Polar, lu dans le cadre des défis Thriller, Premier roman et Littérature suisse (trois défis d'un coup, rien que ça!).
Force m'est de constater que dans mon exploration des littératures suisses, j'ai oublié un peu la littérature alémanique, si ce n'est pour rédiger un billet sur Martin Suter et un autre sur Friedrich Dürrenmatt. Je répare à présent cette lacune, avec le premier roman de Pierre Paillasse, intitulé "Revanche". C'est un ouvrage typique d'une tendance à la mode outre-Sarine: le roman policier à ancrage local affirmé. Ici, c'est la ville de Fribourg qui sert d'arrière-plan à l'action.
Et là, le lecteur va être happé par un style sec et direct qui va à l'essentiel, bien rendu par la traduction française propre et efficace de Bruno Galliker. L'ouvrage peut se targuer d'un fort réalisme, et ce n'est pas le moindre de ses atouts. Le match de hockey sur glace décisif disputé entre le HC Fribourg Gottéron et les ZSC Lions de Zurich a bel et bien eu lieu en mars 2009 (l'auteur y a peut-être même assisté), et même les articles de journal cités dans le livre, tirés des Freiburger Nachrichten, sont vrais. Là où le réel cède la place à la fiction, c'est lorsqu'on trouve un mort dans les toilettes de la patinoire BCF Arena de Fribourg... Dès lors, August Arnaud et Ronny mènent l'enquête.
Une enquête dont l'économie de moyens est aussi une qualité: à l'heure où les polars sont bourrés de gadgets technologiques, au temps des profileurs et de la criminologie sous toutes ses formes, l'auteur met en scène un polar à l'ancienne où l'essentiel de l'enquête se déroule sous forme d'interrogatoires, donc de dialogues - à telle enseigne qu'on aurait parfois apprécié une autre astuce pour faire avancer le schmilblick: outre les paroles des suspects, qui amènent l'essentiel des informations, seuls un portable, un livre de Dostoïevski et un énigmatique petit billet livrent quelques clés.
La vision de Fribourg et de ses lieux typiques (Grand-Fontaine, les ponts, la cathédrale, la ruelle des Épouses...) saura évoquer des images aux lecteurs qui connaissent la ville; ceux qui lui sont étrangers auront, en revanche, envie d'en voir plus - et risquent de rester parfois sur leur faim. Une scène démontre cependant que l'auteur sait dépeindre des lieux: celle de l'entrée de l'aspirant de police Ronny à l'université. Il entend de la musique d'orgue, ce qui est possible puisqu'il existe bel et bien une chapelle intégrée à la faculté et disposant d'un tel instrument. Plus loin, certains dialogues entre étudiants plus ou moins éternels, saisis à la bibliothèque, sonnent vrai jusque dans le côté surréaliste qu'ils peuvent revêtir pour un policier peu habitué des lieux d'étude.
De même, un peu de chair aurait été la bienvenue dans certains contacts entre les personnes, par exemple par une exploitation plus appuyée du langage non verbal. Lorsque Ronny trouve Eva, une suspecte, dans une situation certes explicable, mais embarrassante a priori, une telle approche aurait du reste permis de renforcer le suspens. Dommage: l'auteur sait faire cela très bien, et le prouve lors de la confrontation finale, réussie, entre le policier August Arnaud et l'ultime suspect. De même, l'idylle naissant entre Eva et Ronny aurait pu être travaillée plus avant; l'idée de la suggérer par des échanges de SMS est en revanche originale et, par la rapidité qu'impose ce type de message, concourt à l'impression d'efficacité de ce roman.
Un supplément de générosité irait donc bien à l'auteur de "Revanche". Cela dit, partant du monde du hockey sur glace qui baigne tout le livre tout comme il rythme la vie en ville de Fribourg (Fribourg sans HC Fribourg Gottéron, ce serait un peu comme l'Académie française sans l'habit vert de ses membres...), l'auteur démontre, avec ce premier roman, qu'il sait mener une intrigue policière de manière efficace et précise, avec des moyens qui, pour l'essentiel, se limitent aux petites cellules grises des deux enquêteurs.
Pierre Paillasse, Revanche, éd. Pierre Paillasse/Book on Demand, 2011, traduit de l'allemand par Bruno Galliker.