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29 avril 2013 1 29 /04 /avril /2013 22:37

hebergeur imageDès les premières pages, il convient d'accepter que "Journal du huitième hiver" de Samuel Brussell est un journal de pérégrinations qui, loin des grandes péripéties, relate avec esprit les voyages sans grands buts du narrateur à travers l'Europe. Ces déplacements sont autant d'occasions de côtoyer des artistes qui donnent leur nom aux chapitres qui composent l'ouvrage, à l'instar de Vladimir Dmitrijevic, Slavomir Mrozek ou le fantôme de Gonzague de Reynold. Tout commence en Suisse, par un prologue qui a tout d'une séance de namedropping helvétique.

 

Les anecdotes fourmillent dans cet ouvrage, souvent savoureuses: il n'est qu'à penser à la difficulté qu'a le narrateur à retrouver le dramaturge Slavomir Mrozek: quel est son appartement, en définitive? Il est aussi question de football avec l'éditeur Vladimir Dmitrijevic, ce qui n'est pas sans rappeler sa contribution au petit livre collectif "Football", édité par Faim de Siècle en 1998: après tout, la vie est un ballon rond... Et en parlant de Vladimir Dmitrijevic, sachant que les frères Despot ont collaboré avec lui aux éditions L'Age d'Homme, le tour de "beauté despotique" (p. 137) a tout d'un clin d'oeil...

 

Une constante se révèle au fil des récits: celle de la question des langues en Europe, celle des écrivains et celle des locuteurs. Elle est indissociable d'une certaine diaspora juive, forcément polyglotte, décrite ici. Il sera donc question de l'"épreuve de l'accent", sorte de schibboleth belge permettant de reconnaître un vrai Flamand à partir de la phrase "schild en vriend" - du reste évoqué aussi par Patrick Roegiers dans "Le bonheur des Belges". L'auteur sait aussi identifier les nuances que chaque langue peut receler: "Il parlait aussi bien le français (parigot), l'anglais (cockney) que l'allemand (viennois)", dit-il au sujet d'un personnage (p. 177).

 

Il est piquant de relever, au fil des pages, que l'auteur s'amuse de la quasi-homonymie de son nom avec celui de la capitale de la Belgique - alors même qu'il n'est pas Belge du tout (mais vu l'onomastique, le fait qu'une partie de la narration se passe en Belgique n'est pas un hasard). C'est là l'une des formes d'un humour qui affleure discrètement au fil des pages d'un grand voyage calme à travers l'Europe civilisée.

 

Samuel Brussell, Journal du huitième hiver, Lausanne, L'Age d'Homme, 2012.

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21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 15:54

hebergeur imageElle l'a signalé dernièrement, et je le relaie: Lili Lectrice s'est plongée dans "La Tour Sombre", une série de romans signée Stephen King. Son billet à ce sujet est là:

http://www.desgalipettesentreleslignes.fr/archives/2013/04/16/26917039.html

Merci pour cette participation! Et affaire à suivre, en ce qui concerne le défi...

 

 

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20 avril 2013 6 20 /04 /avril /2013 22:47

hebergeur imageLu par Eireann, Emma.

 

"Dieu m’étonnera toujours" fait partie de ces romans qu’il est bon de lire, et qui offrent à son lecteur une vision du monde qui fait du bien. Claire Fourier y relate l'expérience vécue d'un séjour dans une chartreuse. Il ne s'agit pas de son premier ouvrage; comme d'autres écrits de sa main, celui-ci s'inscrit à l'intersection de deux formes littéraires, la poésie et le roman. Chacun de ses chapitres est suivi, en contrepoint, d'une série de haïkus qui rappellent, de manière synthétique et peut-être un peu redondante, la teneur du chapitre précédent.

 

"L'an passé, j'ai fait un voyage au pays de Dieu", c'est ainsi que commence cet ouvrage qui met en scène une femme qui choisit de faire son jardin comme des chartreux avant elle. Comme eux... ou presque, puisqu'elle se livre à cette activité vêtue uniquement de ses bottes en plastique. L'image d'Ève au paradis terrestre n'est pas loin, elle est du reste assumée par l'auteur (p. 30). Nudité qui dicte une fête des sens, omniprésente dans un texte qui flirte parfois avec l'érotisme.

 

Adam est un peu absent? Le lecteur peut le reconnaître dans la figure du chartreux qui, un jour, autrefois, occupa la cellule de la narratrice et occupe à présent ses pensées, dans une envie de communiquer avec lui. Les traces qu'il a laissées, elle les retrouve avec émerveillement: les inscriptions, un sapin immémorial, les objets - à commencer par les bottes de jardinage qu'elle a à ses pieds, et qu'elle évoque régulièrement.

 

Cultiver un jardin de monastère, c'est sans doute l'image de la culture d'un jardin secret. Autant dire que l'ouvrage fait la part belle à l'introspection. Le lecteur découvre donc une femme qui se retrouve en un lieu sacré, se surprenant à aimer Dieu sans y croire pour autant, et se recréant un univers de béatitude dans l'espace mesuré de sa cellule monastique et du jardin attenant. Toute en douceur, l'introspection passe aussi par l'émerveillement et par l'attention aux détails: les fesses qui crient miséricorde à l'office, une feuille morte déplacée, etc.

 

Il se dégage de ce roman une béatitude certaine, qui contribue à son agrément. L'ouvrage propose un retour aux choses et à la vie simples et, alliant la forme à ce fond, il s'habille aussi de simplicité linguistique. Une lecture reposante, donc!

 

Claire Fourier, Dieu m'étonnera toujours, Brest, Éditions Dialogues, 2013.

 

 

 

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14 avril 2013 7 14 /04 /avril /2013 21:21

hebergeur imageEléa vient d'inscrire une nouvelle participation au Défi des Mille, à découvrir ici:

 

http://romans-au-bord-de-l-eau.over-blog.com/article-xxx-116888395.html

 

Il s'agit du premier tome d'"Autre Monde" de Maxime Chattam, alias "L'Alliance des trois". Merci pour cette participation!

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14 avril 2013 7 14 /04 /avril /2013 05:00

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Alex, Amos, Anjelica, AnkyaAzilis, BénédicteBookwormCagire, Caro[line]Chrestomanci, ChrysEdelwe, EmmaEsmeraldae, Ferocias, Fleur, George, Hambre, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, Marie, MyrtilleD, Saphoo, Schlabaya, Séverine, Sophie57, Tinusia, Violette, Yueyin, Zik

 

Épitaphe

 

En mon avril la Parque m'a vaincu,

Mais bien-heureux d'avoir si peu vescu:

Et que voit-on que fumée en ce monde,

Un vent, un songe, une onde qui suit l'onde?

Tous les humains sont feuilles du printemps,

Soudain fanis comme l'herbe des champs:

Tout passe et coule: Atropos ne pardonne

Non plus aux roys qu'à la basse personne.

 

Donc au trespas que je ne sois pleuré:

Pour autre fin je n'avois respiré.

Ce seul confort me reste sous la tombe

Qu'il faut un jour que le plus brave tombe

Dans le bateau qui conduit aux enfers,

Et qu'en la fosse il nourrisse des vers,

Puisque la loy de l'égale Nature

Nous a bastis sujets à pourriture.

 

Amadis Jamyn (1538-1592). Source.

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 22:32

hebergeur imageLu dans le cadre du défi "Nouvelles".

Sites de l'auteur et de l'éditeur

 

Difficile de faire un titre de billet malin à partir de celui du recueil de nouvelles "Des taureaux et des femmes" de Catherine Gaillard-Sarron. Pourtant, il y est bien question de bovins, au sens propre ou métaphorique. Ainsi les vaches et les taureaux font-ils figure, tout au long du recueil, de leitmotiv. Cela, sans compter les boeufs, qui ne sont autres que des taureaux castrés: l'ultime nouvelle du recueil, "L'histoire de Kim Lalesh", un conte des plus sensuels, en présente un fort beau spécimen. Mais n'anticipons pas...

 

... Ce recueil de nouvelles se pose en complément au recueil "Un fauteuil pour trois": alors que ce dernier se concentre sur des textes qui font frissonner (fantastique, horreur), "Des taureaux et des femmes" met en scène des destinées humaines, sans une once de fantastique, mais avec leur lot de dominations et de soumissions - cela, après une première nouvelle, "Des taureaux et des femmes", qui suggère une recherche de l'accord parfait. Si sa fin, fondée sur une astuce grammaticale, est un peu facile, le lecteur goûtera le caractère habile et enlevé du développement, qui file avec adresse la métaphore tauromachique et exploite le champ lexical taurin. Au final, voilà troussée une course-poursuite entre deux amoureux qui a tout d'une aimable corrida de l'amour vache. De quoi séduire le jury du prix Ernest Hemingway!

 

Une telle harmonie tranche avec les autres nouvelles du récit. La plupart d'entre elles relatent en effet des dissonances entre êtres humains, et des vies de couple vues, souvent, dans une optique de domination crasse. Le lecteur appréciera ainsi la finesse toute relative (et c'est peu de le dire) de l'homme dans "La Lisette" - un prénom que l'auteur a déjà utilisé ailleurs dans ses oeuvres, dans un recueil intitulé "La Lisette, Paul, Martha et les autres", paru en décembre 2007, et vu comme le parangon d'une destinée féminine faite de frustrations bien réelles et d'espoirs sans cesse déçus. La dédicace de "Des taureaux et des femmes" donne du reste à "Lisette" le caractère d'un nom commun désignant ce type de destinée féminine, que les nécessités de l'existence ont subordonnée à un homme dépourvu de toute finesse et de toute empathie - un agriculteur, par exemple, éleveur de bovins, figure que l'auteur exploite ici.

 

Certaines nouvelles du recueil sont fulgurantes, à l'instar des astucieuses nouvelles à chute "Réminiscence" et "L'Affaire de Noël" - une affaire non dépourvue de cruauté, disons-le. Dans ce registre, le lecteur goûtera aussi avec plaisir "Le Sermon du Père Fides", récit humoristique qui rapproche la religion chrétienne et un certain produit de bienfaisance très à la mode. Le nom en forme de jeu de mots du personnage, cité dans le titre, guide le lecteur: il convient de lire cela au deuxième degré, en gardant à l'esprit que c'est pour rire - et que Dieu est (aussi) humour. Cette dernière idée, l'auteure de "Des taureaux et des femmes" l'exploite aussi ailleurs, en particulier dans "Le fantasme du curé", nouvelle plus développée, au parfum rétro (le curé monte encore en chaire pour dire son sermon). Cette nouvelle est adroite, perverse même, puisqu'elle pousse le lecteur à avancer dans sa lecture en flattant son côté voyeur: au fond, elle suggère que le curé a des pensées aussi secrètes que coupables... qu'on aimerait bien connaître!

 

Le lecteur pourra avoir l'impression, au fil des nouvelles, que les femmes sont toujours victimes des hommes. Quelques nouvelles suggèrent cependant l'inverse, ou indiquent que tout n'est pas si simple. "Paul et Martha" est l'une d'entre elles: comment condamner ce brave Paul, conjoint d'une Martha qui a tout d'une Tatie Danielle? Et que penser de la vengeance du mari trompé dans "Aux mille et un pâtés"? Certes, il paraît bien sûr de lui; certes, le lecteur voit venir l'issue d'assez loin; mais malgré ces faiblesses, le lecteur se délectera de quelques descriptions culinaires appétissantes... avant de découvrir la terrible réalité des plats. 

 

Au fil des nouvelles, le lecteur est promené dans des relations interpersonnelles et de couple qui dysfonctionnent et cahotent, jusqu'à la folie ("Monsieur Herbert"), et certaines pages de "Des taureaux des femmes" ont un petit goût amer ou dérangeant. Cela dit, l'auteur indique de façon claire que tout cela n'est pas à prendre trop au sérieux - l'onomastique des personnages, en particulier, le signale, riche en jeux de mots subtils ou directs. Ainsi le lecteur fera-t-il la connaissance de Kim Lalesh (on imagine ce qui lui plaît...), de Madame Currit-Vaire (qui ne manque pas de piquant, finalement) et, bien sûr, du Père Fides, insidieux d'entre les insidieux. Ainsi, tout en soulevant des sujets graves liés aux relations interpersonnelles, l'auteure offre toujours un espace ludique au lecteur, et évite ainsi, fort justement, de plomber l'ambiance.

 

Catherine Gaillard-Sarron, Des taureaux et des femmes, Lausanne, Plaisir de lire, 2011.

 

L'auteure lira et dédicacera ses poèmes le vendredi 19 avril 2013  de 18 h 30 à 21 h à la librairie Filigrane, Rue du Four 7, à Yverdon-les-Bains. Pour en savoir plus.

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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 21:37

hebergeur imageLe Défi des Mille se poursuit, et c'est Alex qui a chroniqué dernièrement "Un monde sans fin" de Ken Follett. Merci pour cette participation! Je vous invite à lire son billet, ici:

 

http://motamots.canalblog.com/archives/2013/04/06/26576952.html

 

Et je vous souhaite encore de longues, longues lectures!

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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 21:15

hebergeur image... ce que les sphères mises en scène dans "Les Sphères silencieuses" signifient, ce qu'elles veulent dire aux Terriens. Journaliste suisse romand, blogueur d'une farouche indépendance d'esprit à l'enseigne de Commentaires, Philippe Barraud s'aventure dans le genre littéraire de la science-fiction pour son troisième roman, paru en 2011 aux éditions de l'Aire. Placé sous le patronage de l'astronome suisse Jean-Philippe Loys de Cheseaux (1718-1751), ce roman commence avec une découverte inouïe - et l'incipit le clame d'emblée, de manière à ce que le lecteur n'ait aucun doute sur ce qu'il va trouver dans les pages qui suivent.

 

C'est en Valais que les personnages de ce roman, un grand-père et son petit-fils, découvrent un matériau inconnu, aux propriétés surhumaines, présent sous la forme d'une sphère enchâssée dans la montagne. L'auteur, et c'est une de ses forces, retrace très bien le choc entre un phénomène inouï, peut-être extraterrestre, relevant en tout cas de l'exobiologie (un mot savant qui désigne l'étude des possibilités de vie hors de la Terre), avec toute la déferlante technologique que cela peut faire naître, et la persistance d'un Valais traditionnel où l'on mange de la raclette et où l'on boit de la syrah et du johannisberg. Autre force, l'écrivain utilise parfaitement le personnage du petit-fils, Christophe, pour susciter l'émotion du lecteur en tirant parti de sa souffrance: irradiations, hopital, paralysie, etc. 

 

Le Valais traditionnel est mis à mal dans "Les Sphères silencieuses". Les alpages entourant la découverte vont être militarisés, puis bétonnés à l'attention des touristes. Ils sont décrits avec une certaine précision terminologique dans la description de la géologie des lieux, suffisante pour qu'on y croie, mais jamais assommante. La peinture des lieux passe aussi par la description détaillée de péripéties d'alpinisme. L'auteur laisse parler ici son souci de préserver la beauté des paysages - un souci qui transparaît aussi dans certains de ses billets de blog.  

 

L'écrivain fait aussi émerger et flamboyer tout un tourbillon autour du mystère alpestre: la Chine et les Etats-Unis vont s'en mêler, les médias vont faire leur trou dans les montagnes valaisannes, les religions et les sectes vont mettre leur grain de sel dans l'affaire. Dès lors, on reconnaît certains éléments qui, un jour ou l'autre, ont défrayé l'actualité: le programme Echelon, le Mystery Park d'Erich von Däniken. L'auteur n'hésite pas à lancer quelques piques aux médias traditionnels, qu'il prend un malin plaisir à empêtrer dans des alpages dépourvus de routes, et au gouvernement suisse: "Notre gouvernement travaille la nuit maintenant? incroyable.", écrit-il en page 52. Et si le département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports est (délibérément?) nommé de manière inexacte, on veut bien croire à Hans-Peter Schaer, haut fonctionnaire fédéral débordé.

 

Du journaliste, l'auteur endosse l'efficacité d'un style concret et fluide, qui ne s'embarrasse d'aucune fioriture. Le lecteur va donc être embarqué dans l'histoire, et restera facilement accroché tout au long de ses 210 pages. Celles-ci paraissent parfois un peu rapides, cependant, et le lecteur aurait sans doute aimé en savoir plus sur cette sphère qui hante les sous-sols valaisans - ainsi que sur ses soeurs, qui se trouvent ailleurs dans le système solaire. De ce roman à dévorer, qui se ferme en conservant une part de mystère, je garderai le souvenir d'un Valais tendu entre la modernité et la tradition, entre les promoteurs sans scrupules et les amoureux d'une nature qu'il convient de préserver.

 

Philippe Barraud, Les Sphères silencieuses, Lausanne, L'Aire, 2011.

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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 05:00

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Alex, Amos, Anjelica, AnkyaAzilis, BénédicteBookwormCagire, Caro[line]Chrestomanci, ChrysEdelwe, EmmaEsmeraldae, Ferocias, Fleur, George, Hambre, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, Marie, MyrtilleD, Saphoo, Schlabaya, Séverine, Sophie57, Tinusia, Violette, Yueyin, Zik

 

CCCXXXIV

 

En mon esprit revient - ou plutôt est fixée -

Celle que le Léthé n'en pourra pas bannir,

Alors que je la vis dans la fleur de son âge,

Toute embrasée des feux de l'étoile d'amour.

 

En cette conjonction, tellement digne et belle

Je la vois, si seule absorbée en sa prière, 

Que je m'écrie: "C'est elle. Elle est encore en vie."

Et j'implore le don de sa douce parole.

 

Parfois elle répond et parfois ne dit mot.

Moi, comme un qui dérive et puis refait le point,

Je dis à mon esprit: "Tu as perdu le sens.

 

Tu sais bien qu'en l'an mille trois cent quarante-huit,

Le six du mois d'avril et dans la première heure,

De son corps s'évada cette âme bienheureuse."


François Pétrarque (1304-1374), La vertu et la grâce, Paris, Orphée/La Différence, 1990, traduction André Ughetto/Christian Guilleau.

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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 20:02

hebergeur imageLu par Alix, Beux, Patrick Foulhoux.

Lu dans le cadre du Défi des Mille.

Source de l'illustration.

 

Un peu moins dans les atmosphères du roman noir, un peu plus dans les ambiances du récit sociologique et des chroniques sans fard de la misère sans fond. C'est ainsi que se présente, par contraste avec ses deux premiers volumes, le troisième opus de la "Trilogie du ghetto", "Mama Black Widow". Un titre de circonstance, faisant référence au personnage de Sedalia, alias Mama, une mère pas franchement aimable - une véritable veuve noire! Face à elle, se trouve le narrateur, son fils: Otis Tilson, homosexuel et travesti, entre autres. Et tout autour, une ribambelle de personnages interlopes, flirtant avec l'illégalité pour ne pas sombrer totalement dans la misère des quartiers noirs de Chicago. Cela, sur fond de ségrégation raciale, de désillusion et d'amertume face aux promesses non tenues de l'exil du sud vers le nord des États-Unis. Et c'est du vrai: Otis Tilson a raconté sa vie à l'écrivain Iceberg Slim, qui en a tiré cette biographie atypique.

 

Honneur aux dames, c'est donc de Mama qu'il sera d'abord question. Sa présence envahit tout le récit, comme elle occupe jusqu'aux moindres recoins de l'existence de ses quatre enfants et de son mari avec son autorité implacable, son racisme antiblancs viscéral et sa possessivité maladive, qui laisseront le lecteur pantois, pour ne pas dire choqué: comment une mère peut-elle provoquer l'avortement l'une de ses filles contre son gré avant de la tuer indirectement et après l'avoir vendu à un vieillard difforme, pousser l'autre à la mort, perdre son fils aîné (emprisonné pour 99 ans) et se raccrocher à son dernier fils - le narrateur, justement - quitte à le menacer de mort s'il quitte le foyer? A cela s'ajoute une hypocrisie marquée et une vénalité qui ne s'embarrasse pas de scrupules et la pousse à éjecter du ménage son mari, victime de syndicats peu enclins à aider les Noirs à trouver de l'embauche... et à ne pas être trop regardante quant à l'origine de l'argent qui fait vivre la famille, surtout si c'est plus lucratif que de faire des ménages.

 

Par contraste, la posture de droiture à tout crin qu'endosse le père d'Otis, prédicateur et cueilleur de coton au chômage, paraît vouée à l'échec: amertume, misère, petits boulots quand tout va bien, alcoolisme, diabète. Dès lors, pourquoi le lecteur le trouve-t-il attachant? Est-ce par admiration sincère pour sa rectitude... ou par pitié? 

 

Face à cela, le narrateur, Otis Tilson, alias Pois de senteur, se décrit longtemps comme un enfant spectateur, qui subit et absorbe tout cela, non sans être choqué mais non sans perdre non plus son humanité. Le récit suggère une forme de déterminisme social, l'enfance d'Otils Tilson dans l'ombre d'une mère tyrannique ayant dicté sa situation d'adulte homosexuel et travesti - ce que suggèrent les discours des psys, cités vers la fin de l'ouvrage, à son sujet. La narration montre par ailleurs le jeu complexe du tiraillement entre les pulsions homosexuelles d'Otis, qui débouchent sur des échecs relationnels (cf. la liaison avec Mike) et l'impératif social d'hétérosexualité, qui va amener Otis dans une situation intenable: être obligé d'exploiter des fantasmes homosexuels pour honorer Dorcas, sa copine. Donc de lui mentir, alors qu'il l'aime sincèrement...  

 

La description de l'existence d'un tel personnage n'a rien de rose, du reste, et l'auteur n'épargne aucune scène délicate, voire insoutenable, au lecteur: viol collectif, avortement forcé à domicile, exploitation, homophobie omniprésente, violences de toute sorte. Le tout, narré d'une manière crue et directe, rendue avec une finesse certaine par le traducteur. Ce qui n'enlève rien à l'horreur, ni à la force de la narration, bien au contraire.

 

La narration revêt une forme cyclique, l'auteur choisissant de démarrer son récit à peu près au moment de l'assassinat de Martin Luther King (le narrateur est alors adulte) avant de passer à l'enfance et de revenir peu à peu au moment où le narrateur atteint l'âge où il confie l'histoire de sa vie à Iceberg Slim. Compte tenu de l'issue tragique de ce livre (voir l'épilogue), il me paraît permis de voir là une métaphore du caractère implacablement récurrent de la misère, dans un contexte sombre que les lecteurs de la "Trilogie du ghetto" connaissent. On ne sort pas indemne de ce troisième tome, sans doute le plus dur à encaisser. Et, partant, sans doute pas le moins brillant.

 

Iceberg Slim, Mama Black Widow, Paris, Editions de l'Olivier, 2012. Traduction de Jean-François Ménard.

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