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2 juin 2013 7 02 /06 /juin /2013 05:00

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Alex, Amos, Anjelica, AnkyaAzilis, BénédicteBookwormCagire, Caro[line]Chrestomanci, ChrysEdelwe, EmmaEsmeraldae, Ferocias, Fleur, George, Hambre, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, Marie, MyrtilleD, Saphoo, Schlabaya, Séverine, Sophie57, Tinusia, Violette, Yueyin, Zik

 

Notre mort, nul ne pleurera

 

Ne me cherchez point dans d'autre encre

Si ce n'est celle du livre ancre,

Dans peu de cahiers d'écolières,

De poèmes semés au vent,

Et que j'en ai semé, hier:

Tout temps fut de ma mort l'avant.

Ni mes amis ni mes amantes,

Qui donc a jamais lu mes livres,

Comment voulez-vous que je mente,

Et mon coeur de douleur s'enivre.

Vous me chercherez dans les brins

D'herbe, là-bas, sur la falaise,

Je me souviens du goût des graines

D'herbe, jadis, en Arromanches,

Et puis du vent dans les cheveux,

Ah le joli vent de la Manche,

Au bord de l'eau, des filles brunes,

Je me souviens du coeur battant,

Je ne me souviens de rien d'autre.

Puis, nul que nous ne se souvient,

Notre mort nul ne pleurera:

Je la sens, ma mort qui approche.

Les brins d'herbe de la falaise,

Ils se souviendront mieux de moi

Que les pauvres gens de ce temps

Et que les coeurs ingrats des filles.

 

2 juin 2012.

 

Olivier Mathieu dit Robert Pioche (1960- ), Quand à la fin j'aurai mouru, j'aurai fait ce que j'aurai pu, Nantes, Editions des petits bonheurs, 2012.

 

Le présent poème n'est pas sans rappeler certaines pages du "Voyage en Arromanches", roman autobiographique de l'auteur, dont j'ai parlé sur ce blog, ici. Après un recueil de nouvelles intitulé "La petite queue" (dont on peut lire ici un extrait: la nouvelle "Le Sacrifice"), l'auteur a fait paraître, le 14 octobre 2012, jour de ses 52 ans, le recueil de poésies "Quand à la fin j'aurai mouru, j'aurai fait ce que j'aurai pu". Au début de l'été 2013, enfin, paraîtra son nouveau roman, à la fois historique et érotique, enrichi de photographies. Le titre de ce roman, qui s'intègre au "Cycle des aventures de Robert Pioche" et se passe à Venise, sera tenu secret jusqu'au moment de la publication. 


Les ouvrages d'Olivier Mathieu sont disponibles auprès de M. Jean-Pierre Fleury, éditeur à l'enseigne des Editions des petits bonheurs à Nantes.

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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 05:00

Jour de Fête-Dieu, jour férié, c'est presque un dimanche, et les dimanches sont souvent poétiques par ici. Bonne fête à toutes et à tous! Je vous propose aujourd'hui deux sonnets de ma main, évocation, peut-être, des grand-rues où marchent les processions.

 

Couleurs de grand-rue

 

Rose comme une banque ou vert comme un café :

Les plus folles couleurs ont saisi la grand-rue,

Sans pudeur se livrant – quelle offrande incongrue ! –

Tels de doucereux drops au passant assoiffé.

 

Ravivant un bâti de toits bistre coiffé,

Elles vêtent les murs, grisaille disparue,

Pour plaire à la cité de lumières férue :

C’est l’ouvrage d’un pro qui n’a jamais gaffé !

 

Mais de l’or au bleu ciel, Ripolin vous agresse

En fauteur de tournis, sans valoir, pour l’ivresse,

Les cocktails irisés qu’on vous sert dans les bars.

 

Recouvrant sans bonheur une couche blafarde,

Les teintes font jaillir leur brillance criarde

Qui gonfle la cervelle et soûle les regards.

 

 

 

Couleurs de grand-rue, 2

 

Les peintres de ma ville ont lancé leur boulot

Pour teindre les maisons immenses ou menues,

Rajeunissant les murs et les vitrines nues :

Hundertwasser semblait, en regard, bien pâlot.

 

C’était dit, décrété : l’éclat serait leur lot ;

En resserrant les rangs, les couleurs sont venues

Habillant à l’envi toutes les avenues :

Le gris pour quelques mois n’a point connu d’îlot.

 

Le rêve est bref, hélas, et quand revient la pluie,

Quand se fixent les gaz et se pose la suie,

Le sale est de retour, ennemi volatil.

 

Faudra-t-il restaurer le crépi lamentable ?

Ripolin, terrassé, ne s’en croit plus capable

Et la cité reprend ses haillons de plomb vil.

 

 

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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 21:09

hebergeur imageLu par Luluboudu.

Lu dans le cadre du défi Thrillers.


"Le Mausolée", c'est un thriller atypique. Déjà, on n'y trouve pas beaucoup de morts, mais il y en a surtout un qui compte, et qui s'appelle Vladimir Ilitch Oulianov - bien connu sous le nom de Lénine. Depuis presque 90 ans, il repose, savamment embaumé, dans un mausolée situé sur la Place Rouge à Moscou. C'est autour de cette dépouille que s'organise "Le Mausolée", deuxième roman de l'auteur Edouard Moradpour, publiciste présenté comme le "père de la publicité" en Russie.


Le mausolée de Lénine pourrait n'être qu'un monument que les écoles russes font visiter à leurs élèves. L'auteur va plus loin: il considère que ce cadavre non enterré, à l'instar de certaines
momies égyptiennes ou d'un certain Ötzi (1), portent des pouvoirs bien à eux. Cette idée finalement déjà vue vient se greffer, dans ce roman, sur un débat de société méconnu en Europe occidentale, mais récurrent en Russie: faut-il enterrer Lénine ou le garder embaumé dans son mausolée? Tout cela constitue un terreau propice à l'écriture d'un roman aux parfums surnaturels, dont l'action se déroule au coeur d'un peuple présenté comme superstitieux et en permanence tenté par le mystique. Voilà pour le décor, et voilà aussi pour l'originalité du contexte de départ.

 

Dès lors, le lecteur est invité à suivre le personnage de Tatiana, jeune femme qui, depuis son enfance, entend des voix qui l'invitent à sauver la Russie. Dans sa vingtaine flamboyante, elle exerce le métier de danseuse dévêtue dans une boîte de nuit moscovite. C'est là qu'elle va rencontrer Oleg Bezroukov (ce qui, en russe, signifie "sans les mains"...). Il a des visions qui lui permettent de passer pour un prophète aux yeux du grand public. Qu'en est-il vraiment? Le roman le dévoile...

 

Les dessous (pas) chics d'une idylle

Le lecteur est ainsi embarqué dans un thriller apparemment solide - mais dont certaines faiblesses pourront l'intriguer, voire le rebuter. Dès le départ, par exemple, l'ambiance au sein du "Club 121", ce lieu où les filles dansent nues et montent avec les clients, paraît fort romantique, avec un patron nommé Günter qui se montre paternel voire sympa - on est loin des rudes figures de proxénètes mises en scène par Iceberg Slim! Cette ambiance bon enfant enlève un peu de mordant à toute la première partie du roman, ce qui est dommage: cela sonne plus comme une romance tranquille que comme un thriller.

 

D'autant plus tranquille que l'auteur n'hésite pas à profiter de la description de repas de famille pour dépeindre des scènes sereines, très "couleur locale", où l'on déguste des pelmeni et des "harengs sous le manteau" dans une ambiance aimable. Or, sachant que Tatiana n'a rien dit à ses parents au sujet de son activité de danseuse, et qu'elle mène par conséquent une double, voire une triple vie, le lecteur aurait pu s'attendre à des ambiances plombées par ces silences embarrassés, lourds de sens, que l'on connaît trop bien dans la vraie vie.

 

Heureusement, les masques tombent... peut-être de manière un peu brutale, même si le lecteur attentif et russophile doit s'attendre à quelque chose. Ce procédé est extrêmement fin, de la part de l'auteur: entre Oleg et Tatiana, il n'est jamais fait usage des diminutifs hypocoristiques dont les Russes sont friands et pour lesquels ils font montre d'une créativité sans bornes. Dès lors, le lecteur qui sait comprend que la relation entre ces deux personnages ne va jamais fonctionner. D'ailleurs, Tatiana ne sera nommée par un diminutif affectueux qu'en fin de roman, par un des hommes de son camp.

 

Quand les people s'en mêlent

L'auteur ancre son roman dans l'époque actuelle (2014) et dans une Russie populaire qui, qu'elle soit d'hier ou d'aujourd'hui, sonne plutôt vrai. Ainsi est-on disposé à croire Tatiana quand elle dit que les produits Nestlé représentent pour elle le début de la diversification des biens de consommation, et l'apparition de nouveaux goûts. Est-ce un hasard si la marque "Nestlé" est la seule marque occidentale à apparaître dans ce roman? La question est ouverte...

 

Côté personnalités célèbres, l'auteur ne recule devant rien. L'ancrage dans l'époque actuelle est souligné par Vladimir Poutine. Ce personnage est dépeint comme la personnalité en vue du camp du mal, qui tient, pour des raisons exposées dans le roman, à ce que Lénine ne soit pas enterré. Du côté du bien, on trouve rien de moins que David Copperfield, orfèvre des disparitions... autour de ces deux personnages, et avec la complicité de l'église orthodoxe, l'auteur tisse une intrigue qui met en présence rien de moins que deux complots. En optant pour David Copperfield, l'auteur choisit certes un bonhomme un peu "too much". On veut bien y croire, cependant, sachant que l'auteur lui crée un rôle taillé sur mesure: il a su cerner sa compétence essentielle d'illusionniste. Cela dit, en opposant frontalement deux vastes complots portés par deux sociétés secrètes, l'auteur met en place un manichéisme pour le moins brutal...

 

A un doigt de la perfection

Il y aurait encore une ou deux incohérences à relever, par exemple celle qui fait que l'on voit deux personnages (dont Tatiana, une jeune femme!) chanter de vieilles chansons russes avec l'autoradio d'un camion, alors qu'ils sont en fuite et que leur vie est en jeu: est-ce vraiment l'humeur du moment?

 

Et pourquoi ce roman accroche-t-il malgré tout son lectorat? Pourquoi le lire? Le lecteur sera sans doute accroché par la fluidité stylistique du roman, et par une écriture que l'on ne surprend jamais à folâtrer. l'auteur tient à coller à l'action et à ce qui lui paraît important. Et puis, il trouvera là des personnages attachants quand même, mus par une action rationnelle mais guidée par un mysticisme, voire une superstition, pleinement assumés et qui gravitent autour des pouvoirs surnaturels prêtés à la dépouille de Lénine. A moins qu'il ne flaire, à raison, une certaine nostalgie ou un certain spleen, né de l'image que l'on a aujourd'hui de l'ex-Est. Les Allemands ont un mot pour ça: "Ostalgie".

 

Edouard Moradpour, Le Mausolée, Paris, Michalon, 2013, préface d'Alexandre Adler.

 

(1) A propos, quelqu'un peut-il me dire s'il existe une légende de malédiction similaire au sujet de la momie exposée au Musée de la Sénatorerie de Guéret (Creuse)? Ca m'intéresse, sincèrement.

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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 05:00

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Alex, Amos, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Cagire, Caro[line], Chrestomanci, Chrys, Edelwe, Emma, Esmeraldae, Ferocias, Fleur, George, Hambre, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, Marie, MyrtilleD, Saphoo, Schlabaya, Séverine, Sophie57, Tinusia, Violette, Yueyin, Zik

 

Bacchanale

 

Une brusque clameur épouvante le Gange.
Les tigres ont rompu leurs jougs et, miaulants,
Ils bondissent, et sous leurs bonds et leurs élans
Les Bacchantes en fuite écrasent la vendange.

Et le pampre que l’ongle ou la morsure effrange
Rougit d’un noir raisin les gorges et les flancs
Où près des reins rayés luisent des ventres blancs
De léopards roulés dans la pourpre et la fange.

Sur les corps convulsifs les fauves éblouis,
Avec des grondements que prolonge un long râle,
Flairent un sang plus rouge à travers l’or du hâle ;

Mais le Dieu, s’enivrant à ces jeux inouïs,
Par le thyrse et les cris les exaspère et mêle
Au mâle rugissant la hurlante femelle.

José-Maria de Heredia (1842-1905), Les Trophées. Source.

 

 

 

 

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24 mai 2013 5 24 /05 /mai /2013 21:53

hebergeur imageLu par Clara, Cryssilda, Keisha, Pralineries, Sylire.

Lu dans le cadre du défi "Nouvelles" de Lune.

Les sites de l'éditeur et de l'auteur.

 

Imaginez que votre lecture du soir vous soit suggérée comme une posologie: une nouvelle à "lire le soir". Allez-vous en redemander, une fois que la boîte est terminée? Sans doute. Surtout si ces textes sont signés Denis Labayle. Alors ne vous gênez pas. Praticien hospitalier de profession, cet homme tâte aussi de la plume. Après six romans et plusieurs essais dont certains ont fait date, cet auteur est revenu dernièrement avec un recueil de nouvelles intitulé "Nouvelles sur ordonnance".

 

D'une nouvelle, on attend volontiers quelque chose qui sort de l'ordinaire. Et d'une autre part, l'on apprécie un peu de simplicité de la part d'un médecin. Et surtout, on peut attendre de lui une humanité certaine. Le lecteur qui part dans de telles dispositions se trouvera rapidement dans son élément dans le recueil "Nouvelles sous ordonnance": l'auteur a trouvé un équilibre qui lui permet d'aller loin dans le questionnement du lecteur. "Le Mensonge amoureux", première nouvelle du livre, est à ce titre une belle preuve d'humanité. D'un point de vue littéraire, c'est aussi un bel exercice d'équilibre: il y a le savoir-faire du médecin, sans doute inattaquable en théorie, mais fragilisé par des sentiments et des circonstances qui compliquent tout. Sans se départir d'un naturel certain, l'auteur parvient à dépeindre ses limites face à une situation qui n'a rien d'évident: une jeune femme qui a le cancer, s'avère difficile à vivre... mais dont le médecin devient amoureux.

 

Il arrive aussi, au fil des pages, que le lecteur se demande qui soigne qui - est-ce l'homme de l'art qu'on vient consulter, ou le bar où le patient a ses habitudes? La nouvelle "Bistrot" pose la question de front; deuxième du recueil, elle jette d'emblée un trouble en demandant qui est le vrai médecin: le cercle d'amis constitué autour d'un bar où l'on boit des verres, ou le docteur qui a fait des études et considère que l'excès d'alcool nuit? L'auteur a le bon sens et la discrétion de ne pas trancher; il laisse ainsi son lecteur réfléchir, sans imposer son point de vue, et lui suggère, mine de rien, que l'art du médecin ne peut pas toujours tout. Au terme de la lecture de cette nouvelle empreinte de tendresse, le lecteur se trouve donc placé face à une grande question: qu'auriez-vous fait à la place du médecin?

 

Les grandes questions sociales reviennent régulièrement dans les nouvelles du recueil. Partant de cas individuels, elles rappellent à chaque fois qu'il est avant tout question d'êtres humains - et à ce titre, l'auteur paraît faire sienne la maxime "C'est de l'homme qu'il s'agit", énoncée par l'hématologue Jean Bernard. L'auteur le comprend, et prend à chaque fois soin de cerner ses personnages en leur donnant une épaisseur, aimable ou odieuse (voir à ce sujet "L'inquiétant Monsieur Kervert"), mais toujours lisible.

 

A chaque nouvelle, ce sont ainsi les interrogations d'un médecin qui sont posées au lecteur, par rapport à un cas particulier à chaque fois emblématique. Le lecteur est certes conscient que "Nouvelles sous ordonnance" est un recueil de nouvelles inventées; cependant, la narration à la première personne du singulier et le ton fluide et sans fioritures, qui caractérisent chaque texte, ne manqueront pas de lui donner l'impression que l'auteur vient lui confier ses secrets médicaux et ses souvenirs à l'oreille.

 

Denis Labayle, Nouvelles sur ordonnance, Brest, Editions Dialogues, 2013.

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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 20:27

hebergeur imageLe blog de l'auteur: Mélanie Richoz.

Lu dans le cadre du défi "Premier roman".

 

L'écrivaine Mélanie Richoz lira "Tourterelle" le vendredi 7 juin à 20 heures au centre "Le Phénix" de Fribourg (rue des Alpes), dans le cadre des lectures de la Société fribourgeoise des écrivains. La guitariste Emilie Zoé assurera les intermèdes musicaux.

 

Il est des histoires d'amour qui sont brèves, intenses, et denses par conséquent, dès lors qu'on les jette sur le papier. Elles font vibrer les personnes qui les vivent, et celles et ceux qui les lisent. Et lorsque l'histoire est perçue du point de vue féminin, cela donne "Tourterelle", qui est le premier roman de l'auteure fribourgeoise Mélanie Richoz.

 

Tout commence avec la force du premier mot: une deuxième personne du singulier qui interpelle, certes, mais rappelle aussi qu'en amour, l'autre est tout. Le premier paragraphe est du reste entièrement consacré à décrire l'être qui va être aimé, la première personne du singulier, le "je" de la narration, n'apparaissant qu'au deuxième paragraphe alors que c'est de son point de vue que le lecteur va vivre l'expérience littéraire de "Tourterelle". Le lecteur devine ainsi, dès le départ, que "Tourterelle" est une longue lettre d'amour déguisée en roman.

 

Si le "tu" est omniprésent, le "je" lui fait réponse, la narratrice exposant ses propres sentiments à l'égard d'un destinataire auquel elle ne donne jamais directement la parole, préférant dévoiler elle-même quelques traits de sa personnalité - entre autres une accoutumance précoce à l'alcool et un goût pour la musique. Donner la voix à la narratrice pour qu'elle se décrive constitue une option nécessaire pour emporter l'attachement du lecteur, qui découvre ainsi une personne attachante, qui paraît vivre son éducation sentimentale à trente-neuf ans avec un jeune homme de vingt ans, après un mariage présenté comme insipide. Le lecteur appréciera cependant le fait que le récit n'a jamais le temps ni l'occasion de basculer dans un narcissisme stérile.

 

Au-delà d'un profil strictement descriptif (la narratrice est humblement active dans les soins médicaux, âgée de 39 ans, physiquement plutôt sèche), l'auteure creuse la personnalité de la narratrice en mettant l'accent sur la vie des sens. Le corps apprend aussi, et en prenant des rondeurs, il fait figure d'écho concret à une véritable étape dans la vie intérieure soudain riche de la narratrice: "J'ai pris des hanches. Mes seins se sont arrondis. Ils sont jolis. Mes mamelons extraordinairement érectiles. Hypersensibles. Je pourrais jouir par simple effleurement des tétons. Le caractère anguleux, que la maigreur infligeait à ma silhouette il y a encore quelques mois, s'estompe. [...]" (p. 78).

 

Exprimée sans détours, cette sensualité exacerbée constitue l'apex d'un récit tout en gradation, empreint de poésie et d'une musique amoureuse. Suggérée de manière concrète par quelques titres fameux ("La Vie en rose", "La Javanaise"), cette musicalité est reflétée par la prosodie qui imprègne un récit rythmé par des chapitre si courts qu'ils font parfois figure de poèmes, et par des retours à la ligne inattendus qui mettent certains mots en évidence.

 

Sous des dehors poétiques parfois envoûtants, ce récit recherche aussi la précision. Les incises, composées entre deux barres obliques dans une typographie distincte du reste du texte, en sont l'exemple le plus frappant pour le lecteur. Prenant son lecteur par la main, l'auteur glisse ainsi des précisions sur son récit, indiquant les sous-entendus qu'il faut comprendre au détour de telle ou telle phrase, ou précisant un mot glissé dans une phrase. Elle paraît suggérer ainsi qu'il suffit de prononcer un mot de deux manières différentes pour qu'il prenne un autre sens - et cela semble marcher, pour peu qu'on prenne la peine de lire les phrases concernées à haute voix.

 

Enfin, que penser du titre? Il peut étonner, mais constitue l'élément le plus riche et le plus poétique de ce bref ouvrage. C'est un patient italien âgé que la narratrice soigne qui sert de trait d'union, et c'est là que, dans le corps du récit, apparaît l'image de la tourterelle - qui roule les R comme un Italien qui parle avec l'accent. Mais c'est bien, en dernier ressort, la narratrice qui joue le rôle de la tourterelle, et la structure de l'ouvrage le dit bien: rédigée en italiques en ouverture de récit, la liste des tourterelles existantes suggère l'arc-en-ciel des sentiments qui est celui des amoureux. Et en fin de roman, même si elle se retrouve isolée, la narratrice prend son envol, certes avec la complicité d'un avion, pour un lieu qu'elle aime. Seule. Et, héritière de l'épisode sentimental relaté par "Tourterelle", libre de grandir et de passer à autre chose.

 

Mélanie Richoz, Tourterelle, Genève, Slatkine, 2012.

 

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20 mai 2013 1 20 /05 /mai /2013 19:38

hebergeur imageLu par Café Powell, Choupynette, Clara, Cultur'elle, Cunéipage, Elodie, Enlivrons-nous, La Pause Librairie, La Ruelle bleue, Reading In The Rain.

Billet écrit en partenariat avec les éditions Rue Fromentin, que je remercie pour l'envoi.

Le site de l'auteur: J. Courtney Sullivan.

 

"Après tout, elle venait d'une famille d'ivrognes, de handicapés émotionnels, aigris par la rancune.": glanée à la page 238 de "Maine", cette phrase résume à merveille les 454 pages de ce roman, le deuxième de l'écrivaine américaine Julie Courtney Sullivan, qui vient de paraître aux éditions Rue Fromentin dans une traduction en français signée Camille Lavacourt. Ce long voyage dans le Maine est aussi la peinture des relations houleuses qu'entretiennent quatre femmes, de trois générations, liées entre elles par les liens familiaux. Cyclique, le roman change de point de vue à chaque chapitre, dans un ordre immuable.

 

Il me faut relever avant tout, non sans les nuancer, les qualités de ce roman, pour commencer. C'est en effet un vrai tour de force romanesque que de créer des personnages aussi finement creusés et observés, et d'observer les caractères qui se frottent et les vannes qui fusent, autour d'une maison qui finit par constituer une pomme de discorde parmi d'autres. D'une manière générale, du reste, la force de ce roman réside dans l'observation des êtres humains, et en particulier des personnages féminins, les hommes étant relégués dans des rôles périphériques par forcément valorisants: un futur père immature, un hippie vieillissant, un jeune homme bon à rien... Cette attention sur les personnages fait aussi passer le décor au second plan, alors que le titre du roman suggère que l'auteur va aussi offrir une vision du Maine, cet Etat américain rendu célèbre par Stephen King. On retiendra toutefois la saisissante description du dramatique incendie du Cocoanut Grove, une boîte de nuit de Boston: c'est réellement arrivé (pour en savoir plus, c'est ici). Et dans le roman, cet épisode fait figure d'instant clé.

 

Pourtant, il n'est pas évident d'intéresser son lectorat à un tel sujet, et le récit n'y parvient pas tout à fait. C'est peut-être dû à une mise en place assez longue (une centaine de pages pour le premier cycle de quatre chapitres), où le lecteur pourra avoir l'impression, plus d'une fois, d'assister aux petits soucis de riches, d'un intérêt contestable, d'une grande famille dans laquelle on peut facilement se perdre. Si le sujet de l'alcool est traité tout en nuances et fortement exploité, l'idée de la création de maisons de poupées paraît plutôt futile. Par ailleurs, le fait d'avoir gagné la maison dans un pari et l'idée du métier de l'élevage de vers (avec une description complaisant de leurs précieuses déjections, vendues comme engrais) tenu par l'une des femmes mises en scène et par son mari m'ont paru un poil "too much". Cela, à moins que l'auteur ne souhaite prêter à sourire.

 

Et c'est sans doute son intention, tant il est vrai que certaines scènes et trouvailles de ce roman, sans être hilarantes, ne sont pas dépourvues d'humour. Cet humour paraît toutefois assez paradoxal dans ce roman, qui se présente plutôt comme un drame familial. Peut-être est-il le résultat d'une volonté, de la part de l'auteur, d'alléger des ambiances volontiers lourdes et tendues, dans lesquelles l'alcool joue facilement un rôle catalyseur.

 

Il me faut donc bien reconnaître que je suis passé à côté de ce long roman, même si j'en reconnais les qualités littéraires... Sans doute attendais-je autre chose.

 

J. Courtney Sullivan, Maine, Paris, Rue Fromentin, 2013, traduction de Camille Lavacourt.

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19 mai 2013 7 19 /05 /mai /2013 05:00

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Alex, Amos, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Cagire, Caro[line], Chrestomanci, Chrys, Edelwe, Emma, Esmeraldae, Ferocias, Fleur, George, Hambre, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, Marie, MyrtilleD, Saphoo, Schlabaya, Séverine, Sophie57, Tinusia, Violette, Yueyin, Zik

 

À Madame ***

 

Comme Dieu dans le sein des mers mystérieuses
A dérobé la perle aux yeux des matelots,
J’ai, dans mon âme, loin des foules curieuses,
Enfoui mon amour et caché mes sanglots.

Oh ! de mon cœur blessé le douloureux mystère,
Madame, à vos regards restera toujours clos ;
La fleur de mon amour s’éteindra, solitaire,
Beau lis que le soleil n’aura jamais éclos. —


Votre doux nom, madame, embaumera ma lyre,
Le reflet de vos yeux éclairera ma nuit,
Et si vos lèvres d’or me donnaient leur sourire,
Je comprendrais le ciel. — mais j’apprendrais l’ennui !

 

Etienne Eggis (1830-1867), Voyages au pays du coeur.

 

 

 

 

 

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18 mai 2013 6 18 /05 /mai /2013 14:06

hebergeur imageLes vins, c'est tout un univers, et l'amateur de bons breuvages devrait se souvenir que la Géorgie est le berceau mondial de la viticulture. Et qu'aujourd'hui encore, ce pays produit d'excellents vins qui gagneraient à être connus. La maison Badagoni a par exemple, dans ses chais, un petit Tsinandali fort agréable - et c'est bien le moins que l'on puisse dire. C'est un vin rare sous nos latitudes: je l'ai trouvé l'autre jour dans un magasin de spécialités russes situé à Berne.

 

Le producteur promet que ce vin est sec (en russe: сухое), et la promesse est tenue à cent pour cent. Bien frais, ce vin révèle ainsi des impressions qui ne sont pas sans rappeler, paradoxalement, certains chasselas suisses: aromatiques au nez, d'une grande retenue en bouche. Dès lors, on aurait envie de le préconiser en apéritif, frappé, tout seul, ou alors avec de petits feuilletés.

 

Et puis, peu à peu, ce Tsinandali complexe, millésime 2010, se révèle. Comme constante, il a le tranchant requis pour passer avec un plat de poissons, assorti d'une bonne pointe d'amertume. Il offre aussi des arômes qui, de manière étonnante, oscillent entre la pomme telle qu'elle est lorsqu'on mord dedans et l'ananas comme on l'aime, avec une véritable chaleur qui flatte le palais. Progressivement, ces arômes s'imposent avec une vigueur à la fois prévisible (ils sont portés par un taux d'alcool de 13%, quand même) et inattendue.

 

La contre-étiquette suggère un vin presque jaune paille; j'irais jusqu'à gommer l'adverbe "presque", tant il est vrai que la pâleur de ce blanc rappelle la teinte des blés. Elle promet par ailleurs un vin d'une grande élégance. Pas faux; j'ai plutôt envie de dire, après dégustation, que ce vin tout en paradoxes a la finesse d'une aiguille qui pique spontanément au bon endroit, là où ça fait du bien et où ça sait surprendre.

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15 mai 2013 3 15 /05 /mai /2013 19:26

hebergeur imageJ'en avais parlé ici il y a quelque temps: l'artiste fribourgeois Jean-Pierre Humbert a lancé l'an dernier un concours d'écriture littéraire dont les sujets étaient deux de ses oeuvres. Les lauréats sont à présent connus:

 

1er prix: Ivan Sigg, pour son haïku.

2e prix: Pierre Lalanne, pour "Journal improbable".

3e prix: Aliette Somot, pour son poème aux lectures multiples.

 

hebergeur image

Jean-Pierre Humbert informe qu'Ivan Sigg sera présent samedi 18 mai 2013 à 11 heures à l'Atelier Contraste, pour une remise des prix organisée en son honneur. Le lieu? C'est à Fribourg, à la Ruelle des Cordeliers 6.

 

Il est à noter que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer Ivan Sigg, au sujet de ses romans: La Touffe sublime, L'Annonce faite à Joseph, L'Ile du Toupet. Ivan Sigg est également artiste (son site officiel est ici), et aussi blogueur.

 

 

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