Lu par Alain Bagnoud, Francis Richard.
Le site de l'éditeur - merci pour l'envoi.
Commentant ma lecture de "Des geôles" de Jean-Yves Dubath, j'avais écrit "Exigeant jusque dans les geôles". Et ayant reçu il y a quelque temps le dernier livre de cet écrivain lausannois, "Un homme en lutte suisse", je me suis immédiatement demandé si l'auteur sera aussi exigeant jusque dans les ronds de sciure. Force est de constater que la réponse est affirmative... même si ce n'est pas tout à fait pour les mêmes raisons.
L'écrivain donne la parole à un lutteur suisse, un de ces hommes musculeux qui vont se battre à deux dans un rond de sciure, selon des règles ancestrales typiquement suisses mais qui trouvent leurs racines dans la lutte gréco-romaine et une parenté dans des sports de combat traditionnels d'autres nations. Particularité: le narrateur a des lettres, ce qui lui permet de citer Honoré de Balzac et Lucien de Rubempré.
L'écrivain s'est montré exigeant avec lui-même, c'est certain. A travers ce lutteur lettré, on perçoit la voix de l'auteur, fidèle à elle-même, avec ses tours recherchés, sa préciosité même parfois. Cela n'empêche pas la précision, qui éclate dans le choix d'une terminologie exacte, quitte à utiliser des termes alémaniques. Et puis, l'on cite les adversaires, les grands noms de ce sport, d'hier et surtout d'aujourd'hui, ses lieux mythiques comme le Lac Noir, et aussi ce que l'on ressent lors des combats, nommés "passes", qu'on soit face à l'adversaire ou assis dans les gradins.
On le devine, "Un homme en lutte suisse" se distingue par une observation fine de l'art du lutteur suisse, "à la culotte": on croirait lire le témoignage d'un véritable sportif. L'écrivain amène son lecteur jusque sur le rond de sciure pour lui montrer les prises, les gestes, mais aussi les regards et les interactions entre lutteurs. Il donne aussi à ressentir l'amertume des défaites, éventuellement noyée dans le vin blanc, et l'ambiance des fêtes de lutte suisse en général. Sans compter les supporters, au premier rang desquels se trouve souvent, passionnée, l'épouse des lutteurs. Et si l'écriture est travaillée, la lecture reste claire, garante d'un moment éblouissant.
Offrant un roman bref, l'auteur a aussi la sagesse de proposer des chapitres courts, comme peut l'être une passe. Sur un sport rural populaire avant tout en Suisse alémanique, l'écrivain porte un regard suisse romand, rare et donc précieux, qui a aussi quelque chose d'urbain dans son style recherché. Ainsi, il s'aventure dans un monde inattendu, qui n'a pas encore forcément ses lettres de noblesse littéraire. C'est là un mérite suprême: avec "Un homme en lutte suisse", Jean-Yves Dubath invite ses lecteurs à plonger dans un monde nouveau.
Jean-Yves Dubath, Un homme en lutte suisse, Lausanne, BSN Press, 2016.
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