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3 juillet 2009 5 03 /07 /juillet /2009 20:25

La cité où vit le narrateur d'"A l'ombre de la marquise", d'Yvan Dalain, trouve trop petite la ville vaudoise où il vit - quelque chose qui fait penser à Payerne, Moudon ou Yverdon. Retraité, le narrateur se met donc à rêver, assis sous la marquise de la gare, en regardant passer les trains, voyageurs vers l'inconnu... Et cela donne un roman aux accents picaresques dont le cadre se situe entre la Suisse et l'Espagne.

Né en 1929, décédé en 2007, l'auteur suisse Yvan Dalain a eu plusieurs vies: il a été tour à tour réalisateur, photographe, comédien, etc. Il a même écrit, avec le journaliste suisse Jacques Pilet, une enquête sur l'affaire du meurtre de Payerne qui a servi d'argument au roman "Un Juif pour l'exemple" de Jacques Chessex... en 1977 déjà! Et c'est à la retraite qu'il est entré en écriture. "A l'ombre de la marquise" entre pile poil dans le trip du roman de retraité nostalgique, avec ses travers mais aussi avec ses forces. Les forces? On trouve ici une désinvolture certaine, qui se traduit par un langage volontairement relâché, nimbé de tonnes d'oralité. Cela permet de camper sans équivoque un personnage crédible, humain, dans lequel on peut se reconnaître pour le pire et le meilleur. Les travers? Dès le départ, l'auteur recourt au flash-back et raconte ses souvenirs de reporter ayant rencontré les people du vingtième siècle, histoires d'hier, choses vues qui ne sont plus les mêmes (ce qui est naturellement désolant!), etc. Et naturellement, on trouve là des pages sur la vie quotidienne de retraité, parfois convenues (l'agenda de ministre du retraité, plus occupé que n'importe quel manager), parfois très originales (la typologie des retraités de sexe masculin qui font les courses pour leur ménage, caddie devant eux, au supermarché). Nostalgie aussi, parce que dans le discours du narrateur, transparaît souvent, sans que cela soit frontalement affirmé, ce côté "c'était mieux avant" - par exemple quand c'étaient de vrais humains qui vendaient des billets à la gare, et pas des distributeurs à écrans tactiles.

Et souvent, enfin, revient le couplet du retour à une seconde jeunesse - en particulier lorsque le narrateur rencontre l'énigmatique gitane Lucia.

Justement, la pauvre Lucia, dont l'histoire tragique constitue un récit enchâssé plutôt pittoresque, constitue le virage intéressant du récit. Le narrateur voyage à travers l'Espagne en train, se remémore son passé, ses bribes de gloire glanées au long de son existence (une existence qui aurait pu être celle d'Yvan Dalain lui-même, tant le narrateur ressemble à l'auteur, poussant la proximité jusqu'à partager sa judéité), et la rencontre fait basculer le récit dans quelque chose d'autre. Lucia s'avère en effet une bonne fortune pour le narrateur. Cela donne lieu à quelques pages qui se veulent érotiques, mais qui, à mon avis, manquent un peu leur effet: il ne suffit pas d'écrire "J'étais très excité" pour que le lecteur ressente cette excitation...

... le rêve, l'auteur le fait naître avec plus de succès lorsqu'il narre la création du cirque des ringards, où se produisent de vieilles gloires sur lesquelles le public est invité à balancer des polochons. Tendresse? L'auteur en est capable quand il le faut; mais il sait aussi peindre les aigreurs de ces "has-been" aigris qui croient encore, bien qu'âgés et hors d'état de nuire, que tous les égards leur sont dus.

Le narrateur lui-même, s'il sait penser, n'échappe pas à ses propres contradictions. Il se dit apolitique et athée, refusant toutes les religions, qu'il considère comme autant de responsables de morts innombrables - mais un certain athéisme n'a-t-il pas, lui aussi, un peu de sang sur les mains? Face à cela, seul un déisme bien compris, Daïmôn personnel à la manière de Socrate ou GADLU (Grand Architecte De L'Univers) à la façon des francs-maçons, aurait pu, peut-être, lui offrir la voie étroite d'une solution acceptable. Le bonhomme tient par ailleurs à la liberté, à la paix, à la nature; or, on a aussi tué au nom de la liberté et de la paix; quant à la nature, certains n'hésitent pas à affirmer que sa sauvegarde est devenue une religion... voilà un peu ce que j'aurais eu envie de dire au bonhomme! Bonhomme qui, du reste, respecte les sentiments religieux et les accommodements qu'on trouve pour les mettre en harmonie avec sa vie sur Terre.

Jouant un peu trop volontiers sur la corde des souvenirs racontés à la manière de vieux récits de guerre, ce roman laisse donc l'impression d'être très tourné vers le passé, malgré tout. Le prière d'insérer le rapproche d'un certain Woody Allen; j'ai plutôt l'impression qu'on est dans le road (ou rail) story, avec aussi quelques ingrédients du roman picaresque (récits enchâssés, bonnes fortunes, etc.), sans en avoir le souffle ("A l'ombre de la marquise" pèse un peu plus de 200 pages, écrites assez gros). Reste que le style d'Yvan Dalain, s'il reste simple (il pourrait jouer davantage sur les rythmes de narration, par exemple, afin d'obtenir de bons effets dramatiques), a le mérite d'être fluide; les chapitres sont courts, découpés en paragraphes brefs - donc de quoi faire en sorte que malgré les approximations de tout poil, ça se lit très vite.

Yvan Dalain, A l'ombre de la marquise, Vevey, L'Aire, 2003.
Photo de l'auteur:
http://www.images.ch.

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20 juin 2009 6 20 /06 /juin /2009 19:53

En cette fin de printemps, les éditeurs Faim de siècle et Cousu mouche misent sur la jeunesse, plutôt deux fois qu'une: ils viennent de publier "Les Inchangés" de Magali Bossy, ainsi que "Darwin mon amour" de Marie D. Hayoz. Les deux auteurs ont 19 ans. Sur ce billet, je m'en vais évoquer ma lecture de "Darwin mon amour", un bref recueil de nouvelles que j'ai eu le bonheur de lire aujourd'hui.

Il y a du travail dans cet ouvrage, un travail pertinent. Darwin? L'auteur prend le contre-pied du père de l'évolutionnisme dans le cadre de la nouvelle qui donne son nom au recueil. Celle-ci met en scène un bonhomme dont l'ambition majeure est, comme l'y pousse la société, d'être le meilleur en tout. La vie se charge de lui démontrer que ce n'est pas forcément possible. Conscient d'être minable, il cherche à sauver les apparences. Les exemples sont puérils, mais peut-être un peu vrais pour l'un ou l'autre des lecteurs: ne sortir que de gros billets de l'automate de la banque, aller manger son sandwich en cachette, un peu honteux. Naturellement, le bonhomme est égoïste/égotiste, ce que l'auteur souligne en alignant les "je", si possible en début de phrase (p. 16). Narcissisme? Il y a là un rayon de soleil prénommé Daniella. Mais celui-ci fuit l'odeur de renfermé que dégage le personnage principal. Jusqu'au moment où il pète un câble, au sens le plus littéral, et fait ce que tout le monde rêve de faire: il passe son PC par la fenêtre.

Dès lors, commence la dégénérescence, la dé-darwinisation. Face à l'ordinateur en panne, déjà, l'humain adopte des comportements typiquement animaux (à ce propos, on se référera avec profit à l'ouvrage collectif "La tyrannie technologique"). Violence? L'auteur peint alors le "retour aux arbres" (back to the trees?) du personnage, qui finit par se déplacer à quatre pattes, par se retrouver nu... et, enfin, par respirer et sourire, comme une bête.

Le recueil est traversé par les jeux de faux semblants et de masques. Tel est le ressort majeur de "Mutation X", deuxième nouvelle de l'ouvrage, traversée par la chirurgie esthétique et par les transformations que l'âge impose à l'humain. Il y a aussi l'angoisse de celui qui parvient à tout se payer (mariage, divorce, amour, etc.) et constate que le monde devient bien petit quand on le ramène au fric - seule la mort est gratuite, et devient ainsi le seul bien désirable du personnage principal de "Krach monétaire".

Il y a de l'habileté dans ces nouvelles, rapides, concises, écrites dans une langue fluide, qui offrent en outre une galerie de portraits réussis! Un talent romand à suivre, donc.

Marie D. Hayoz, Darwin mon amour, Genève/Fribourg, Cousu mouche/Faim de siècle, 2009.

Photos: 
http://www.cousumouche.com  

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10 avril 2009 5 10 /04 /avril /2009 18:50

Ambitieux programme que celui que se fixe le roman "Pas du tout Venise" de l'écrivain valaisan Virgile Elias Gehrig, né en 1981! Dès le début, l'auteur considère que son récit commence mal, et en particulier qu'il est différent, en cela, des ouvrages lyriques et autres histoires naïves. Entre les lignes, on devine que l'auteur a l'ambition de ne pas avoir noirci du papier pour rien. Défini a contrario, souvent par des phrases négatives, ce livre est-il vraiment un livre? En tout cas, le lecteur se sent indirectement flatté d'avoir choisi d'entrer dans un roman clairement défini comme n'étant pas celui de Monsieur Tout-le-monde, voire comme un roman présenté comme profondément original. D'emblée, le titre prend tout son sens: "Pas du tout Venise" est loin de tout roman touristique, anecdotique, il refuse d'être un musée qu'on visite sans véritable empathie pour ce qui est présenté - à la manière de Florence, également mentionnée, assez curieusement (l'auteur avait Venise, qu'avait-il à aller chercher Florence? Même si c'est un peu pareil...), comme métaphore du lieu touristique et contrepoint à la trop réelle chambre d'hôpital. "Ici, l'encre, c'est du sang et le papier, c'est notre corps", écrit l'auteur, en p. 11 déjà, soulignant que le lecteur va se salir les mains au contact du réel.

Et c'est avec lenteur que le récit se développe, "par sédiments", comme dit le prière d'insérer. D'emblée, le lecteur est plongé dans un immense réseau de répétitions, de redites des scènes du roman sous divers angles, avec diverses métaphores et images - telles la gifle qui claque comme la porte du taxi de Tristan, personnage à travers lequel le lecteur est invité à suivre le récit. La métaphore filée du théâtre, au début, contribue à créer un flou entre le réel, trop réel, et le roman qui, par nature, implique une prise de distance: le personnage principal a un look d'étudiant si étudié qu'on peut penser qu'il joue son propre rôle plutôt que de vivre sa vie. Il y a, enfin, pas mal d'apprêt dans le style de l'auteur, très écrit, maîtrisé, étudié, aux oralités calculées.

Et la vie de Tristan, dans ce roman, c'est peu de chose - et pourtant quelque chose d'essentiel. Résumons, cela prendra peu de temps: Tristan, ses trois frères et soeurs et son père Charles vont assister au débranchement des machines de Vive, la mère. Puis l'aumônier lui offre deux livres de Friedrich Nietzsche afin qu'il puisse poursuivre sa réflexion sur Dieu... et son absence. Vive, c'est un nom improbable; mais l'auteur s'amuse sans retenue à jouer avec ce prénom qui, dans un contexte où la mort rôde, revêt un sens qui n'a rien d'innocent.

Le jeu de mots n'est qu'un élément, et sans doute pas le plus important, de la richesse foisonnante, presque excessive, de ce roman où l'auteur semble avoir mis tout ce qu'il pouvait mettre. On se retrouve ainsi rapidement basculé dans des allusions à la mythologie grecque, ce qui ramène illico à Albert Camus et à son "Il faut imaginer Sisyphe heureux" (la dernière phrase du roman est une allusion très directe, et la vie semble parfois être aussi absurde que de pousser un caillou qui retombe inlassablement). On perçoit un regard critique sur les religions, mais aussi sur les attitudes qui remplacent Dieu par la Raison ou par quelque chose d'autres. A ce titre, le chapitre XIII est emblématique. Son chiffre, chiffre des superstitieux, est déjà un programme, qui renvoie au treizième étage, où Vive se trouve dans le coma. Et voilà que l'auteur s'y embarque dans une description du collège de médecins en grands-prêtres de la déesse raison, reproduisant les rituels d'une grand-messe catholique. La charge est lourde, le vocabulaire choisi: même face à la science, il faut avoir la foi!

Ce foisonnement a une autre corollaire, mentionnée de manière très factuelle dans le prière d'insérer: "Pas du tout Venise se révèle ainsi une traversée orphique plus riche et plus étrange que tout ce que l'auteur enavait espéré en l'entamant." Vrai: le lecteur y verra ce qu'il veut bien voir - j'y perçois quant à moi beaucopu de lyrisme, ce qui contredit l'ambitieux programme de l'auteur. "On n'écrit jamais seul", écrit d'ailleurs celui-ci en p. 56; l'idée est que le lecteur est un acteur à part entière du roman, dans la mesure où il lui donne du sens - le sens qu'il trouve, des sens nouveaux ou inconscients. Les occasions sont multiples et, face à des idées qui semblent parfois décousues, le lecteur n'a plus qu'à nouer lui-même les fils, voire à retrouver le fil d'Ariane (eh oui! Même elle fait une fugace apparition dans ce texte de 227 pages, citations comprises).

Remplissage? On peut en avoir l'impression une ou deux fois, par exemple quand l'auteur recourt au procédé commode du flash-back pour cerner ses personnages, leurs liens, leur vécu - et par exemple le goût de Vive pour les cygnes. Mais force est de constater qu'à sa manière, le programme initial est respecté: l'auteur touche, de manière originale et poétique, à ce qui doit être un drame intérieur pour toute personne qui y est confrontée.

Illustration: la couverture du roman - dessin de Jean-Bernard Pitteloud

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20 février 2009 5 20 /02 /février /2009 22:22

... telle est la réflexion que je me suis faite au fil de ma lecture de "La Vie mécène", roman publié en 2007 aux Editions L'Age d'Homme par l'écrivain suisse Jean-Michel Olivier. Un argent qui peut tout (acheter une équipe de football, monter une collection d'art, combler des amis ou une épouse, garantir le silence d'un journaliste,...), ou presque. La lecture de ce roman, campé dans une Genève connue pour être la capitale mondiale de la banque privée, s'avère riche en excellents moments, parfois même jubilatoires, autour de la destinée d'Elias S., un personnage trouble, mécène généreux aux yeux du grand public et d'une certaine presse peu curieuse, personnage aux limites du truandage pour le lecteur invité, rare privilège qu'il convient d'apprécier à sa juste valeur, à visiter les coulisses de l'action.

Pour son propos, l'auteur choisit le récit à plusieurs voix, qui permet, et c'est une richesse, d'offrir des points de vue divers sur un seul événement. Le lecteur découvre donc les témoignages successifs d'une belle brochette de personnages, tous assoiffés d'une vie meilleure, plus argentée, plus riche en reconnaissance: une escort girl, un artiste, un journaliste, un artiste-peintre, l'épouse d'Elias - pour ne citer qu'eux. Voix est donc donnée à l'entourage le plus significatif d'Elias S., mais pas à celui-ci même. L'effet est saisissant: on le découvre en creux à travers ceux qui le côtoient peu ou prou, mais l'absence de son témoignage fait de lui un personnage plus désincarné, plus idéalisé que les autres. Un dieu nourricier? Ou, à défaut, un saint? C'est une piste que l'auteur n'exclut pas; il la suggère même à travers la parole de César, coach brésilien du FC Servette: "Monsieur Elias, c'était un peu comme Dieu: il réglait les factures, mais on ne le voyait pas souvent.", dit-il (p. 244). Cela, sans oublier le nom éminemment biblique du personnage, qui met le lecteur sur la piste.

Elias S. constitue également le point de liaison entre la brochette de personnages appelés à témoigner, pas forcément liés entre eux. C'est au fielleux journaliste Etienne Jargonnant, observateur mais non acteur comme tous les journalistes, qu'il revient d'ouvrir et de conclure le récit. L'incipit évoque avec raison la "pêche miraculeuse": d'emblée, on repêche le cadavre du "gros poisson" Elias S. dans le lac Léman, lesté de lingots d'or; mais avant cette pêche d'un anonyme, combien de personnes auront eu l'opportunité de faire une fortune très concrète à son contact? L'article de journal qui ouvre le récit est du reste révélateur de l'art du plumitif médiocre mais qui se la joue: des phrases clichés telles que "excusez du peu!", le côté ouvertement partisan de la chronique sportive, quelques helvétismes mal maîtrisés ("tabelle", p. 13). L'auteur donne ainsi l'impression qu'on lit la "Tribune de Genève", journal quant même assez local en dépit d'une présentation ambitieuse (cahier international, cahier local, cahier sportif, cahier culturel, prolongement sur les blogs du site du journal, etc.)

A cet aspect "gros poisson" fait écho le tout premier chapitre de l'ouvrage, où l'on voit de riches Français trembler le soir où François Mitterrand est élu à la présidence de la France et organiser, du coup, le transfert de leurs richesses les plus voyantes vers la Suisse. Tel est le premier travail, le péché originel d'Elias S., accompagné d'Alias, son homme de main.

Le journaliste? Parlons-en, après ce bref interlude. Observateur, Etienne Jargonnant (qui porte bien son patronyme) est placé dans la situation du plumitif appelé à écrire sur tout ce qui bouge, passant de la Red Holstein au Steinway sans aucune transition ni véritable compétence dans l'un ou l'autre de ces domaines. Ses articles sont régulièrement cités dans le roman, entachés de jugements de valeur gratuits. Mais s'il parle beaucoup (on dirait une de ces "gueules élastiques" qui sont le stéréotype du Genevois... mais Etienne Jargonnant est maori!), il peut peu. On ne le voit guère agir, et face aux charmes redoutables d'Elisa, c'est le seul personnage masculin qui restera insensible. Littéralement impuissant, aurait-on envie de dire.  

Et, puisqu'on parle de noms proches, qu'en est-il d'Elsa? Rebaptisée Elisa, elle devient l'escort girl vedette de l'agence que tient Elias S. Une escort girl qui se mue régulièrement en exécutrice des basses oeuvres du personnage clé de ce récit (meurtre du conseiller d'Etat Mouduneux, espionnage). Elle permet par ailleurs à l'auteur de développer, dans sa bouche, les thèses d'Esther Vilar, qui disent en substance que la femme tient l'homme par le désir, et que c'est là que réside son formidable pouvoir. Ayant compris cela, Elisa parvient systématiquement à ses fins, réalisant les mandats que lui confie Elias S., son patron. Et puisqu'on parle de relations hommes-femmes, on peut aussi se demander, en lisant ce roman, quelle est la véritable nature de la relation entre Deborah Saire, pianiste classique convertie au jazz sous l'impulsion d'Elias S., et Oscar Peterson.

... Oscar Peterson, une célébrité! L'auteur s'amuse en effet au jeu du namedropping, à sa manière. Oscar Peterson est régulièrement rebaptisé "O. P.", comme s'il y avait une familiarité un peu déplacée. Mais l'agent artistique du pianiste de jazz canadien est également cité, et c'est grâce à de tels illustres anonymes que l'auteur parvient à faire la jointure entre le réel et la fiction. Le récit mentionne également un avocat, star du barreau, nommé Deume. Les plus attentifs auront fait le lien avec Adrien Deume, personnage de "Belle du Seigneur" d'Albert Cohen; mais la jointure entre les deux n'intervient qu'assez tard dans le récit, avec un certain esprit et beaucoup de pertinence, puisque la Société des Nations, employeur d'Adrien Deume, présenté comme le père de l'avocat (telle est l'astuce, et la passerelle d'une fiction à l'autre), a son siège à Genève. Quant au nom de "Mouduneux", certains penseront à Laurent Moutinot en le lisant; mais l'auteur, subtil, se garde bien de tracer un lien indiscutable entre les deux personnages. Il brouille même les pistes: la bouffarde de Mouduneux fait plutôt penser à un autre politicien suisse en vue, vaudois celui-là: Josef Zisyadis... L'auteur, enfin, lâche encore quelques noms de marques luxueuses (Yves Saint-Laurent, Gucci, Silvio Berlusconi,...) afin d'asseoir l'odeur de fric qui doit émaner de Genève.

Un stupéfiant roman urbain, donc, à l'écriture parfois ludique (enceinte du petit Jonah, fils d'Elias S., Isabelle se compare à une baleine...) et toujours dynamique. On a affaire ici à tout un récit qui dresse, en creux, le portrait d'un personnage riche à millions, qui en fait profiter les autres... sans jamais oublier que derrière toute fortune, se cache un crime, et que la ville de Calvin n'est pas d'office lavée de tout péché. Vie mécène, donc, vie qui donne, mais peut aussi vous enlever ce que vous avez de plus cher - avec la mort criminelle de son fils de cinq ans, Elias S., homme par ailleurs comblé, en fera lui-même la douloureuse expérience.

Du tout bon.

Jean-Michel Olivier, La Vie mécène, Lausanne, L'Age d'Homme, 2007.
Le blog de l'auteur:
http://jmolivier.blog.tdg.ch/
Le site de l'auteur: http://www.jmolivier.ch

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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 18:03

"Des nouveaux médias qui produisent des formes qui, à cause de la vitesse de leur apparition, sont tout de suite illisibles, non reconnaissables, mais si cool." (p. 146)

Retard? Je m'en vais vous parler, ce soir, d'un roman publié en 2001, qui a obtenu la même année le rare prix Georges-Nicole, décerné par la ville suisse de Nyon. Il s'agit, plus précisément, de "Aires de repos sur l'autoroute de l'information", sous-titré "Chroniques". Entre le moment où je l'ai vu en librairie et le moment où je l'ai acquis, c'est toute une série de rendez-vous manqués qui jalonne l'histoire de ce texte: le temps que je décide de l'acheter, il n'était plus sur les rayons; il a donc rejoint ma liste à lire, et c'est finalement tout par hasard, lors d'une séance de dédicace au Salon du Livre de Genève 2006, que j'ai enfin pu l'acheter. Puis le lire, en ce début d'année, après lui avoir infligé un séjour prolongé sur la pile à lire.

Rappelons avant tout qu'à l'époque de la publication de cet ouvrage, on utilisait volontiers ce terme d'"autoroute de l'information", qui sonne un peu désuet aujourd'hui, alors que les bandes passantes de nos connexions Internet ont plutôt la vitesse d'avions de chasse. Reste que l'auteur, dans ces pages poétiques qui évoquent sa vie entre Lucerne, Berlin, Paris et quelques autres villes, a très bien su capter la vitesse de l'information d'aujourd'hui, et pas que sur Internet. De loin pas, même. Et son rythme est tel qu'on recherche, presque en vain, ces fameuses "aires de repos"...

Le réel devient, sous sa plume, une métaphore du monde virtuel, de cet univers d'Internet où l'on surfe (ou zappe) sur des pages chargées d'informations jetées en une clignotante pagaille. L'attention du lecteur est retenue à intervalles réguliers par des "inserts" qui rythment un texte à la manière de vues en très gros plan sur des objets, des gens, des choses vues. Une telle approche n'exclut pas le namedropping, sous toutes ses formes: l'auteur mentionne pêle-mêle les maîtres écrivains du passé et du présent (Honoré de Balzac, Saul Bellow, Michel Houellebecq mais aussi Jean-Charles Massera), mais aussi les produits - ce qui confine au matraquage (publicitaire?) dans une mémorable évocation des bonshommes Playmobil (p. 190).

Les langues étrangères s'incrustent dans le récit, en particulier l'allemand (beaucoup) et l'anglais (un peu). En particulier, les noms de localités sont mentionnés dans la langue qui y est parlée, un peu comme dans un horaire de chemins de fer. Sinon, on trouve de nombreuses phrases en allemand, parfois totalement surréalistes, tirées de tout contexte qui leur donnerait un sens - une manière de recréer le trou de serrure par lequel on est souvent obligé d'observer le monde, ou de métaphoriser la diversité agressive de certaines pages Web. Les phrases en allemand sont en général traduites en note, rarement de manière géniale - sans doute est-ce volontaire, comme si le travail avait été fait... à une vitesse autoroutière. Enfin, on décèle quelques calques de l'allemand dans le français même de l'écrivain: l'utilisation du terme "démonstration" pour "manifestation" (en allemand "Demonstration"), ou "prise" pour "pincée (de sel)" (p. 157, en allemand "Prise"), etc.

Alors, est-ce un immense bazar sans queue ni tête? Que nenni. L'auteur se livre à une autofiction, reprenant des éléments ce qu'il a vécu à la fin des années 1990. Plutôt que de dramatiser une existence de bourlingueur finalement déjà lue, l'auteur lui donne un tour neuf (et c'est là la force de ces pages) en jouant à fond, et avec succès, la carte du style. Déjà évoqués, les inserts rythment le texte et sont d'une précision hallucinante, à tel point qu'on perd presque la vue de l'ensemble de la chose montrée. Poète, l'auteur joue également sur l'itération et sur l'accumulation pour donner au lecteur l'impression de foisonnement qu'il peut ressentir quand il pense à la déferlante d'informations qui lui tombe dessus jour après jour. Un seul exemple? Une longue et compacte énumération de rues de Paris, en pages 126 à 130.

Autant d'éléments qui donnent à cet ouvrage le caractère fort, envoûtant même, de certaines oeuvres picturales modernes hautes en couleur - collages de Robert Rauschenberg ou installations utilisant une télévision aux images frénétiques.

Yves Rosset, Aires de repos sur l'autoroute de l'information, Orbe, Bernard Campiche Etditeur, 2001.  

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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 23:45

L'un des marronniers du monde des blogs consiste à opposer la presse écrite, qu'on soupçonne à la fois d'être complaisante et corsetée de règles strictes, et la blogosphère, qu'on pare d'une grande vertu de liberté de ton. Plutôt que de chercher à démontrer que les blogueurs peuvent aussi être la clientèle captive des services de presse, j'ai envie d'attaquer le problème par l'autre bord en démontrant que la presse papier quotidienne peut aussi faire preuve de liberté. Pour joindre un exemple à ce postulat, je vous livre ci-dessous un article que j'avais écrit pour le journal fribourgeois "La Liberté" au sujet d'un ouvrage de Jacques Guyonnet. Ce papier a paru le samedi 17 février 2001. Cela fait donc un bail... et permettra aux intéressés d'ajouter un vieux truc difficile à trouver à leurs listes à lire.

C'est parti!


Un cocktail pour retrouver le Big Bang

Roman - Recette pour On a volé le Big Bang, "roman policier théologique et faiblement sexuel" de Jacques Guyonnet: prendre une trame narrative totalement jetée, parfois aussi claire que Le Festin nu de William Burroughs, sur fond d'Etats-Unis et d'actualité. Y introduire l'Estripador, également connu sous les noms de Jacques ou Le Coq, afin de résoudre l'énigme posée dans la trame par le vol du Big Bang, qui rend tout effet orphelin de sa cause première. L'Estripador doit être naïf, conscient de son statut de héros de roman et passionné de cocktails qu'il n'arrive jamais à boire. Lui adjoindre quelques femmes qui font naître des fantasmes raffinés: Oriane Park, Josefina et quelques autres. Laisser interagir jusqu'à obtention, après divers stades d'un érotisme sophistiqué, d'un mélange amoureux stable. Saupoudrer d'éléments théologiques: apparitions papales ou même divines. Incorporer à la masse des personnages tels que Bill Clinton, Philippe Sollers, Wolinski. Le mélange doit être présenté dans un verre approprié: le style littéraire d'un bateleur de mots à la San-Antonio, teinté d'espagnol et d'anglais. Vous obtiendrez un roman généreux à plusieurs voix, nappé d'une solide couche d'humour. Attention: le cocktail peut être épuisant à force d'être délirant. Il fait suite à Idéale maîtresse, autre mixture du même auteur.

Jacques Guyonnet, On a volé le big bang, La Margelle et Melchior, 279 pages.  

Site de l'auteur: http://www.margelle.org
La Liberté: http://www.laliberte.ch

Nota je viens de terminer les corrections de l'article - la honte sur moi, piètre copiste décidément!  

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28 septembre 2008 7 28 /09 /septembre /2008 21:27

Avant tout, qu'on soit averti: le roman "Le dernier jour de l'espion Reiss" n'a rien d'un thriller, au contraire. Ecrit dans sa langue maternelle par l'écrivain allemand (mais installé en Suisse) Eberhard Raetz, cet ouvrage relate la dernière journée d'existence d'un espion soviétique juif nommé Ignace Reiss. De la blague? Que nenni: l'écrivain a utilisé pour son récit un fait divers réel, survenu à Lausanne en 1937, et l'a transposé dans la fiction. La version française publiée en avril 2008 par les éditions de L'Aire présente quelques faiblesses (noms de lieux restés en allemand, transcription "à l'allemande" des patronymes, participes passés accordés de manière aléatoire), mais permet de donner une excellente idée du roman d'origine.

Quelles en sont les qualités, en effet? Avant tout, et puisque c'est du sérieux, l'auteur s'appuie sur une documentation qu'on devine soignée - et colmate les trous avec sa propre imagination. Celui qui connaît Lausanne, par exemple, reconnaîtra sans peine les environs de la Place Saint-François, où se passe une bonne part d'une action décrite heure par heure, comme au microscope. On y reconnaît l'Hôtel de la Paix, dont l'auteur recrée l'ambiance "rastaquouère" de l'époque, mais aussi la confiserie "Chez Nyffenegger", qui existe encore aujourd'hui, ou la gare elle-même.

L'auteur écrit par ailleurs également quelques très belles pages sur le Valais. Son personnage s'est réfugié à Finhaut, en effet, et s'intéresse aux montagnes qui l'entourent et aux personnages qu'il côtoie. Il y a là quelques rencontres, quelques coups de main - les personnages de Finhaut sont peints comme des montagnards à l'esprit pratique, chasseurs; quelque part, ils rappellent les héros d'un certain Charles-Ferdinand Ramuz.

Et les âmes, alors? Elles ne sont pas en reste, Ignace Reiss en tête. Le bonhomme finit par devenir familier au lecteur. Il s'agit d'un espion soviétique qui souhaite sortir de ce système, écoeuré, mais finira par se retrouver face à ses vieux démons - plus précisément face à l'informatrice Schildbach, odieuse, collante, dévouée au régime, qui le fera tomber. Au gré des pages, Ignace Reiss repense aux horreurs qu'il a connues dans le cadre de son service au régime stalinien: arrestations arbitraires, climat de suspicion, paranoïa au quotidien, etc. L'homme a en outre une femme et un enfant, auxquels il pensera pour ainsi dire jusqu'à son dernier instant. Autant dire, et c'est la force de ce récit, que l'on a un portrait en trois dimensions d'un personnage d'espion fort intéressant.

Tout cela constitue donc un roman qui n'a rien d'un thriller (si ce n'est un mort), qui privilégie une certaine introspection... le tout, sans oublier la figure tutélaire de Marina Tsvetaeva.

Eberhard Raetz, Le dernier jour de l'espion Reiss, Vevey, L'Aire, 2008. Traduction par Laurent Schlittler, illustrations Gilles Emmanuel Fiaux.

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21 août 2008 4 21 /08 /août /2008 20:41

"Martyre" au sens étymologique de "témoignage", bien sûr! En 2003, l'écrivain genevois Michaël Perruchoud donnait vie, autour d'une table de bistrot, au personnage de Kevin Ier, pape super-djeun et super-cool, censé relancer cette machinerie poussive et vieillissante qu'on appelle l'église catholique. Ni une ni deux, de la table de bistrot, le personnage est passé à la table de travail de l'auteur. Il en est résulté un bref, trop bref roman, intitulé "Le martyre du pape Kevin", publié conjointement par les éditions Faim de siècle et Cousu Mouche (ou le contraire, puisque Michaël Perruchoud est responsable des secondes). 

Trop bref? Je le répète, tant on aurait aimé connaître davantage de péripéties de la papauté de ce jeune gaillard de 32 ans, Latino originaire des Etats-Unis, qui pratique le surf et le rap. Rappelons rapidement l'action: quelques caciques de l'église catholique s'inquiètent de l'avenir de leur maison, et décident de faire appel à des consultants pour savoir ce qu'il faut faire pour continuer. "Ostap Bender Consulting" (les lecteurs d'Ilf et Petrof comprendront l'arnaque à venir), entreprise retenue, dit qu'il faut rajeunir le pape lui-même. A partir de là, les péripéties peuvent commencer... 

Elles ne manqueront pas, et deux d'entre elles au moins renvoient à des événements historiques qui nous ont bien fait rigoler ou pleurer ces dernières années. Le premier, à savoir la découverte de traces de sperme sur le slip vert pomme du pape, nous renvoie immédiatement aux heures glorieuses de l'affaire Lewinski, qui fit le tour du monde en partant des Etats-Unis. La seconde, à savoir les funérailles éperdues de l'homme, empruntent plus d'une image au décès de Lady Diana Spencer. Quand on lit, impossible de ne pas faire le lien quand on voit des fidèles en larmes déposer des fleurs, ou quand on lit qu'un chanteur anglais fameux recycle un de ses vieux tubes. 

Mais l'auteur ne s'arrête pas à l'actualité. Son ton est certes souvent assez neutre (on l'a connu plus charnu, par exemple dans "Crécelle et ses brigands"), mais il est volontiers rehaussé de quelques piques et traits d'esprit qui en paraissent d'autant plus savoureux. Il n'est qu'à penser à cette dénonciation de la xyloglossie endémique de certains consultants qu'est le dialogue ci-dessous: 

"- Qu'entendez-vous par physique avantageux fédérateur? 
- Notre nouveau pape doit plaire aux femmes."

Et plaire aux femmes, c'est ce qu'il fera de mieux. Reste que sa fin touche au grand-guignol médiéval, puisqu'il mourra la tête pourfendue à coups de hache, du fait d'un prêtre de la campagne britannique, l'esprit proche de la terre et la tête près du bonnet. Ainsi se rapprochent les éléments les plus primaires et le monde prétendument raffiné de la communication, un monde qui a l'oeil davantage rivé sur les sondages que sur l'humanité. Un monde qui a fait du pape un produit... un produit qui pose problème et dont on peut imaginer qu'on cherche à se débarrasser dès qu'il devient encombrant (et là, pas besoin de lourdes raisons pour tirer sur la gâchette). D'où, naturellement, la théorie du complot quant à la mort de Kevin Ier... Même cela ne lui sera pas épargné. Quant à sa succession, elle sera réglée par une "Pope Star" qui n'a rien à envier à certaines émissions actuelles dont le nom commence justement par "Star". 

Le catholique le plus pointilleux et le plus curieux trouvera donc certes quelques détails à corriger dans ce petit roman; mais au fond, qu'importe? Pour peu que l'on admette que Dieu a de l'humour, l'histoire passera très bien et permettra de réfléchir. Sans compter que la hiérarchie catholique n'est de loin pas la seule à en prendre pour son grade, oh que non...

Le site de l'éditeur: http://www.cousu-mouche.com
Le site de l'autre éditeur: http://www.lecture.ch

Michaël Perruchoud, Le martyre du pape Kévin, Genève/Fribourg, Cousu Mouche/Faim de siècle, 2003. 

 

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19 juillet 2008 6 19 /07 /juillet /2008 21:12

... aurait-on envie de dire, joueur, au terme de la lecture de "L'Annonce faite à Joseph", premier roman d'Ivan Sigg, auteur et artiste dont j'ai déjà eu l'occasion de parler. Cet ouvrage a paru en 1999, et a dû faire rigoler dans pas mal de chaumières.

De quoi s'agit-il? L'auteur s'attache à retracer les quinze premières années, soit les années d'enfance, du petit Vladi, fils de Joseph (psy au tempérament sanguin voire stalinien qui déborde sur son fils) et de Marie (instit), couple de communistes convaincus. Le récit s'étend donc principalement des années 1960 à 1975, avec un excursus en 1956 (il faut bien raconter comment les parents se sont connus!) et en 2056 (il faut bien dire comment Vladi est mort).

Avant tout, saluons l'aspect confortable de la lecture: l'auteur a choisi de décliner son roman en "clichés" qui sont autant de brefs chapitres. Il propose ainsi au lecteur de feuilleter son albume de famille, y compris les photos perdues. Et comme une photo est censée immortaliser un événement exceptionnel, le récit ne manque pas d'action et de hauts faits évoluant entre Rabelais et le Cervantès du Don Quichotte. Cela, naturellement, avec quelques piques aux Allemands de l'Occupation, aux Suisses alémaniques (que l'auteur nomme "Suisses allemands"), aux communistes de France et d'URSS, etc.

Ayant lu également "La Touffe Sublime", je n'ai pas pu m'empêcher de comparer... le propos de "L'Annonce" ne se prête pas, en tout cas pas toujours, à la truculence qui caractérise "La Touffe sublime". Mais patience! Le lecteur sera servi. L'enfance du petit Vladi sera marquée par l'ingestion de vers blancs, par l'apprivoisement du territoire qui lui est imparti dans la "Voleveau" familiale, par l'apprentissage traumatisant de la natation, et par quelques piliers que sont, notamment, Pif et son gadget et la science-fiction. Il y a quand même quelques pages mémorables, à l'exemple de la mise du fenouil au vide-ordures.

En revanche, la prose de l'auteur ne saurait décevoir, et le jeu de mots le plus débridé et (parfois) le plus improbable  vous attend à tous les coins de page. Vous aimez les calembours à la chaîne? Vous serez servi. Les à-peu-près démentiels qui s'enchaînent? Il y a de quoi faire, de quoi se marrer même. Et de quoi se demander où l'auteur va chercher tout ça: à "Notre Père qui êtes odieux", titre de chapitre, répond tout naturellement un autre chapitre dont le titre est "Notre Mère qui êtes osseuse". Parfois, il vaut la peine de relire deux fois une phrase ou l'autre pour être sûr de n'avoir rien oublié... Tout cela donne à la moindre frasque de Vladi un côté épique et hénaurme, jouissif même, que n'auraient renié ni un Rabelais, ni un Albert Cohen. Et je vous laisse découvrir quel sens l'auteur donne au mot "crevette"... avec tous les potentiels que cela recèle.

Etonnant au début, l'ouvrage finit donc, au bout de ses 206 pages (avec générique de fin et table d'orientation)  par emporter l'adhésion hilare du lecteur... Bonne lecture, et bonne rigolade!

Dessin: une planche de Pif le Chien par Cabrero Arnal.
www.pif-collection.com

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26 juin 2008 4 26 /06 /juin /2008 20:31

Pour créer une esthétique du flou, il faut être très précis... c'est le défi que s'est lancé Laurent Trousselle en écrivant "Marche, arrêt, point mort", un roman qui, outre sa trame de thriller, constitue un tour de force linguistique et littéraire. Pourquoi? Vous le comprendrez en le lisant jusqu'au bout, je ne déflorerai pas le fin mot de l'affaire. Simplement, sachez que ce court roman, écrit par un auteur belge installé près de Zurich, est original, très travaillé mine de rien, et recommandable en fin de compte.

Je commence par rappeler brièvement le récit, narré à la première personne par une personne qui habite en Suisse et se mue en terroriste autonome après un grave accident d'alpinisme. Vengeance personnelle? Revanche sur un monde qui lui semble inique? Le personnage principal a, il faut le dire, quelques motivations libertaires bien ancrées derrière la tête. Sa démonstration de l'inexistence de Dieu n'est guère convaincante (on peut bien prouver cela et son contraire, mais en définitive, c'est une question de foi, non de preuve), mais on sent là quelqu'un qui pense, qui a même un coeur, en dépit de ses habitudes soudain homicides.

Et c'est là qu'intervient le flou. Car ce personnage principal, le lecteur va le découvrir tout au long du roman, littéralement de bout en bout. Laurent Trousselle lance son propos comme un murmure: "Qui suis-je?" Cela lance le lecteur dans quelques pages très introspectives, qu'on a pu dire rebutantes mais qui fonctionnent sur un lecteur ouvert à une forme un peu alternative de thriller. Ainsi apprend-t-on que le narrateur vit à Zurich, dispose de beaucoup d'argent, parle très peu et n'a pas d'amis - personne, donc, pour lui renvoyer sa propre image. C'est dans cette première partie que l'auteur glisse plusieurs encadrés présentant certains aspects liés aux explosifs, rédigés de manière très professionnelle. Comme une idée qui passerait par la tête de la voix qui raconte...

... on voit soudain le personnage principal entrer en action. Les encadrés cessent alors, comme si, de la théorie, on passait littéralement à la pratique, qui se passe de manuel. Le personnage, lui, continue de cultiver ses zones d'ombre. Victime d'un grave accident d'alpinisme, il se rééduque en secret, tout en présentant au monde l'image d'une personne accidentée qui a besoin d'une canne pour se déplacer. L'envie de maîtriser son image (ou le flou qui entoure cette image) se traduit également dans la manière dont il achète le matériel nécessaire à la construction de bombes artisanales: certes, le personnage se procure 25 kilos de désherbant, mais il achète aussi du matériel de jardinage pour que ça fasse plus naturel. La préparation de bombes est du reste une alchimie pour le personnage principal.

Un personnage principal qui n'a pas de nom. Les figures qui évoluent autour de lui n'ont guère de visage non plus, et semblent des marionnettes de carton auxquelles l'auteur donne le plus souvent, en lieu et place de noms, les appellations conférées par le narrateur: Flicart Natel, Kiné, etc. - autant de sobriquets nés des caractéristiques qu'ont les membres de l'entourage du personnage principal. Souvent, le narrateur lance "J'exagère" - encore ce goût de la mise en scène, de la volonté de se cacher, derrière des fanfaronnades cette fois.

L'action elle-même vise à brouiller les pistes. Disciple avoué du mathématicien et terroriste Unabomber, le narrateur place ses bombes un peu partout: une fois dans un train, une fois dans une école, mais toujours dans ce havre de paix qu'on appelle la Suisse. Résultat: les soupçons se perdent entre les terroristes islamistes, les extrémistes de droite, etc. Cela, avant que l'étau ne se resserre.

L'ouvrage recèle, enfin, quelques astuces linguistiques qui ne sont pas dépourvues de sens. Le seul helvétisme manifeste est par exemple le mot "Natel", qui désigne le téléphone portable en Suisse. A ce mot original, l'auteur confère un sens nouveau: "Cet appareil permet de pister les gens comme moi, de les localiser, [...]. Vivement pour lui, qu'on se le fasse tous greffer!" (p. 150). Autre astuce importante: Ivon Trousselle prête sa signature aux rapports de police reproduits dans l'ouvrage (et en est dûment remercié), tout comme Charly Veuthey (l'éditeur, qui apparaît comme officier de la police judiciaire).

Laurent Trousselle, Marche, arrêt. Point mort, Fribourg/Genève, Faim de Siècle/Cousu Mouche, 2007

Photo: Laurent Trousselle; mot-clef-net.

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