Lu dans le cadre du défi "Premier roman". Première lecture pour 2013!
Tout un monde de personnages gravite autour de Kathrin, psy et personnage central de "Les choses qui sauvent", premier roman du Valaisan Guillaume Favre. Ce microcosme est dépeint sur le mode mineur des liens qui se créent entre des personnages adultes que les grandes et petites catastrophes du quotidien n'ont pas toujours ménagés et qui, partant, exhalent doucement leurs névroses. Il est donc clair que ce sont les relations humaines qui sont au centre de ce roman, bien plus que l'intrigue elle-même - même si celle-ci trouve son origine dans un événement clé de l'existence de Kathrin: le départ incompréhensible et nimbé de mystère de son mari, Georges.
La parole des personnages devient importante. On écoute volontiers Kathrin penser, s'interroger, vivre un peu en apesanteur faute de mieux. Et s'exprimer, s'épancher même. Le personnage de Bernard, qui fonctionne à la fois comme un aimant et un repoussoir pour la psy, est-il une bouée pour elle? Amant de passage, il l'aidera à avancer. Le chapitre 9 fonctionne un peu comme un film américain qu'on voit venir de loin, et où une épreuve forte, vécue en commun, va rapprocher ces deux personnages.
A l'instar de Kathrin, chacun cherche sa bouée. La première page de couverture de ce livre est éloquente à ce titre. Diminuée, la mère de Kathrin s'efforce de profiter de ses instants de lucidité pour s'exprimer en dégustant des éclairs au chocolat (les aime-t-elle encore?). Etienne lui rend visite et lui offre des éclairs pour se donner bonne conscience - il a longtemps été alcoolique, puis a trouvé une copine qui lui a montré le caractère superflu de l'alcool, comme si une bouée pouvait en chasser une autre. Et Kathrin elle-même s'accroche à un mensonge qu'elle attribue à son mari: il a trouvé un poste de professeur aux Etats-Unis. En face d'elle, son fils Eric essaie de faire face à la vérité. Ou n'est-ce que sa propre vérité, à laquelle il s'accroche, ce qui lui permet d'accuser son père absent? La confrontation entre les deux est l'une des constantes de ce roman.
L'idée du fantasme de l'exil professionnel fait penser au roman "La fenêtre panoramique" de Richard Yates, adapté au cinéma il y a quelques années. L'évolution et l'issue de celui-ci est cependant différente, optimiste même, d'une certaine façon, sur les toutes dernières pages, qui résonnent comme une libération soudaine.
Quant aux milieux dépeints, ce sont ceux d'une classe moyenne aisée, parfois juste "arrivée", qui fréquente les vernissages. A ce titre, le personnage de Bernard, informaticien supposé peu cultivé, fait figure de pièce rapportée; cela, en dépit de ses intérêts (la chanson française est-elle un art mineur?) et d'une certaine sensibilité, y compris pour les choses de l'art (mais serait-il allé écouter la "Winterreise" en concert sans Kathrin?). Personnes ou objets, chacun cherche donc quelque chose à quoi se raccrocher dans ce premier roman qui offre le portrait en demi-teintes d'une certaine Genève, dont le lecteur familier reconnaîtra certains lieux et travers, à l'exemple des encombrements sur le pont du Mont-Blanc, métaphore peut-être d'existences trop encombrées.
Guillaume Favre, Les choses qui sauvent, Fribourg/Genève, Faim de siècle/Cousu mouche, 2012.
Le site de l'éditeur: Cousu Mouche.