Défi Premier roman.
Et la conversation naquit du désoeuvrement: "La disparition de l'homme à la peau cendre", premier roman d'Auguste Cheval, met en scène deux bonshommes, Pablo et Michel, qui se parlent à longueur de journée et se racontent des histoires. Il arrive même qu'elles aient prise dans la vraie vie, si dérisoires qu'elles soient, et qu'elles gagnent presque l'épaisseur d'une intrigue policière à (faux) suspens.
L'histoire est simple: la voisine vient chercher du sel chez Pablo et Michel (qui vivent ensemble), Pablo tombe amoureux de la voisine, mais celle-ci, avec son étrange mâchoire prognathe, est mystérieuse. Elle a peut-être tué son propriétaire, le fameux "homme à la peau cendre"... ce qui rajoute justement du sel à l'affaire.
Cette simplicité permet à l'auteur de développer tout un tas de récits enchâssés et d'anecdotes insolites: considérations sur des personnages romanesques de policiers, considérations sur la nature qui "ne fait pas de sauts", fables cruelles mettant en scène des bébés scorpions qui font de la gymnastique pour avoir la courbure de corps idéale. L'auteur donne ainsi à voir un monde onirique et éclectique, surfant sur l'écume des jours dans le souci de faire sourire le lecteur. Cette vision est portée encore par les dessins au trait, minimalistes et clairs, de Constant Bonard.
Il est délicieux de voir à quel point Pablo et Michel arrivent à se monter un film à partir d'indices que la seule raison ne trouverait guère concluants, laissant ainsi se développer une anti-intrigue policière. Les deux gars sont du reste attachants, à défaut d'être vraiment futés: l'un est plutôt long et sportif, l'autre est fort et large. Ils carburent au pastis et au café et, à l'instar du peuple de personnages secondaires de ce roman, leur comportement trahit quelques amusantes excentricités. Il est permis de penser à Laurel et Hardy ou à plein d'autres duos amicaux célèbres fonctionnant sur les contrastes.
Ce duo s'agrandit de la figure du narrateur, utilisée de manière originale dans "La disparition de l'homme à la peau cendre". Ni personnage clé ni abstraction omnisciente, celui-ci joue en effet le rôle de pivot entre le lecteur et les personnages, ceux-ci n'hésitant pas à entrer en dialogue avec lui; quant au narrateur, il parle sans complexe de ses états d'âme d'écrivain au lecteur, expliquant par exemple que ça l'ennuie de répéter tel épisode. Autant dire que si la conversation s'installe entre les personnages, occupant une vaste place dans le récit (son deuxième titre est du reste "Eloge de la conversation"), elle fonctionne aussi entre le lecteur et ce narrateur qui fonctionne comme un intermédiaire tous azimuts.
Enfin, si "La disparition de l'homme à la peau cendre" a un petit côté expérimental, cela n'empêche pas ce premier roman d'être doucement décalé et amusant. En particulier, il est porté par une écriture poétique nourrie d'un brin de folie bienvenu. Elle est attentive aux sonorités et aux sens des mots, ose des rapprochements inattendus et des constructions hardies telles que des zeugmas en pagaille ou de subtils distinguos entre mots de sonorités proches ou identiques, comme les flamands contre les flamants. Une faute? Non, une astuce, confirme l'auteur qui, derrière les apparences rêveuses d'une simple histoire, a décidément tout prévu avec exactitude...
Auguste Cheval, La disparition de l'homme à la peau cendre/Eloge de la conversation, Lausanne, Editions de la Marquise, 2016, illustrations de Constant Bonard.
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