Lu par Amandine Glévarec, Francis Richard.
Le blog de l'auteur, le site de l'éditeur (merci pour l'envoi!).
"J'ai laissé quelque chose à Vienne, quelque chose de précieux qui m'avait été offert à Berlin." Un incipit qui est tout un programme, celui des pages qui composent le "Journal de la haine et autres douleurs". Un programme, pour ne pas dire un leitmotiv, puisque le huitième livre de Frédéric Vallotton partage avec son lectorat une blessure sentimentale et quelques fureurs et humeurs qui, rapidement, évoquent par moments le poète latin Horace: "Odi vulgum pecus et arceo". Ce "Journal" est suivi de "Musique dans la Karl Johan Strasse".
Misanthropie, misogynie? Ou simple dégoût des foules? Dans ce livre aux apparences de journal extime rédigé en 2008, l'auteur relève ce que la fréquentation de ses semblables, dans certaines circonstances, peut avoir d'odieux pour lui. Celui qui se définit comme un "auteur germanique de langue française" se sent certes à l'aise dans les villes de Berlin ou de Vienne, mais ne l'est guère du côté de Lausanne et de l'Arc lémanique.
S'il se livre à coeur ouvert, avec une cordiale sincérité, l'auteur ne manque pas de céder à une esthétique du leitmotiv à la Richard Wagner, pour mettre des mots, des éléments de phrase récurrents, sur la haine - et tourner autour d'elle comme l'on tourne à l'occasion d'une valse viennoise, d'une manière structurée, pour ainsi dire géométrique. Les références littéraires sont présentes aussi; et si Mauriac affleure, c'est surtout les auteurs germaniques, Thomas Mann en tête, qui occupent le terrain. On pourrait enfin rapprocher le souci d'esthétique littéraire de l'auteur d'un souci à maintes reprises évoqué de maintien du corps à travers les ans, assuré à coups de séances de fitness.
"Musique dans la Karl Johan Strasse" occupe la deuxième partie du livre. Débarrassé de ce système de leitmotiv, ce second journal, rédigé en 2014, apparaît plus souple et organique. Le titre fait référence à une oeuvre d'Edvard Munch, et s'avère programmatique: les jalons de cette séquence sont des expositions d'art visitées çà et là. Prolongeant les thèmes abordés dans le "Journal de la haine et autres douleurs", le diariste, en vagabond improbable ("Wanderer"), y explore différentes facettes de son identité, telle l'homosexualité, les sentiments perdus et retrouvés (figure de Cy.), mais aussi le mal de vivre, tiraillé entre des lieux chéris mais lointains. Et aussi le fait de n'être plus jeune, sans être franchement vieux: juste entre deux âges.
Les pages du huitième livre de Frédéric Vallotton mettent à nu une personnalité tourmentée, digne dans sa haine. Elle apparaît avec une franchise et une sincérité que le souci esthétique n'altère pas et qui, du coup, saura interpeller le lecteur, le faire sortir de sa zone de confort en l'interpellant, et ne saurait donc le laisser indifférent.
Frédéric Vallotton, Journal de la haine et autres douleurs, Lausanne/La Chaux-de-Fonds, Olivier Morattel Editeur, 2015.
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