Lu par Francis Richard,
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Et de trois! Rachel Maeder propose avec "Pillages" un troisième roman mettant en scène la personne attachante, finaude et pas du tout orthodoxe de Michael Kappeler. Après un intermède du côté de la Seconde guerre mondiale ("Qui ne sait se taire nuit à son pays"), ce nouvel opus renoue avec l'égyptologie. Son titre l'indique: il sera question de trafics d'oeuvres d'art antiques.
Michael Kappeler? On se souvient de ce bonhomme qui aime les femmes et la bière, qu'il déguste volontiers dans un établissement genevois nommé "La Clémence". Dans "Pillages", le lecteur a l'impression qu'il se déchaîne: il se trouve toujours là où il ne le faudrait pas et a toutes les audaces. Dans la partition bien huilée d'une enquête policière, incarnée par les forces de police officielles, Michael joue le rôle constant et exquis de la dissonance féconde.
Il n'est certes plus question, dans "Pillages", d'un meurtre au Compactus comme dans "Le Jugement de Seth". Il n'y a même guère de cadavres, si ce n'est de légitime défense... Il sera plutôt questions de vols de pièces précieuses. En connaisseuse, l'auteure met en résonance les pilleurs de tombes égyptiennes d'antan et les trafiquants d'art d'aujourd'hui, suggérant qu'ils sont semblables finalement. En historienne, elle évoque à plus d'une reprise qu'une pièce historique restaurée hors de son contexte, sans respecter les règles de l'art, n'a guère plus de valeur qu'un bibelot, certes élégant dans le salon d'une personne aisée.
Des pièces historiques égyptiennes à Genève? Cela peut surprendre, mais est parfaitement cohérent: il suffit de visiter les collections du Musée d'art et d'histoire pour s'en convaincre. Il aurait été intéressant d'en savoir plus sur l'aspect particulier de leur arrivée dans la ville de Calvin; mais gageons que cela pourra faire l'objet d'un prochain roman. L'auteure soulève cependant un coin du voile en mettant en scène le personnage fictif de Nicolas Blondel, archéologue actif en Egypte dans les années 1905. Les citations de son journal et de celui de sa femme Zélie, complémentaires, donnent une indéniable épaisseur à "Pillages", de même que les citations de la presse d'aujourd'hui ("Le Temps", "Libération", etc.), où il est question de certains aspects du trafic d'objets d'art. Un sujet d'actualité, puisque l'Etat Islamique, de sinistre renommée, tire une partie de ses revenus de la revente d'objets archéologiques. Sans compter la question des Ports Francs de Genève, lieu de commerce discret, présente dans "Pillages".
Des vols, et la police qui mène l'enquête: on l'a compris, "Pillages" est un polar, le troisième de la romancière. Il est servi par une écriture fluide, organisée en chapitres courts qui garantissent une lecture qui va vite. La fin est un peu décevante: en somme, les coupables sont connus, mais il n'y a rien contre eux... Va-t-on donc les coffrer dans un prochain opus? Le lecteur préfère garder le souvenir d'un polar qui roule, servi par une romancière parfaitement au fait des enjeux de l'égyptologie et de la muséologie d'aujourd'hui. C'est vrai, quoi: qui aurait pu croire que la préparation d'une exposition sur l'Egypte ancienne aurait pu être si trépidante?
Rachel Maeder, Pillages, Lausanne, Plaisir de lire, 2016.