Lu par Francis Richard.
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Défi Premier roman.
A lire le titre du premier roman du jeune écrivain fribourgeois Bastien Roubaty, on pourrait penser aux fameux "Caractères" de La Bruyère. Ceux-ci sont cependant absents de ce livre, "Les Caractères", qui revendique plutôt l'héritage du vingtième siècle littéraire, assorti d'une certaine lutte des classes. Des casses, voudrait-on même dire, pour reprendre le langage des imprimeurs. Et qu'on ne se fie pas à ces quelques mots, ni à la couverture, un poil rebutante à force de grisaille, signée Camilla Maraschini: "Les Caractères" de Bastien Roubaty, c'est haut en couleur.
L'auteur installe une ambiance qui, avec constance, évoque le surréalisme décalé d'un Boris Vian, celui de "L'Ecume des jours" ou, dans une certaine mesure, de "Vercoquin et le plancton". Quelques aspects sont particulièrement voyants, à l'instar d'un personnage nommé Chloé Demiton, musicienne envoûtante, dont le prénom rappelle celui de la compagne de Colin dans "L'Ecume des jours". Il y en a d'autres aussi, comme la distance installée entre une classe privilégiée qui écoute du jazz et vit de manière finalement déconnectée ("Il avait fait un tour à bicyclette avec Monsieur Gordy à travers les petits jardins si plein du charme des pauvres gens,...", p. 12), et les travailleurs, déshumanisés et relégués dans les sous-sols. Enfin, comme dans certaines pages de Boris Vian, un soupçon d'érotisme ne saurait manquer. Le romancier a bien retenu la leçon!
Reste que ce dernier va plus loin que le simple décalque d'un auteur surréaliste fameux en nommant son personnage principal Anis Sallymara - un nom qui renvoie immanquablement à Raymond Queneau et à la littérature potentielle. Alors qu'on soit au clair: "Les Caractères" n'est pas un roman expérimental, cherchant à identifier au fil de la plume des potentialités insoupçonnées. Mais il est possible de noter qu'il s'inscrit dans une recherche d'innovation littéraire, en rendant par exemple poreuses les frontières entre le roman et ce genre trop peu reconnu qu'est le théâtre. De manière plus nette encore, l'auteur n'hésite pas à créer des images surprenantes, voire à créer des mots pour dire quelque chose de nouveau et de surprenant. Les néologismes ne ressemblent à rien de connu parfois, et pourtant, ils sont évocateurs et sonnent juste... L'auteur sait-il par ailleurs que le président actuel de l'Oulipo, l'écrivain Paul Fournel, est aussi un féru de vélo? Cela donnerait un supplément de sens, sous forme de clin d'oeil, au personnage fictif du cycliste Marcel Cadran, devenu ministre dans "Les Caractères" (et dont le nom fait penser à celui d'un boxeur fameux qui a bel et bien existé... ah, l'art de l'onomastique à double fond!).
Derrière ce qui pourrait paraître un aimable amusement, se cache une réflexion sérieuse sur la lutte des classes. D'un strict point de vue politique, celle-ci, dans sa vision strictement manichéenne, paraît dépassée à plus d'un égard. Mais l'auteur des "Caractères" lui redonne des habits neufs, des habits poétiques: en plantant son décor dans une imprimerie, il suggère un affrontement entre les "bas de casse", c'est-à-dire les "minuscules", et les "hauts de casse", à savoir les majuscules, proposant que les uns et les autres se regardent en chiens de faïence - quand ils se regardent. La guerre civile va éclater, il y aura des morts... Et ceux qui prendront le relais, une fois la révolution achevée, ne sont certainement pas les garants d'un changement pour le mieux.
Bastien Roubaty donne à son premier roman toute la fausse légèreté du romancier Boris Vian - cette fausse légèreté qui invite à réfléchir à chaque détail, sous des dehors décalés. "Les Caractères" construit un conflit social et poétique de toutes pièces pour développer une intrigue ludique où les mots, d'hier ou de demain, s'entrechoquent en une brillante musique où la clarinette de Chloé Demiton répond à la trompinette de Boris Vian.
Bastien Roubaty, Les Caractères, Fribourg, Presses littéraires de Fribourg, 2016.
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