Lu par Aurore, Bookseverywhere, Cledesol59, Missbouquinaix, Mots insatiables, Natacha, Nymeria, Totalybrune.
Défi Thrillers et polars.
Le futur, ce n'est pas si loin... et c'est très inquiétant! "Extramuros" est un roman d'anticipation signé Philippe Nicholson. C'est un écrivain français qui a touché à pas mal de métiers avant de venir au roman. Et avec "Extramuros", paru chez Kero, il imagine un monde pas très attrayant... d'une manière crédible qui fait froid dans le dos.
On peut, en préambule, se demander si l'on a vraiment affaire à un "polar politique", comme le suggère la quatrième page de couverture. Ce n'est guère un policier au sens classique, dans la mesure où le lecteur n'est pas en présence d'un personnage chargé de mener l'enquête pour trouver un coupable. D'une manière générale, d'ailleurs, la police est assez absente ici, si ce n'est sous forme de service de sécurité. On préférera donc voir dans "Extramuros" un de ces romans-catastrophes d'anticipation qui appellent une mise à l'écran, et saura captiver à l'écran, au moins autant que sous forme de livre.
Les thèmes d'actualité imprègnent "Extramuros". De manière convenue, il sera question du creusement des inégalités sociales, concrétisé par l'instauration de "zones" où vivent les personnes disposant d'un emploi suffisamment stable et rémunérateur et chargées de "faire des affaires". En sont exclus les gens qui, sous-qualifiés, idéalistes ou créatifs, n'entrent pas dans ce moule. Le clivage paraît comme la caricature de certaines "villes privées" comme on en voit en Amérique. Les zones sont délimitées par des murs électroniques. Comment ne pas y voir les successeurs d'autres, murs, bien historiques voire actuels, tel - entre autres - le mur de Berlin?
Autre aspect bien d'actualité, les dérives d'une société privatisée, aux mains de grandes entreprises - et aujourd'hui déjà, on peut concevoir que certaines multinationales ont le pouvoir financier et l'influence politique de réaliser le scénario d'"Extramuros". L'auteur s'avère roublard: du côté des puissants, à savoir ces patrons qui veulent avoir un pays à eux et s'arrogent l'Espagne, il place l'argument écologique, synonyme de progrès. Cela lui ouvre la porte d'une critique de certaines tendances actuelles: couvrir le désert de panneaux solaires, est-ce aussi bien que ça en a l'air?
L'auteur dépeint de façon solide et crédible deux camps qui s'affrontent en haut lieu: celui d'entreprises avides de pouvoir et celui d'un pouvoir politique certes soucieux d'équilibre, mais assez démuni face à des arguments strictement économiques qui s'avèrent écrasants. De part et d'autres, il y a des êtres humains. Les puissants le sont: l'auteur évite habilement l'écueil des personnages sans âme, et c'est à porter à son actif! On appréciera ainsi la figure de Susan Kraft, femme politique américaine de haut vol, même si l'on ne saura rien du mystère de son inamovible permanente. Mais c'est du côté des contestataires que l'auteur place sont point de vue, suggérant au lecteur de ne pas accepter un ordre nouveau imposé hors des processus démocratiques. Le romancier l'a compris: la focalisation crée l'empathie...
... et le lecteur se retrouve à apprécier le parcours de Max, ce gamin de bonne famille embarqué à l'insu de son plein gré dans une vague contestataire mondiale, et à qui son père, pour le dire simplement, dit de rentrer chez lui parce que la soupe est sur la table, même si la minute de téléphone coûte cinquante dollars. Accepter ce point de vue, c'est accepter aussi d'être dans le camp de Flynn, figure de terroriste jusqu'au-boutiste avant tout fidèle à ses idées. En introduisant un tel personnage dans un camp présenté comme foncièrement bon, l'auteur évite un manichéisme trop facile, même si l'astuce est attendue.
"Extramuros" est donc construit comme un roman à l'américaine, dont le terrain de jeu est le monde, de Marseille à Washington en passant par l'Afrique. Il n'y a rien de trop dans ces pages, l'économie du récit est optimale et l'on croit volontiers aux personnages mis en scène, si secondaires qu'ils soient: chacun a sa part d'humanité, sombre ou lumineuse. La brièveté des chapitres elle-même concourt à une lecture rapide de ce roman au style efficace, écrit pour subjuguer le lecteur en l'invitant à lire toujours plus loin.
Philippe Nicholson, Extramuros, Paris, Kero, 2015.