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8 décembre 2016 4 08 /12 /décembre /2016 18:40

Sora Universal

Lu par Catherine Verne, La Fée Gaffe, en roumain).

Le site de la traductrice, le site de l'éditeur - merci à eux pour l'envoi!

Défi Premier roman.

 

Un hôtel à Bucarest. Disparu aujourd'hui, après avoir été affecté à divers usages: simple auberge, bordel, hôtel miteux, résidence d'étudiants. Tel est le personnage principal de "Hôtel Universal", premier roman de l'écrivaine et journaliste littéraire roumaine Simona Sora, qui vient d'être traduit en français par Laure Hinckel.

 

Les personnages qui se croisent dans "Hôtel Universal" sont ceux qui l'ont fait, et qui l'ont fait vivre: étudiants, voyante, enseignants, etc. L'auteure met en avant des figures féminines, pas toujours faciles à discerner, comme s'il s'agissait de fantômes un peu indistincts: certaines portent même des prénoms identiques, et se distinguent à l'occasion par des surnoms; et les liens apparaissent peu à peu. Chacune a cependant une ou plusieurs histoires dramatiques à raconter: des leçons de violon qui tournent au drame, une grossesse d'un père inconnu, un homme tombé d'une fenêtre dans des circonstances mystérieuses.

 

Un flou artistique caractérise la temporalité de "Hôtel Universal", un récit qui correspond à la durée de l'histoire de l'établissement, fondé au dix-neuvième siècle. Quelques marqueurs apparaissent cependant, notamment le procès sommaire suivi de l'exécution des époux Ceausescu, et parleront à celles et ceux qui ont connu ce temps. Cela dit, l'établissement paraît exister dans une certaine intemporalité. Le mystère y a aussi sa place, entre autres par le biais de ces trois pièces aménagées dans une ancienne cage d'escalier et qui n'existent pas, puisqu'elles ne sont répertoriées nulle part: il n'empêche que des gens y vivent, à l'étroit certes.

 

Autant dire qu'il n'est pas évident d'accéder à "Hôtel Universal", qui dessine un univers bien à part. La romancière opte par ailleurs pour des chapitres assez longs, pour ainsi dire exempts de dialogues et structurés en longs paragraphes, imposant une lecture lente, voire ardue par moments. Plutôt que de donner à entendre des voix, elle offre donc des personnages qui agissent, qui se souviennent, qui souffrent. D'autres voyagent aussi, offrant une respiration bienvenue en contrepoint au huis clos étouffant de l'hôtel.

 

L'humour et le pittoresque affleurent aussi par moments dans "Hôtel Universal". Et enfin, comme pour offrir au lecteur une récompense embaumée, il y a ce motif récurrent, qui justifie la surprenante couverture que les éditions Belfond ont donnée à ce premier roman: la production de confitures de roses, élevée au rang des beaux-arts, au goût et au parfum incomparables.

 

Simona Sora, Hôtel Universal, Paris, Belfond, 2016, traduction de Laure Hinckel.

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8 novembre 2016 2 08 /11 /novembre /2016 21:55

Fioretti Caravage

Lu par Biblio, Goliath, Jasmine.

Le site de l'éditeur, HC Editions.

 

Après "Le livre secret de Dante", l'écrivain et professeur italien Francesco Fioretti continue d'explorer ce qu'il y a derrière les grandes personnalités du monde culturel italien. C'est cette fois avec Le Caravage, peintre génial et maître du clair-obscur, qu'il invite son lectorat à embarquer, avec un roman historique érudit intitulé "Dans le miroir du Caravage". Pour le coup, tout se passe au début du XVIIe siècle à Rome.

 

La Rome des temps anciens est recréée avec panache, avec ses rues dangereuses où l'on n'est jamais à l'abri d'une mauvaise rencontre: factions rivales, milices privées, ennemis personnels, brigands. C'est aussi la Rome des papes, centre d'une religion catholique qui a certes sauvé les apparences après la Réforme, mais dont les personnalités continuent de s'adonner au vice tout en le condamnant chez les autres. C'est enfin un monde pressuré par une fiscalité prohibitive qui sert surtout à financer les puissants et à combler le gouffre sans fond d'un Etat dysfonctionnel. Tout cela, l'auteur l'établit avec force détails.

 

Du Caravage, l'écrivain retrace essentiellement les années de vie qui courent entre 1605 et 1610, date présumée de sa disparition. Le peintre est vu comme un génie, toujours en butte à des commanditaires soucieux de règles et de traditions devenues illisibles en raison de son souci du réalisme: les personnages peints sont à la ressemblance de leurs modèles, qui constituent un petit monde bariolé et vigoureux de prostituées et de poivrots. On les aime, on se bagarre avec, on boit des coups... et l'irréparable peut arriver, par exemple avec le décès d'Anna. L'auteur n'hésite pas à se montrer pittoresque s'il le faut pour décrire ces personnages; mais c'est aussi un roman à suspens qu'il installe autour d'eux: après tout, qui a tué Anna?

 

En donnant la parole au Caravage, l'auteur permet au lecteur d'entrer dans son intimité, de comprendre son action: l'artiste se confesse pour ainsi dire. Ces confessions sont aussi des guides de lecture des nombreuses oeuvres d'art, le plus souvent religieuses, citées au fil des pages. L'auteur a ici le chic pour attirer l'attention du lecteur sur tel ou tel élément, susceptible d'éclairer l'observation. Et l'éditeur a eu la sagesse de reproduire ces oeuvres, donnant à la lecture un tour concret.

 

Enfin, l'auteur choisit de donner une nouvelle fin de vie au Caravage, disparu dans des circonstances qui paraissent obscures si l'on s'en tient à la version officielle. C'est l'objet du dernier chapitre, où l'on se retrouve face à un autre grand artiste, espagnol celui-ci, nommé Diego Velasquez: ainsi s'effectue un passage de témoin, l'écrivain soulignant quelques parentés entre les deux créateurs et suggérant une filiation.

 

Si "Dans le miroir du Caravage" s'appuie sur un solide bagage historique, il demeure parfaitement accessible à tous, même à ceux qui ne connaissent guère l'oeuvre du Caravage. Au contraire, c'est là l'occasion d'une découverte fascinante, dans le cadre d'un beau roman qui captive.

 

Francesco Fioretti, Dans le miroir du Caravage, Paris, HC Editions, 2016, traduction de l'italien par Chantal Moiroud.

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17 octobre 2016 1 17 /10 /octobre /2016 21:42

Pirzad Jour

Lu par Clarabel, Ecriturbulente, Lecturissime, Littexpress, Pages à pages, Sylvie, Villa Voice.

 

"La maison de mon enfance était mitoyenne avec l'église et l'école": voilà un incipit qui annonce clairement la couleur. C'est celui de "Un jour avant Pâques", roman de Zoyâ Pirzâd, dont ce blog avait déjà évoqué le recueil de nouvelles "Le goût âpre des kakis". Quelques lieux simples, une langue clairement rendue dans la traduction de Christophe Balaÿ, tout est là. Et le lecteur familier de cette écrivaine arménienne d'Iran retrouvera avec plaisir les ambiances du recueil de nouvelles.

 

Loin d'encombrer son propos, la romancière a l'élégance d'aller à l'essentiel et de s'intéresser aux choses simples. "Un jour avant Pâques" retrace avec délicatesse trois moments de la vie d'Edmond, correspondant aux trois parties de ce court ouvrage: enfance, âge adulte, vieillesse. Le lecteur retient plus d'une belle image, comme celle de cette coccinelle qu'Edmond, enfant, place dans une boîte qu'il oublie de percer afin qu'elle respire...

 

Toute une société évolue autour d'Edmond, à l'exemple de l'école - évoquée avec pertinence dès la première phrase du roman. L'enseignant sait être sévère, Edmond connaît les interdits et l'autorité qui fait peur, celle du directeur de l'école, avant de devenir lui-même directeur. La religion est là aussi, de même que les membres de la famille, nettement dessinés.

 

Cela, sans oublier la patronne du café, qui est la seule Arménienne du lieu à avoir connu l'Arménie. En effet, c'est sur la communauté arménienne que se concentre "Un jour avant Pâques", une communauté minoritaire qui entend préserver ses us et coutumes en Iran et se souvient du génocide arménien. A travers entre autres le personnage de Tahereh, le contact avec les autres groupes de population du pays est également évoqué.

 

Les périodes d'avant-Pâques structurent le récit, on s'en doute. Et puis, l'auteure a l'habileté de susciter l'adhésion du lecteur en donnant directement la parole à Edmond. Ses mots reflètent au plus juste les ressentis d'un personnage lors de trois époques d'une vie, entre la naïveté fraîche de l'enfance, les soucis de l'âge adulte et la solitude du grand âge, quand l'épouse est partie pour un monde meilleur. Et c'est sur le lendemain de Pâques que s'achève "Un jour avant Pâques". Comme si une page s'était tournée...

 

Zoyâ Pirzâd, Un jour avant Pâques, Paris, Zulma, 2008, traduction du persan (Iran) par Christophe Balaÿ.

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 20:23

Magini SeulLu par Folies d'encre, Goliath,

Défi Premier roman.

Le site de l'éditeur; merci pour l'envoi.

 

Trois regards alternés sur une tragédie. Le premier roman de Marco Magini frappe fort: fruit d'une obsession, "Comme si j'étais seul" est un livre profondément tragique qui illustre l'absurdité de certains épisodes guerriers, à l'exemple des guerres de Yougoslavie, et l'impuissance affolante de certains acteurs, incarnés en trois types: le casque bleu, le juge à la Cour Suprême, l'exécuteur malgré lui. Pour peindre ce dernier, l'auteur met en scène la figure réelle de Drazen Erdemovic, impliqué dans les tristement célèbres massacres de Srebrenica.

 

Trois regards pour rythmer un roman: le lecteur se laisse guider par le regard des trois figures qui dominent ce livre. Et l'auteur les rend humaines, profondément, ces figures, en imaginant ce qu'a pu être leur vie. Il sait surprendre et interpeller: la première vision de Dirk, casque bleu revenu au pays, qui casse tout dans son salon sans raison apparente, est le signe choc d'une folie éclatante.

 

Le personnage du juge Romeo est intéressant aussi, en ce qu'il trahit la duplicité d'une évolution de carrière: la délégation de cet homme âgé au tribunal pénal de La Haye, chargé des procès liés à l'ex-Yougoslavie, fait figure de voie de garage en or plaqué: certes, il est intéressant de relever un défi à un tel niveau, mais Romeo comprend, en s'occupant du cas de Drazen Erdemovic, qu'il s'occupe d'une affaire sans éclat. L'auteur excelle à montrer les mille et une facettes d'un juge qui est avant tout un être humain, faillible peut-être, déçu en tout cas, sensible à la personnalité de ceux qui sont amenés à rendre justice avec lui. A travers Romeo, c'est la neutralité même de la justice, rendue par des humains qui ont leur passé et leurs idées, qui est mise en cause.

 

Enfin, Drazen Erdemovic est la personne qui est au coeur de ce roman. L'auteur lui donne aussi toute sa biographie, gage nécessaire de profondeur. Il fait appel à l'adhésion du lecteur à ce personnage en le montrant, démuni et en charge de famille, contraint d'entrer dans une armée pour la troisième fois de sa vie: au gré de circonstances dont il est le jouet, ballotté par les aléas des guerres de Yougoslavie, Drazen aura porté trois uniformes. Ce qui l'amènera à contribuer bien malgré lui à l'un des massacres de Srebrenica, tuant pour ainsi dire à bout portant plusieurs dizaines d'hommes - l'auteur réserve là quelques pages particulièrement dures, en fin de roman.

 

Tragique? Le fait est que l'auteur montre que chacun de ses trois personnages, avec ses qualités et ses faiblesses, fonctionne selon des intérêts et des circonstances qui font qu'il ne peut en être autrement; dans un contexte de guerre, leurs consciences sont mises à l'épreuve. La figure de Dirk incarne au mieux l'impuissance des forces armées internationales du côté de l'ex-Yougoslavie, cette impuissance qui peut rendre fou et qui naît d'une discipline rigide, à mauvais escient selon l'auteur. Personnage finalement gris installé parmi un pool de juges aux motivations bien dessinées, Romeo se retrouve dans un rôle de pivot qui le dépasse au terme du procès de Drazen Erdemovic. Ce dernier, d'ailleurs, massacrant sous la contrainte à Srebrenica pour mériter sa solde, chargé d'une famille qu'il lui faut bien faire vivre, est-il vraiment coupable?

 

Absurdité de certains aspects de la guerre, mort injustifiée de civils: "Comme si j'étais seul" est un roman dur, fort et important autour d'un épisode des guerres d'ex-Yougoslavie, érigé en moment emblématique par un écrivain passionné qui n'a pas hésité à creuser des documents pas toujours faciles d'accès pour recréer au plus près, dans un souci constant d'humanité, ce qui s'est passé cet été-là dans un coin perdu d'Europe orientale. Pour son entrée en littérature, Marco Magini signe avec "Comme si j'étais seul" un roman puissant, terrible et nécessaire.

 

Marco Magini, Comme si j'étais seul, Paris, HC Editions, 2016, traduction de Chantal Moiroud.

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11 août 2016 4 11 /08 /août /2016 19:36

Millar BoutonsLu par Perseneige.

Le site de l'éditeur, le site de l'auteur.

 

Dans la marée des livres qui vont paraître à l'occasion de la rentrée littéraire 2016, en voici un qui devrait charmer celles et ceux qui, durant leur parcours scolaire ou en d'autres circonstances, ont été ou sont en contact avec la langue et la culture grecques antiques. Mieux: "La Déesse des marguerites et des boutons d'or", dernier roman de l'écrivain écossais Martin Millar, devrait les faire rire. En mettant en scène le dramaturge comique athénien Aristophane, en effet, l'écrivain installe une comédie historique succulente, mêlant dieux, demi-dieux et mortels.

 

Et si "Lysistrata"...?

En bon romancier historique, l'écrivain mêle avec adresse le contexte historique et les éléments inventés. En l'espèce, il exploite une large marge de manoeuvre, dont il explique les tenants et aboutissants en postface. Ainsi, le lecteur saura que "La Paix" est une pièce qu'Aristophane, dramaturge grec, a bel et bien écrite, et qu'il a donnée en temps de guerre dans l'Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ. L'auteur soulève toutefois un lièvre crucial, sans donner de réponse: est-ce bien Aristophane qui a écrit "Lysistrata", pièce bien plus connue (et excellente, soit dit en passant)? Si, comme le dit le roman, c'est une hétaïre nommée Théodota qui l'a composée avant d'utiliser le dramaturge comme prête-nom, que de certitudes seraient remises en cause... 

 

On l'a compris: le romancier a su se plonger dans l'ambiance de la Grèce antique, celle des Eschyle et des Socrate - sans parler de Platon et de Xénophon, qu'on voit enfants dans ce livre, ni des dieux qui se mêlent sans complexe de la vie des mortels. Cela va plus loin: parlant d'Aristophane, vu comme un dramaturge à la fois autoritaire et en proie au doute, le romancier fait vibrer la fibre de l'humour. Celui-ci a parfois quelque chose de grotesque, en phase avec le théâtre antique, à l'instar de ces pénis factices qui posent tant de problèmes à l'équipe chargée de monter "La Paix". Il réside aussi dans la recréation des dieux et demi-dieux: plus personne ou presque n'y croit aujourd'hui, mais ils demeurent d'excellents personnages de roman, si terrestres, si humains, qu'on s'y identifie sans peine (1).

 

Des femmes et des hommes attachants

Justement, comment ne pas fondre devant les personnages féminins de "La Déesse des marguerites et des boutons d'or"? L'auteur a le chic pour mettre en scène des figures bien marquées - avec, on s'en doute, le coup de pouce des sources mythologiques, auxquelles il ajoute sa touche. La nymphe Métris, en particulier, s'avère adorable: l'auteur la montre souriante, capable de faire pousser des fleurs comme elle veut. Il va jusqu'à lui donner un côté faussement cagole qu'on lui pardonne volontiers: après tout, elle est jeune et jolie. Et puis, cette manie de dire "chouette" à tout bout de champ... c'est joli, même si ça gonfle Athéna - dont l'oiseau fétiche est justement la chouette.

 

Les figures masculines installent une dynamique qui tient volontiers du combat, la lutte pour un prix de dramaturge lors des Dionysiades faisant écho à la guerre qui mine depuis une décennie les relations entre les cités rivales d'Athènes et Sparte. De manière classique, l'auteur met en scène ceux qui sont pour la guerre (les marchands d'armes) et ceux qui sont contre (ceux qui veulent juste vivre). Partant, il installe le climat politique de la très démocratique Athènes et écorne un peu le mythe en la présentant comme corrompue et en mettant en scène ses travers démagogiques. Ce qui entre en résonance avec ce que nous connaissons aujourd'hui! Et c'est bien face à un choix tragique qu'Aristophane sera placé en fin de récit: quelle devra être sa victoire?

 

Sur la vie des arts à Athènes

Enfin, l'écrivain excelle à décrire la vie et les contretemps d'une troupe de théâtre. Les pénis factices sont un leitmotiv permanent, on l'a dit (et les dramaturges en lice aux Dionysiades paraissent jouer à "kikalaplugrosse" en sacrifiant à cette tradition). L'auteur montre aussi les machineries, les acteurs au tempérament de diva, les amateurs qui peinent à faire ce qu'on leur demande. Le lecteur gobera-t-il le fait qu'Aristophane, perdant du concours donc sacrifié, se sentira consolé par une Athéna qui lui promet une grande célébrité posthume? Il est permis d'en douter, et ce n'est pas l'artifice le plus naturel de ce roman.

 

Il préfère se souvenir de la figure essentielle et attachante de Luxos, jeune poète quasi autodidacte au talent méconnu, hors sérail, aux cheveux longs comme ceux d'un hippie. Il rappelle les "wannabe" d'aujourd'hui, à l'optimisme quasi indécrottable, désireux de percer dans le monde des arts littéraires. C'est là un personnage dynamique: il ne sombre pas dans la figure du héros romantique qui considère que personne ne le comprend et se complaît dans cette posture.

 

En définitive, le lecteur appréciera avec "La Déesse des marguerites et des boutons d'or" un roman rigolo, frais et quasi printanier (il y pousse plein de marguerites et de boutons-d'or, le titre est parfaitement justifié), qui montre des humains d'autrefois mus par des sentiments parfaitement actuels, c'est-à-dire de toujours, pour arriver à leurs aimables (ou pas) fins.

 

Martin Millar, La Déesse des marguerites et des boutons d'or, Paris, Intervalles, 2016, traduction de l'anglais (Ecosse) par Marianne Groves.

 

(1) D'ailleurs, l'excellent roman "Les sorcières de la République" de Chloé Delaume, également à paraître dans la rentrée littéraire 2016, réveille aussi les dieux antiques.

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8 août 2016 1 08 /08 /août /2016 19:54

Bassani HéronLu par Dr Orlof, Emmanuel F., Wodka.

 

C'est à un roman dense et prenant que Giorgio Bassani invite son lectorat avec "Le Héron", intense récit d'une journée de la vie d'un Italien juif nommé Edgardo Limentani. Journée presque banale: le personnage va se faire une journée de chasse dans la campagne, non loin de Ferrare, ville clé dans l'oeuvre de cet écrivain italien.

 

On perçoit chez le romancier une envie de tout dire, tout sur une vie de rien, avec un personnage très ordinaire. Et le lecteur a envie d'être observateur avec lui. Les détails de cette vie sont minutieusement observés: le petit déjeuner, la marque du réveil, de la montre et des armes de chasse de Limentani, le voyage en voiture (une Aprilia), le retard, l'arrêt chez un cafetier. L'observation est aiguë aussi pour ce qui concerne les relations interpersonnelles, toujours en demi-teintes jamais franches, mêlées de rancoeur: l'épouse qu'il n'aime plus guère, la mère avec laquelle il faut bien vivre, et ce cafetier à l'amabilité trop éclatante, avec lequel il faut bien composer.

 

Tout montrer, enfin, c'est aussi évoquer le contexte de l'Italie d'après-guerre, encore marquée par le fascisme qui oblitère les relations interpersonnelles, mais où l'on voit aussi apparaître, en arrière-plan, un certain Alcide De Gasperi et où les communistes vont leur chemin. Un journal découpé pour servir de papier de toilettes montre une actualité en morceaux. Comme devait sans doute l'être l'Italie en 1947.

 

Et puis il y a la chasse, marquée par le manque de motivation de Limentani, qui semble parfaitement amorphe alors qu'à côté, son confrère descend de nombreux oiseaux. C'est là que se trouve la scène clé du roman, où Limentani tire sur un oiseau, le blesse: c'est un héron. Edgardo voit alors la mort en face, et laisse au lecteur l'impression que c'est sa mort, sociale ou physique, qu'il voit. Limentani se sent inutile, incapable et sans courage, et vit un vide existentiel qu'il reconnaît dans ce héron juste bon à être naturalisé. L'auteur ne manque pas d'insister sur cet épisode, et en particulier sur l'oiseau. Dès lors, Limentani va être taraudé par la tentation du suicide, qu'il imagine assez complexe.

 

On peut évidemment s'étonner que le personnage principal, déterminé à se donner la mort, prenne la peine de rentrer chez lui, d'aller rendre une visite à des connaissances et même d'aller manger chez cet aubergiste qu'il n'aime guère. On peut voir ce voyage retour comme une manière de régler ses affaires terrestres, par exemple en cédant ses prises de chasse à l'aubergiste. C'est aussi un temps de vie halluciné, imprégné par l'alcool, où soudain, l'auteur traverse sans cesse la frontière poreuse entre le rêve et le réel. Rêvée ou réelle, par exemple, la scène où la prostituée se trouve dans la chambre que Limentani a prise chez l'aubergiste pour décuiter durant quelques heures est emblématique du manque d'appétit de vivre de Limentani, pas du tout excité par les avances non désirées de la fille.

 

"Bonne nuit": c'est sur une fin ouverte à la terrible ambiguïté que s'achève "Le Héron", qui laisse le lecteur répondre à la question de la nature de la "bonne nuit" en question pour Edgardo. Le lecteur, justement, viendra de vivre avec ce roman fort une sorte de "folle journée" de l'ordinaire, marquée par de nombreux épisodes, tenant à peine dans une journée mais qui, tous, revêtent un caractère dérisoire, à peine mémorable.

 

Giorgio Bassani, Le Héron, Paris, Gallimard/L'Imaginaire, 2005, traduction de Michel Arnaud.

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3 août 2016 3 03 /08 /août /2016 20:36

Lawrence Brousse"Jack dans la brousse" est l'un des derniers romans de David Herbert Lawrence, que l'on connaît surtout pour avoir écrit le sulfureux "Amant de Lady Chatterley". L'auteur a connu une vie d'aventurier qui l'a mené entre autres en Australie; le lecteur le perçoit à chaque page de "Jack dans la brousse", qui se passe précisément là-bas, et c'est délicieux.

 

Qui est Jack, d'abord? On pourrait gloser longuement sur le tout premier paragraphe de ce roman, qui joue le rôle d'incipit. Le voici:

 

"Il descendit à terre, l'air d'un agneau. Loin de moi de prétendre qu'il était l'agneau auquel il ressemblait; sinon pourquoi l'aurait-on chassé d'Angleterre? C'était un beau garçon avec des yeux bleu foncé et un teint de fille, et aussi un air un peu trop sage pour donner vraiment confiance."

 

Qu'en retenir? Avant tout le caractère éminemment ambigu du personnage de Jack, autour duquel tourne "Jack dans la brousse". Le lecteur ne peut certes pas s'empêcher de s'attacher à ce jeune homme aux apparences aimables mais résolument sauvage, complexe, tiraillé entre des attitudes de loup et d'agneau. On ne saura pas grand-chose de ce qui a motivé le départ de Jack, en outre: récit d'une nouvelle vie, "Jack dans la brousse" montre ici un personnage tourné vers son avenir, distant face à ses parents (il n'est pas très assidu dans sa correspondance, à quoi bon d'ailleurs?) et désireux de faire son trou en Australie. Le lecteur assiste à sa maturation, face à des personnages bien installés et volontiers insidieux.

 

Faire son trou, faire sa vie: tel est le propos de l'auteur, et Jack, jeune homme pas même majeur, image de la page blanche sur laquelle une vie va s'écrire, en est l'exemple. Le lecteur va le voir tâter du métier, se battre, impressionner les costauds. Et aussi, et c'est une part riche de ce roman, vivre avec une sorte d'amour-haine envers les femmes, où se mêlent désir et rejet de l'extraversion, qui voit le jour dans une scène capitale: celle où il rencontre les jumelles, Monica et Grace, les "deux agnelles", qui le surnomment vite "Beau" - et que Jack, heurté dans une pudeur peut-être importée d'Angleterre, juge indécentes d'emblée, avant d'y repenser sans cesse. En arrière-plan, vient aussi l'important personnage de Mary, déjà ici.

 

Trois profils féminins... et Jack, héraut du polyamour avant l'heure (on imagine le scandale...), en voudra deux pour sa vie! Deux, c'est aussi deux figures différentes, entre lesquelles Jack refuse de choisir: Mary, discrète, métisse, mais déterminée et désireuse de faire une fin correcte par un mariage (elle est promise au très stable M. Blessington, nettement plus âgé qu'elle), et Monica, qui flirte avec tout le monde, aime les forts et finit par porter les enfants d'au moins deux hommes, ce qui la déclasse en queqlue sorte. Laquelle Jack aura-t-il vraiment? D'un bout à l'autre du roman, on le voit osciller; et en définitive, il part seul, laissant des perdantes derrière lui: s'il ne peut les avoir les deux, il est disposé à jouer le rôle du loup solitaire, antagoniste de l'agneau montré en début de roman. A moins qu'une troisième voie, peut-être...?

 

Questions de jeunesse! L'auteur a la justesse de mettre en avant des personnages jeunes, avides de trouver leur place, dans un pays qui est lui-même jeune, l'Australie, et dont l'histoire reste à écrire au temps de la narration (nous sommes à la fin du XIXe siècle). Cela se traduit par ces terrains inexplorés que la Couronne anglaise concède à ceux qui veulent bien les valoriser, et par quelques anecdotes relatées en début de roman. Tourné vers les populations européennes, cependant, l'auteur ne dit pas grand-chose des aborigènes australiens: la jeunesse décrite demeure celle d'une Australie européenne, peuplée de Blancs et où les Noirs, certes présents et reconnus, sont cantonnés à des rôles subalternes.

 

"Jack dans la brousse" est le roman d'un adolescent qui devient un adulte, et le virage se fait dans une scène quasi mystique où, perdu dans le bush (nommé "brousse" dans la traduction française de Lilian Brach, de façon surprenante), il se trouve à l'article de la mort. Cette scène est l'un des épisodes où Jack, conscient d'une transcendance, se laisse aller à un positionnement mystique face à l'au-delà. L'auteur creuse ces aspects sans complexe, quitte à ce que cela paraisse long et répétitif par moments; en contrepartie, et c'est un gage de rythme bien venu, le lecteur apprécie les nombreuses scènes de vie entre colons: mariages, messes, bals, duels, dressage de chevaux, rencontres entre hommes et femmes, qui donnent à ce roman, par instants, les accents d'un western peuplé de kangourous.

 

David Herbert Lawrence, Jack dans la brousse, Paris, Gallimard/L'Imaginaire, 2004, traduction de Lilian Brach, préface de François Mauriac, nouvelle édition revue par Janine Hérisson.

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14 juillet 2016 4 14 /07 /juillet /2016 21:09

Bounine MitiaLu par Denis, La Plume et la Page.

 

Amours malheureuses, personnages mal assortis: avec "L'Amour de Mitia", l'écrivain russe Ivan Bounine, prix Nobel de littérature en 1933, explore à fond le sentiment amoureux, en mettant en scène un personnage jaloux, Mitia, dans diverses situations, en ville comme à la campagne. Introspection il y aura donc, certes, mais aussi une superbe observation de ce qui entoure les personnages de ce court roman d'inspiration romantique.

 

Situations? Commençons par cela. Il est facile de constater que l'auteur a un souci constant du temps qui passe, et que celui-ci s'exprime par la description des saisons. Il ne les nomme pas, ce n'est pas nécessaire; simplement en montrant des situations typiques, ayant trait à la nature, l'auteur indique que l'on va de l'hiver à l'été. En écho à ce crescendo naturel, monte le désir de Mitia, et tourbillonnent ses sentiments. Et si tout commence en ville, à Moscou, tout continue à la campagne, où la nature règne.

 

Mitia? Difficile de s'attacher totalement à ce personnage, et pourtant difficile de ne pas s'y reconnaître peu ou prou. Mitia est un amoureux transi, obnubilé par Katia - deux prénoms qui riment, qu'on voudrait associer, mais ce serait trop facile. C'est avec les mots que l'auteur décrit le travers le plus frappant de Mitia, sa jalousie: le début du roman prend la forme d'une explication de texte, voire d'un art poétique, décodant avec une cruelle finesse ce qu'il peut y avoir derrière les mots d'une jolie fille.

 

Reste que Mitia a quand même l'air d'un bel empoté. Incapable de prendre l'initiative (si ce n'est pour prendre ses distances, sans la plaquer tout à fait), il s'accroche à une Katia qui se cherche et dont les sentiments semblent quand même incertains, et alors que rien n'est promis, il fait de la moindre incartade un cas de conscience impossible. Cela, au risque de tout perdre.

 

Il n'est pas évident non plus de s'attacher aux personnages féminins qui dominent "L'Amour de Mitia". On a dit le caractère difficile à cerner, complexe, pour ne pas dire double, de Katia; avec elle, Mitia s'attaque à une partition trop difficile, trop virtuose pour lui. L'auteur met entre les pattes du jeune homme une autre figure, Alionka, campagnarde vénale et pragmatique, qui représente l'extrême inverse. C'est avec elle qu'il aura sa première expérience sexuelle, mais l'auteur fait l'impasse sur toute description. Une telle ellipse a un sens: elle suggère que pour Alionka, c'est comme s'il ne s'était rien passé. Et pour Mitia également, coucher avec Alionka ne vaut rien. Pour le confirmer, à l'attention de ceux qui n'auraient pas compris, les premiers mots d'Alionka après l'acte résonnent de terrible manière: "[...] Paraît que le curé y vend des petits cochons pour pas cher. C'est vrai?".

 

Le romantisme s'exprime donc à plus d'un titre, dans l'expression de la nature comme dans celle de sentiments exacerbés, exaltés d'une manière morbide. Commençant par une jalousie de tous les instants, celle-ci va jusqu'à la tentation de la mort, présentée comme un soulagement face à ce qui s'annonce comme un néant sentimental. Par rapport au grand roman romantique traditionnel, cependant, l'auteur va plus loin: il donne avec "L'Amour de Mitia" un roman court, une belle oeuvre concentrée autour d'un petit nombre de personnages, écrit dans une langue dense est efficace où aucun mot n'est de trop. Et où le désespoir finit par tout submerger...

 

Ivan Bounine, L'Amour de Mitia, Paris, Gallimard/L'Imaginaire, 2004, traduction du russe par Anne Coldefy-Faucard.

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7 juillet 2016 4 07 /07 /juillet /2016 20:28

Pirzâd KakisLu par Christine Jeanney, Davveld, LittExpress, Martine Galati, Michel Goussu, Passion des livres, Sabeli.

 

"Le goût âpre des kakis" est un recueil de nouvelles signé Zoyâ Pirzâd. Venu tout droit d'Iran sous la forme d'une traduction intelligente de Christophe Balaÿ, il montre au lecteur un monde lointain, mais dont certains aspects surprennent par leur proximité avec le nôtre. Après tout, l'auteure dégage, en décrivant des personnages qui interagissent, s'approchent ou s'aiment, quelques pages belles et universelles sur les relations humaines. L'amour est là, oui, mais pas seulement. Et pas tout à fait comme on l'entend chez nous.

 

Cinq nouvelles, cinq univers: à chaque fois, l'auteure réinvente son art d'écrivain en fonction des circonstances, dans le souci constant d'avoir le rythme qu'elle veut, le ton qu'elle recherche. La nouvelle "Les Taches", en particulier, s'avère à la fois déroutante et géniale. Son caractère faussement léger naît de dialogues nombreux et bondissants, où les répliques paraissent décalées et donnent l'impression qu'on parle de tout à la fois. La question des taches émerge ainsi d'une sorte de magma où d'autres éléments sont présents, tels la vision d'un western à la télévision. Certaines scènes qui tachent ont presque des airs de publicité pour de la lessive. Ici, l'art de l'écrivaine consiste ici à faire d'un problème parfaitement quotidien un prétexte à montrer une plage de la vie en Iran.

 

Amours, relations hommes-femmes? Ces liens sont omniprésents dans "Le goût âpre des kakis", qui montre que dans la société décrite, le mariage est quelque chose d'essentiel, un moment clé de l'existence d'un homme et surtout d'une femme - pour des raisons différentes, on s'en doute: on trouve dans ce recueil des femmes jalouses d'une femme qui a marié un homme que tout le monde veut, des hommes dont le statut fait rêver à l'instar de l'écrivain de la nouvelle "Le Père Lachaise". Si elle décrit cette envie à plus d'une reprise, cependant, l'auteure sait aussi, mine de rien, montrer l'envers du décor, avec des personnages masculins un brin décevants pour celles qui vivent avec et s'en trouvent déstabilisées. L'éblouissement du mariage ne résiste pas toujours à la grisalle des jours...

 

De ce point de vue, "L'Appartement" est exemplaire, montrant un jeune homme parti étudier aux Etats-Unis alors qu'il est fiancé: le séjour loin du pays le transforme. Du coup, est-ce vraiment cet homme que sa fiancée veut avoir comme époux? L'Amérique est aussi un lieu de rêve ambigu dans "L'Harmonica", où tout tourne autour d'un restaurant: les spécialités culinaires iraniennes peuvent-elles avoir du succès chez l'Oncle Sam? D'une manière générale, en somme, le pays étranger est volontiers montré comme un lieu de rêve, un rêve qui n'est pas forcément exempt de nuages, à l'instar du Paris de la nouvelle "Le Père Lachaise".

 

Alors certes, on sourit à certaines péripéties, on observe des gens vivre, et l'auteure excelle dans la peinture des interactions humaines; ses dialogues sonnent juste, le rythme des récits est idéal. Mais même si l'auteure choisit de décrire sans juger, le sourire n'est jamais exempt d'amertume, dès lors qu'il est question de cultures étrangères, de traditions locales pesantes et d'une vie où il faut composer et se débrouiller, parfois avec fort peu. Le parfum de ces nouvelles est ainsi celui des kakis pas tout à fait mûrs - un parfum qui vient de la dernière nouvelle, celle qui donne son nom au recueil et l'éclaire tout entier.

 

Zoyâ Pirzâd, Le goût âpre des kakis, Paris, Zulma, 2009, traduction de Christophe Balaÿ.

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4 juillet 2016 1 04 /07 /juillet /2016 20:50

Windham CaniculeDéfi Premier roman.

 

Il y a quelque chose d'Erskine Caldwell dans "Canicule", premier roman de l'Américain Donald Windham. Ne serait-ce que dans les personnages que l'écrivain choisit de mettre en scène: de petits Blancs vivant quelque part au plus profond des Etats-Unis, dans une demi-misère interlope qui ouvre la porte à toutes sortes d'expédients plus ou moins légaux. Au coeur de l'action, se trouve le personnage de Blakie, adolescent farouche, habile à la guitare, au tempérament de leader.

 

Le titre anglais, "The Dog Star", renvoie à la connaissance que Blakie a du ciel, acquise auprès d'un ami nommé Whitey. Traduit en français, cela donne "Canicule". On garde cette image du chien - peut-être une vision dévalorisante de certains personnages, mais aussi étymologie de "canicule" - mais surtout, le traducteur éclaire ainsi le roman d'une manière certes différente, mais tout aussi pertinente: tout le roman se déroule durant un été caniculaire où le soleil entre partout.

 

Plutôt que d'insister lourdement, en le disant sans cesse, sur ce soleil aux rayons omniprésents, l'auteur choisit adroitement d'en montrer les effets sur la terre où se passe l'action: on va à la piscine découverte, on bronze, on transpire, on vit dehors, on a soif. Cela, tant que tout va... et il est intéressant de constater qu'après une ultime pirouette de Blackie, il se met à pleuvoir. Ce n'est pas un hasard: Blackie, élément clé de "Canicule", en est aussi le soleil autour duquel gravitent des personnages qu'on peut voir comme des planètes. Il est d'ailleurs question d'astronomie dans "Canicule", à plus d'une reprise.

 

L'écrivain crée un lien amical quasi indéfectible entre les personnages de Blackie et Whitey. Lien de complémentarité suggéré par deux noms qui évoquent le noir et le blanc, antagonistes mais aussi complémentaires. Whitey se suicide en début de roman, mais son âme survole "Canicule", un peu comme si elle éclairait le chemin d'un Blackie qui, sans cesse, se demande ce qu'aurait fait son défunt ami à sa place.

 

"Canicule" est aussi le roman d'un ado qui se cherche, à tous points de vue. On pense aux relations familiales, pesantes: l'auteur construit finement un jeu de relations tendues entre les frères et soeurs de Blackie, mais aussi avec sa mère. A cela, on ajoutera les enfants nés alors que la mère est encore jeune et les pères absents ou démissionnaires. Se dessine ainsi l'image d'une vie pauvre en perspectives. Cela, d'autant plus que Blackie peine à s'insérer professionnellement et préfère vivre d'expédients plus ou moins légaux: rapines, racket, jeu. Sensible, l'auteur parvient à rendre Blackie sympathique, grâce à une peinture sensible du personnage.

 

On peut enfin penser au thème des amours, moins nettes qu'il n'y paraît, surtout si l'on se souvient, comme le relève l'éditeur, que l'oeuvre de Donald Windham est "portée sur le thème de l'homosexualité". Certes, Blackie est le compagnon d'une fille rouée, Mabel, et les apparences sont sauves ainsi; mais cette relation amoureuse, tissée de désir sexuel, de tensions, de jalousie et d'un brin de mépris, ne saurait être satisfaisante. D'un autre côté, on devine sans peine le caractère irréparable de la perte de Whitey pour Blackie. Un peu comme si Whitey était, pour Blackie, l'amant qu'il n'a jamais pu avoir.

 

Au fil des pages de "Canicule", Blackie se cherche, cherche sa place dans la société, sans succès, allant de travail en expédient, violent à l'occasion, grattant sa guitare avec talent en d'autres circonstances. L'auteur offre un roman au rythme équilibré, où les dialogues et la peinture de l'action et des lieux alternent de manière harmonieuse. Enfin, "Canicule" est aussi la description d'un petit monde populaire qui s'efforce de survivre malgré l'adversité.

 

Donald Windham, Canicule, Paris, Gallimard/La Découverte, 2008, traduction d'Elisabeht Van Rysselberghe.

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