "Revanche", entre autres. Résolu à tomber le masque et à renoncer au pseudonyme, le romancier propose à présent "A guichets fermés", un roman d'inspiration régionale et policière publié en allemand 2013 et paru tout dernièrement dans une traduction française de Bernard Bovigny.

 

Avec "A guichets fermés", David Bielmann continue de conférer au HC Gottéron, club de hockey sur glace de la ville de Fribourg (Suisse), la carrure d'un ingrédient de roman. "A guichets fermés" est centré sur deux personnages de cambrioleurs pas bien futés, qui croient avoir trouvé une tactique imparable: visiter les logements des supporters, pendant que ceux-ci assistent aux matches. Cela, sur la base d'une liste dégotée par hasard. Bien sûr, tout ne se passe pas comme prévu...

 

Commençons par les personnages. Ce sont des gars un peu marginaux, des pieds nickelés dirait-on ailleurs, qui volent parce qu'il faut bien vivre: des paillasses, on l'a dit. Le personnage de Fredi cristallise un certain patriotisme fribourgeois, qui peut surprendre le lecteur extérieur mais dans lequel n'importe quel lecteur du cru pourra se reconnaître à un moment ou à un autre: Fredi refuse de boire de la bière Cardinal depuis qu'elle n'est plus brassée à Fribourg (elle l'a été entre 1788 et 2011), et place le HC Gottéron au-dessus de tout, même au-dessus du succès de ses activités de cambrioleur. Face à lui, Big Bad Boy semble plus réfléchi. C'est que son regard est extérieur... mais il ne faut pas le dire trop haut.

 

La ville de Fribourg est aussi un personnage à part entière du récit. Elle est rendue avec un souci sincère du détail, capable de charmer les habitants de la cité des Zaehringen, qui y reconnaîtront des lieux familiers. Loin des digressions historiques, l'écrivain montre un Fribourg actuel, tel que le grand public peut l'appréhender, faisant le grand écart entre le côté populaire, représenté entre autres par le café du Tilleul ou le quartier du Schönberg, et ses aspects les plus huppés, le restaurant de l'Hôtel de Ville en constituant l'aspect le plus marqué. L'auteur pousse l'exactitude jusqu'à citer ici le chef de cet établissement coté, Frédérik Kondratowicz. D'une manière plus générale, l'auteur n'hésite pas à citer les noms des bars et cafés fréquentés par ses personnages, faisant revivre une certaine tradition des bistrots fribourgeois, un peu surfaite peut-être, mais c'est une autre histoire.

 

Et puis, il y a le HC Gottéron, club de hockey sur glace en lequel toute une ville croit, mais qui n'a jamais décroché le moindre titre national. Le club paraît en retrait; mais l'auteur donne à la tradition du club une dimension quasi religieuse en indiquant, par l'entremise d'un personnage de prêtre, que la défaite suscite l'espoir, comme le fait l'espoir du retour du Messie pour les catholiques. Justement, cet aspect est développé alors que Fredi se trouve dans la cathédrale Saint-Nicolas... Le HC Gottéron est-il le dieu d'une religion locale? Sans l'approfondir, l'auteur ouvre cette porte en donnant aux évocations des matches des allures sacrées de grand-messe qu'il ne faut manquer sous aucun prétexte. Quitte, pour les cambrioleurs, à allumer le poste de télévision des appartements visités pour ne pas manquer les retransmissions. On peut du reste supposer que comme pour "Revanche", l'auteur utilise des matches réels pour nourrir son roman.

 

Quelques mots sur le langage, enfin: si la traduction souffre d'une ou deux petites erreurs strictement linguistiques, elle s'avère globalement convaincante et soignée, et s'offre le luxe heureux de glisser, pour faire couleur locale, quelques mots bien romands, pour ne pas dire fribourgeois. S'il peut regretter la polysémie insoupçonnée du titre d'origine "Gastspiel", le lecteur sourira par exemple face à l'utilisation régulière et savoureuse du mot "schluck", qui signifie l'une des nombreuses gorgées d'alcool que Fredi absorbe. Le texte offert au lectorat francophone est rapide et efficace; il livre le portrait empreint de tendresse de deux marginaux fribourgeois, des petits Blancs dirait-on ailleurs, qui se débrouillent avec les moyens du bord pour se payer une bière... et en offrir une à un flirt d'un soir, le cas échéant. Quitte à compter leurs centimes.

 

David Bielmann, A guichets fermés, Fribourg, Faim de siècle, 2016, traduction de l'allemand par Bernard Bovigny.

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17 novembre 2016 4 17 /11 /novembre /2016 21:49

Tillmanns Fils

Lu par Francis Richard,

Le site de l'auteur, le site de l'éditeur.

 

"Les fils": c'est un titre qui est tout un programme, avec un double sens imposé par deux possibilités de prononciation. Précisément Lolvé Tillmanns propose aux lecteurs de son troisième roman deux pistes de lecture entrecroisées, en fonction du sens qu'ils voudront bien donner à son titre ambigu.

 

Fils de leur mère

C'est donc l'histoire de deux hommes dans la force de l'âge, que la vie a rapprochés de manière particulière: Cédric a été le souffre-douleur de Raphaël au temps de sa scolarité obligatoire, et la vie s'est chargée d'inverser les rôles: Cédric est devenu patron, et Raphaël pointe à l'assurance invalidité. Tous deux ont en commun un rapport problématique à leurs parents, ce qui ramène au sens "filial" du titre.

 

C'est cette filiation que l'auteure met en avant pour faire avancer son récit. Le lecteur se sent captivé par le récit de la vie de Raphaël, qui s'est suicidé alors qu'il était employé dans l'entreprise de Cédric. Ce récit, c'est la mère de Raphaël, Odile Cornuz (un nom qui est celui d'une autre écrivaine romande...), qui le livre. L'auteure dessine un personnage féminin à la dérive, essentiellement en l'observant vivre et agir: un rapport totalement décomplexé à l'alcool et une manière très personnelle de voir le monde la caractérisent. Cela, autant qu'un vécu chaotique.

 

Ce vécu renvoie à celui de Cédric, le patron. De ce côté-ci, ça a l'air lisse, et au début du roman, tout roule, même si l'automne commençant ("Le soleil ne peut plus faire illusion, les journées raccourcissent", lit-on en début de roman) annonce, comme une image, que la fin des jours sereins est proche. Mais c'est la soeur de Cédric, Nathalie, qui va jouer le rôle de révélateur. Elle fait remonter à la surface des souvenirs enfouis, autour d'une famille à principes bien catholique, qui fait écho aux ascendants darbystes de la mère de Raphaël. Victimes directes ou indirectes (pour éclairer ses personnages, l'auteure va jusqu'aux grands-parents) d'une éducation stricte et pesante, vue comme hypocrite, ces deux fils ne sont-ils pas frères, quelque part? Frères ennemis peut-être, soit, mais enfin...

 

... et l'une des répliques vengeresses suggère même que Cédric a fini par tuer Raphaël. Les mots peuvent-ils tuer? L'auteure le suggère, laissant entendre que le passage du statut de victime à celui de bourreau peut n'être qu'une question de circonstances. En somme, qui est Caïn, et qui est Abel?

 

Fils du mensonge

"L'inspecteur s'en va. Je regarde sa carte se détacher sur mon bureau en plexiglas. Et je ne comprends pas pourquoi je lui ai menti." Le mensonge régit le fonctionnement de Cédric, qui en commet deux énormes, coup sur coup, en début de roman: outre sa réplique fallacieuse à la police, il s'attire la confiance de la mère de Raphaël en se faisant passer pour un psychologue. Ces mensonges lient comme des fils solidement attachés (tout comme les fils éventuellement intrusifs d'une relation, d'ailleurs - la couverture le suggère à l'envi), et qu'il faut assumer.

 

Il y a aussi ces mensonges qu'on vit de manière naturelle, ordinaire, dans le cadre d'une vie où l'épouse, Tatiana, est partagée avec une amante loyale, Maria, et même une troisième fille, Caroline, secrétaire dans l'entreprise de Cédric, fugacement enivrée au champagne et baisée dans un hôtel genevois. L'auteure dévoile avec finesse les intermittences du désir de Cédric, soudain avivées par le suicide de Raphaël et ce qu'il a soulevé.

 

Couper ces fils: c'est là que sera le salut d'un Cédric que l'auteure montre toujours plus irascible, prompt à crier dans le cimetière où repose sa mère. Le dernier chapitre du roman a donc, jusqu'à un certain point, des allures de rédemption: suivi psychologique, médicaments, aveux aux femmes de sa vie (sauf à la secrétaire, que l'auteure éjecte un peu facilement par le biais d'un licenciement sec) et à la police - qui savait tout, bien sûr. L'auteure laisse cependant Cédric avec un dernier fil de mensonges à la patte...

 

Sans juger

Un titre extraordinaire donc, lourd de sens, pour un roman qui parlera à plus d'un lecteur qui s'est fait tabasser et humilier dans la cour de récré, ou pas. Les dialogues y sont ciselés afin de donner à entendre des voix authentiques, la psychologie des personnages y est approfondie; l'auteure donne ainsi à voir des personnages d'une belle épaisseur qui ne laissent pas indifférent: faut-il se montrer compréhensif envers Raphaël le jeune cogneur devenu cassos, ou s'attacher à Cédric, pour qui tout roule?

 

Loin d'imposer un jugement, et même si c'est le personnage de Cédric qui est le pivot du roman, l'auteure met en présence des humanités légitimes autour de lui, construites comme elles le peuvent face aux aléas de la vie, et laisse le lecteur réagir face au petit monde qu'elle installe, en fonction de son propre vécu et de son propre ressenti.

 

Lolvé Tillmanns, Les Fils, Genève, Cousu Mouche, 2016.

 

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13 novembre 2016 7 13 /11 /novembre /2016 21:27

Trump

Lu par Valérie Débieux.

Le site de l'éditeur.

 

Cela a tout l'air d'un canular. Qu'on en juge: l'éditeur prétend avoir reçu un manuscrit anonyme dans sa boîte aux lettres, avec un mot pressant pour qu'il soit publié. Ce manuscrit, c'est "La vérité sur Donald Trump". Il est signé Dick Joekers. Impossible de ne pas penser à Joël Dicker... ni de se demander qui se cache derrière ce pseudonyme. Il paraît que c'est un écrivain suisse romand! Il paraît... Et dans l'absolu, l'aurait-on publié?

 

L'ouvrage est court, et sa brièveté lui donne des allures de pochade plutôt réussie. Celle-ci, en effet, démontre que s'il faut retenir une qualité de Donald Trump, c'est qu'il a le format requis pour faire un excellent personnage de roman. Cela, même si l'intrigue de "La vérité sur Donald Trump" a déjà un peu vieilli: ce petit livre a paru au printemps 2016, loin des Etats-Unis mais près du Salon du livre de Genève, et saisit son sujet au moment des primaires du parti républicain, en vue des élections de novembre 2016. A un moment où personne n'y croyait sérieusement, en somme. 

 

Reste qu'en un peu moins de cent pages, le lecteur a droit à un portrait du milliardaire appelé à devenir le quarante-cinquième président des Etats-Unis. La caricature est là, certes. Elle fait de Donald Trump un bonhomme empreint d'égotisme, ramenant tout au fric et à sa personne, ce que soulignent les majuscules du récit et les amples citations de discours de campagne, qui ne laissent qu'à peine entendre les exclamations des supporters.

 

Il y a plus: l'auteur fait de Donald Trump une espèce de bulldozer, capable d'abattre tous les obstacles qui sont sur son chemin. Il est question de Hillary Clinton, certes; mais elle paraît fort lointaine, et les adversaires de Donald Trump, au moment où l'histoire les saisit, sont plutôt les hommes restant en lice pour la primaire du parti républicain américain. Le lecteur croisera donc des figures déjà presque oubliées, comme Ted Cruz ou John Kasich. L'auteur a l'habileté d'intégrer au discours de Donald Trump les surnoms dont il aime à affubler ses adversaires; il n'y manque que le fameux "Crooked Hillary"...

 

Ces quelques adversaires sont donc trop minables pour être crédibles, laissant l'impression que pour le candidat à l'investiture républicaine, tout est trop facile. Outre les apparatchiks, il y a entre autres cet assassin d'occasion, qui renonce à tuer le candidat après avoir épuisé ses économies. Et il y a aussi, mais cela ne va pas bien loin hélas, les jeux de pouvoir qui fonctionnent dans l'entourage de Donald Trump: un fils tiraillé entre diverses loyautés, une porte-parole amante du candidat, etc. Ces pages adverses sont, pour l'auteur, l'occasion de rappeler assez longuement le Second amendement de la Constitution américaine, fondateur du droit controversé, pour les Américains, à avoir une arme.

 

A travers les lignes, le lecteur découvre donc un personnage qui renverse tout sur son passage, ce que l'auteur de "La Vérité sur Donald Trump" ne semble guère aimer. L'écrivain réussit, en un roman adroit mais qui reste certes un peu mou pour faire une satire franchement vacharde, à renvoyer l'image instantanée qu'avait le candidat à la candidature du parti républicain, et aussi à esquisser les états d'âme de certains personnages comme Hope Hicks, directrice de la communication de Donald Trump, ou Katrina Pierson. De l'eau a coulé depuis sous le pont Verrazano; mais l'auteur, derrière le faux-nez de Dick Joekers, réussit à capter un instantané d'un homme qui, au moment où le livre a été écrit, n'était nullement un candidat sérieux à la présidence des Etats-Unis d'Amérique. Comme quoi, hein...

 

Dick Joekers, La vérité sur Donald Trump, Vevey, Hélice Hélas, 2016.

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7 novembre 2016 1 07 /11 /novembre /2016 21:03

Sansonnens Ordres

Lu par Francis Richard.

Le blog de l'auteur, le site de l'éditeur.

 

Tout commence lentement dans "Les ordres de grandeur", deuxième roman de Julien Sansonnens après "Jours adverses". Après avoir exploré le destin de personnes ordinaires, c'est au monde des médias et de la politique en Suisse romande qu'il s'intéresse, dans un roman de genre policier.

 

Lenteur en effet dès le premier chapitre, qui relate la séquestration et la terrible détention d'une jeune femme, victime de sévices sexuels insoutenables dans le secret d'une chambre hostile. Un choix habile de la part de l'écrivain, qui donne au lecteur l'impression d'être à la place de la femme, qui n'a qu'une hâte: que ça finisse - et qu'une impression: c'est que justement, ça ne finit jamais.

 

Et puis, l'auteur prend le temps de mettre les choses en place. De ce glaçant premier chapitre, on passe à la description d'Alexis Roch, journaliste de télévision populaire désireux de se lancer en politique. Propre sur lui, c'est un bonhomme charismatique, très à l'aise financièrement. Celui-ci va accompagner le lecteur durant tout le roman. Puis il sera question d'un patelin en France, et d'un homme qui y vit de manière apparemment sereine. Le lien entre ces trois situations n'est pas évident, laissant au lecteur l'impression initiale d'un récit qui erre sans but immédiatement clair. Patience...

 

Le parcours journalistique et politique d'Alexis Roch permet de découvrir un monde où les jalousies sont tenaces et où tous les coups sont permis. Avec Marco Camino, l'écrivain revisite le personnage de l'ami du héros... un ami plein de ressources mais peu recommandable. Le lecteur appréciera ce guide ambigu. Alexis Roch va-t-il accéder au gouvernement cantonal malgré l'adversité? Mais son pire adversaire n'est-il pas lui-même?

 

Ancré dans l'actualité (il y est fait allusion aux attentats de Charlie Hebdo), "Les ordres de grandeur" emprunte plusieurs éléments aux microcosmes journalistique et politique romands. Derrière les traits d'Alexis Roch, par exemple, on devinera les traits d'un Darius Rochebin et/ou d'un Fathi Derder. Pareil pour les péripéties: on songe par exemple à l'"affaire Resende" en parcourant l'épisode des images à caractère pédophile retrouvées sur l'ordinateur d'Alexis Roch.

 

Certaines scènes paraissent sous-exploitées, par exemple celle de l'agression sexuelle dans un salon de massage, ou celle des invectives racistes dans un restaurant, qui n'ont pas de suite, et c'est un peu dommage: elles paraissent plus illustratives qu'autre chose, alors qu'elles ne sont pas anodines. A cela près, "Les ordres de grandeur" promène un regard précis sur un univers où chacun devrait se méfier de chacun, et où les rapports de force sont parfois déjà présents depuis le temps des études, un temps qui a marqué des personnages comme ce jeune homme qui a fait sa vie dans le sud de la France en pensant pouvoir oublier des temps tragiques. S'il use parfois de paragraphes longs qui pèsent un peu sur le rythme, l'auteur sait aussi se montrer rapide quand il faut, faisant usage d'une écriture franche, pour ainsi dire virile, parfaitement en phase avec les bonshommes qu'il se plaît à mettre à nu.

 

Julien Sansonnens, Les ordres de grandeur, Vevey, L'Aire, 2016. 

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29 octobre 2016 6 29 /10 /octobre /2016 20:24

Zufferey Pupille

Site de l'éditeur.

 

Et de trois! L'écrivaine suisse Rachel Zufferey termine avec "L'Héritière de la Pupille" le troisième et dernier tome de sa "Trilogie de Sutherland", historique et écossaise. Ce nouvel opus est étroitement associé aux précédents, à telle enseigne qu'il est bon d'avoir encore en mémoire les enjeux de "La Pupille de Sutherland" et "Le Fils du Highlander". Dernier retour dans les Highlands au tournant du XVIIe siècle, donc...

 

La romancière reprend son récit là où il en était resté, avec l'exil de Kirsty et Hamish Ross - plus précisément avec leur décès. Et comme dans tout récit long, celui-ci repart avec un personnage de la famille, en l'occurrence Bonnie, dernière-née des Ross. Les circonstances l'amènent dans un lieu nommé Balquhidder, où elle devra se faire accepter tout en essayant de trouver ce qu'on vécu ses parents durant les dix ans pendant lesquels elle a été séparée d'eux. Quête des origines, recherche du pourquoi...

 

"L'Héritière de la Pupille" est construit à la manière d'une romance, cherchant à rapprocher deux personnages que tout semble éloigner. Nous connaissons Bonnie: va-t-elle finir dans les bras de Sorley? Ou de quelqu'un d'autre, par exemple le gentil palefrenier? Ou, Bonnie n'étant guère attirée par les hommes, pourrait-elle s'avouer lesbienne? Autant de fausses questions: Sorley sera son homme, on le comprend vite. Il a du caractère, et un statut social digne de ce nom. Reste à savoir comment... et "L'Héritière de la Pupille" est le récit d'un improbable rapprochement.

 

La figure de Sorley, en effet, est attachante: on se retrouve ici avec le parfait archétype du dur au coeur tendre. De même que Bonnie, le lecteur devra l'apprivoiser: c'est un personnage sauvage, bourru, et c'est aussi, paradoxalement, un homme qui prend, baise et jette les femmes. Il est surprenant de le voir, plus tard dans le roman, ouvrir soudain son coeur à Bonnie, qu'il traite comme une servante. Reste qu'entre ces deux personnages, naît une relation sentimentale hors norme, profonde.

 

On peut se demander qui est vraiment Bonnie. Femme de tête, elle ne l'est certainement pas. On se retrouve plutôt en présence d'une jeune femme difficile à cerner, qui n'a rien fait de ses dix doigts à seize ans, finalement peu douée pour la vie, et que les circonstances, plus que l'action personnelle (elle n'est guère rouée, et suit ses sentiments), vont amener à épouser un seigneur. Est-ce crédible dans les années 1599, en un temps rude où il y a du travail pour toutes et tous? L'auteure évite une longue introspection par le biais d'une ellipse: on ne saura pas grand-chose des dix ans qu'elle a vécus chez son frère déjà adulte.

 

En revanche, le lecteur appréciera les retours sur Kirsty et Hamish Ross, qui sont des flash-back récurrents représentant une agréable rupture de rythme dans le récit. Celui-ci est d'ailleurs mené d'une plume généralement fluide, où on regrette certains tics de langage trop présents: des tours comme "mettre fin au baiser", "approfondir le baiser", "répondre au baiser" paraissent raides s'ils sont souvent répétés, rendant lesdits baisers peu désirables. On préfère retenir la modernité du ton adopté, en particulier lorsqu'il s'agit de faire parler les personnages. Une modernité qui tranche avec les temps anciens mis en scène et rappelle que les sentiments amoureux sont intemporels.

 

Rachel Zufferey, L'Héritière de la Pupille, Lausanne, Plaisir de lire, 2016.

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23 septembre 2016 5 23 /09 /septembre /2016 21:55

Dormond ParfumLu par Francis Richard.

 

Le titre a un parfum de déjà-lu, et pourtant il titille les narines du lecteur curieux. Pensez donc: un recueil de nouvelles, d'histoires courtes et bien montées, signées de l'auteure Sabine Dormond. "Le Parfum du soupçon" tient son lectorat en haleine en instillant, dans chacune de ses dix nouvelles rédigées de manière fluide, un fumet d'incertitude qui permet à l'écrivaine de mener chacune et chacun... par le bout du nez: les surprises sont au rendez-vous.

 

Le lecteur familier de l'auteure trouvera celle-ci fidèle à elle-même: tout au long du récit, on trouvera une tendresse face à certains groupes de population dont la vie n'est pas forcément évidente sous nos latitudes ou, d'une manière plus large, à ceux qu'on peut voir comme des victimes: prisonniers, migrants. Cela, quitte à, parfois réserver, d'une manière manichéenne, le mauvais rôle à "l'homme occidental blanc de nationalité suisse": fonctionnaire indélicat, maton obtus ou écrivain spoliateur (dans la nouvelle "Ruban rouge").

 

Reste que la rédemption est possible, et l'auteure sait flatter le lecteur en le prenant par les sentiments. On en donnera pour preuve la nouvelle "La gueule de l'emploi", qui met en scène un activiste de droite dure. Si le personnage principal, Michel, semble devenir fou, c'est la lecture qui va le sauver. Reste-t-il un activiste de droite à la fin de la nouvelle? C'est surtout devenu un lecteur, et peu importe qu'il soit fan d'Aragon ou de Brasillach. L'évolution est décrite en finesse, quitte à ce que le migrant - en l'espèce un médecin syrien réduit à l'exil et à la mendicité par la guerre - y joue, par un concours de circonstances, un rôle bénéfique. Tendresse, ai-je dit...

 

Le titre comprend le mot "soupçon", et c'est sans doute dans la nouvelle "Ensilencement" qu'il trouve sa meilleure expression. C'est une nouvelle écrite à la manière d'un petit roman éclaté - qui mériterait du reste d'en devenir un grand! L'écrivaine a le chic pour faire germer le soupçon, dans ce qu'il peut avoir d'insidieux, et surtout de le faire croître jusqu'à ce qu'il soit à deux doigts d'exploser. Autant dire qu'entre les personnages, à savoir un couple dont Monsieur est soupçonné d'adultère, la maîtresse présumée et la fille du couple, les tensions deviennent électriques. En centrant son récit autour d'une soirée de Noël, l'écrivaine crée une dramatisation maximale: alors que Noël devrait être la fête de la concorde, voilà qu'elle devient celle des non-dits pensants qui empêchent tout, même la décoration sereine du sapin de Noël. Cela, au fil d'un crescendo inexorable et captivant.

 

On aimerait aussi évoquer l'onomastique, que l'auteure utilise pour ancrer son livre dans le terroir vaudois (on s'appelle Diserens dans "Ensilencement") ou pour jouer sur le sens des noms ("Marc d'affection", titre d'une nouvelle mettant en scène une écrivaine et son conjoint, ou ce Zad qui fait figure de "zone à défendre" contre le cancer dans "Confitures maison", nouvelle qui tourne autour de la question des sols contaminés et de la folie immobilière en Suisse). On peut aussi évoquer le style, à la fois difficile et envoûtant, pour ne pas dire succulent, des premières lignes de "Ruban rouge".

 

Mais surtout, centré autour du thème du soupçon et de l'incertitude, tantôt grave tantôt presque comique (ah, le séjour en résidence surveillée de "Forcenée", un clin d'oeil à tous les cyclistes!), "Le parfum du soupçon" s'avère sans doute le recueil de nouvelles le plus cohérent, et donc le plus accrocheur et le plus mûr, de l'écrivaine vaudoise Sabine Dormond.

 

Sabine Dormond, Le parfum du soupçon, Sainte-Croix, Mon Village, 2016.

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