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Fredi et Big Bad Boy, quelle belle paire de paillasses! Ce sont les personnages principaux du roman "A guichets fermés" de David Bielmann. Un écrivain fribourgeois d'expression allemande qui, sous le pseudonyme de Pierre Paillasse (tiens, justement...), avait offert au lectorat fribourgeois le roman policier "Revanche", entre autres. Résolu à tomber le masque et à renoncer au pseudonyme, le romancier propose à présent "A guichets fermés", un roman d'inspiration régionale et policière publié en allemand 2013 et paru tout dernièrement dans une traduction française de Bernard Bovigny.
Avec "A guichets fermés", David Bielmann continue de conférer au HC Gottéron, club de hockey sur glace de la ville de Fribourg (Suisse), la carrure d'un ingrédient de roman. "A guichets fermés" est centré sur deux personnages de cambrioleurs pas bien futés, qui croient avoir trouvé une tactique imparable: visiter les logements des supporters, pendant que ceux-ci assistent aux matches. Cela, sur la base d'une liste dégotée par hasard. Bien sûr, tout ne se passe pas comme prévu...
Commençons par les personnages. Ce sont des gars un peu marginaux, des pieds nickelés dirait-on ailleurs, qui volent parce qu'il faut bien vivre: des paillasses, on l'a dit. Le personnage de Fredi cristallise un certain patriotisme fribourgeois, qui peut surprendre le lecteur extérieur mais dans lequel n'importe quel lecteur du cru pourra se reconnaître à un moment ou à un autre: Fredi refuse de boire de la bière Cardinal depuis qu'elle n'est plus brassée à Fribourg (elle l'a été entre 1788 et 2011), et place le HC Gottéron au-dessus de tout, même au-dessus du succès de ses activités de cambrioleur. Face à lui, Big Bad Boy semble plus réfléchi. C'est que son regard est extérieur... mais il ne faut pas le dire trop haut.
La ville de Fribourg est aussi un personnage à part entière du récit. Elle est rendue avec un souci sincère du détail, capable de charmer les habitants de la cité des Zaehringen, qui y reconnaîtront des lieux familiers. Loin des digressions historiques, l'écrivain montre un Fribourg actuel, tel que le grand public peut l'appréhender, faisant le grand écart entre le côté populaire, représenté entre autres par le café du Tilleul ou le quartier du Schönberg, et ses aspects les plus huppés, le restaurant de l'Hôtel de Ville en constituant l'aspect le plus marqué. L'auteur pousse l'exactitude jusqu'à citer ici le chef de cet établissement coté, Frédérik Kondratowicz. D'une manière plus générale, l'auteur n'hésite pas à citer les noms des bars et cafés fréquentés par ses personnages, faisant revivre une certaine tradition des bistrots fribourgeois, un peu surfaite peut-être, mais c'est une autre histoire.
Et puis, il y a le HC Gottéron, club de hockey sur glace en lequel toute une ville croit, mais qui n'a jamais décroché le moindre titre national. Le club paraît en retrait; mais l'auteur donne à la tradition du club une dimension quasi religieuse en indiquant, par l'entremise d'un personnage de prêtre, que la défaite suscite l'espoir, comme le fait l'espoir du retour du Messie pour les catholiques. Justement, cet aspect est développé alors que Fredi se trouve dans la cathédrale Saint-Nicolas... Le HC Gottéron est-il le dieu d'une religion locale? Sans l'approfondir, l'auteur ouvre cette porte en donnant aux évocations des matches des allures sacrées de grand-messe qu'il ne faut manquer sous aucun prétexte. Quitte, pour les cambrioleurs, à allumer le poste de télévision des appartements visités pour ne pas manquer les retransmissions. On peut du reste supposer que comme pour "Revanche", l'auteur utilise des matches réels pour nourrir son roman.
Quelques mots sur le langage, enfin: si la traduction souffre d'une ou deux petites erreurs strictement linguistiques, elle s'avère globalement convaincante et soignée, et s'offre le luxe heureux de glisser, pour faire couleur locale, quelques mots bien romands, pour ne pas dire fribourgeois. S'il peut regretter la polysémie insoupçonnée du titre d'origine "Gastspiel", le lecteur sourira par exemple face à l'utilisation régulière et savoureuse du mot "schluck", qui signifie l'une des nombreuses gorgées d'alcool que Fredi absorbe. Le texte offert au lectorat francophone est rapide et efficace; il livre le portrait empreint de tendresse de deux marginaux fribourgeois, des petits Blancs dirait-on ailleurs, qui se débrouillent avec les moyens du bord pour se payer une bière... et en offrir une à un flirt d'un soir, le cas échéant. Quitte à compter leurs centimes.
David Bielmann, A guichets fermés, Fribourg, Faim de siècle, 2016, traduction de l'allemand par Bernard Bovigny.