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15 septembre 2009 2 15 /09 /septembre /2009 21:34

"Du whisky de Clermont-Ferrand, de vrais pédés, de fausses vierges", chantait Jacques Brel. Me croirez-vous si tous ces ingrédients, en substance si ce n'est à la lettre, apparaissent dans "Journal d'une apprentie séductrice" de Betsy Burke? Publié dans la collection "Red Dress Ink", derrière laquelle se cachent les éditions Harlequin, ce roman offre par ailleurs une visite non conformiste (mais apparemment vécue) des coulisses d'une organisation de protection de l'environnement à l'américaine.

Un titre trompeur
Le titre français de ce roman est doublement trompeur. "Journal", a-t-on dit? Pour l'auteur, la forme du journal intime est sans doute une manière commode de découper ses chapitres, en les faisant coïncider avec les journées les plus importantes de la vie de Dinah Nichols au cours d'un trimestre hivernal à Vancouver. Mais ces jours ne sont guère datés (on parle de Halloween, ce qui permet de chiffrer, mais la fête intervient au milieu du mois de novembre - est-ce correct?), les mois (qui constituent les "parties" du récit) ont des longueurs très variables en fonction des besoins de la narration, et surtout, le ton du discours est clairement celui du vrai roman: dialogues fidèlement transcrits, narration détaillée, travail de la comparaison à l'occasion.

Et puis, en quoi Dinah Nichols, trentenaire façon Ally McBeal, est-elle une apprentie séductrice? Cet attribut repose sur une rumeur, et on ne voit guère la narratrice séduire activement ses futurs partenaires: au contraire, elle tend à les subir, même si c'est... vachement agréable!

Pour tout dire, le titre anglais "Hardly working" est plus fidèle au propos: certes, ce livre met en scène une jeune femme au travail; mais ce travail lui est prétexte à surfer sur le Web, à passer du temps à tenir conseil à la cafétéria et ailleurs, à boire des verres, à assister à des réunions, etc. "Hardly working" ne signifie pas "Working hard(ly)"!

Des clichés revisités au deuxième degré
"Journal d'une apprentie séductrice" revisite les clichés du roman d'amour, on le comprend vite. Il faut cependant faire jeune, neuf, frais, de manière à séduire les "citadines branchées" qui constituent le lectorat visé par Red Dress Ink. Alors évidemment, on a des femmes aux yeux verts (mais on peut concevoir que ça s'insère dans le métier écolo pratiqué par l'entreprise qui emploie Dinah Nichols) et des hommes absolument splendides avec des pectoraux stupéfiants - et qui, naturellement, sont des coups en or, même le méchant de l'histoire. La typologie du mâle humain est du reste intéressante à retracer: on a d'un côté les cibles, à savoir les hommes hétérosexuels plutôt beaux tels que Ian Trutch, restructurateur séduisant et sans âme - le Diable incarné! De l'autre, nous avons les gays, inaccessibles à l'héroïne par essence... Des personnages comme Jake, hétérosexuels "normaux" à moustache, comptent à peine; Jake est du reste régulièrement tenu à l'écart des "conseils de guerre" tenus par Dinah et ses collègues (femmes) de bureau.

Pas de chick lit sans quête du mâle... et là, on est pile dedans, plutôt deux fois qu'une même. La narratrice donne le change face à ses copines, mais elle consulte un psy, et l'auteur ne fait pas mystère que si elle le fait, c'est parce qu'il lui a manqué un père. Résultat: Dinah Nichols recherche les deux hommes de sa vie - son géniteur et celui qui, peut-être, l'épousera (le roman se termine sur un mariage, mais pas celui de Dinah!). Cette quête illustre à merveille l'idée qu'on ne choisit pas sa famille (le père est un vieil alcoolique...)... et qu'il faut faire un effort pour assumer le choix de son cher et tendre, en ayant le courage de dissiper les malentendus!

Autre cliché formel revisité, celui des images et métaphores indispensables au genre. Le succès est variable... Il y a des trouvailles assez originales ("On dirait un ange de la Renaissance en tenue de sport!", p. 42), d'autre méritoires mais brisées net ("J'ai l'impression d'avoir un hamster qui pédale dans la tête", lit-on p. 51 - gueule de bois, tout le monde l'a compris; mais pourquoi l'auteur insiste-t-il en ajoutant droit derrière: "Pire encore, le hamster a la gueule de bois."?). D'autres, enfin, sont de véritables perles: "La couleur de ses yeux [d'un homme] me fait penser au carrelage d'une piscine." (p. 59, du dernier romantique). Le deuxième degré est passé par là!

De l'intérêt des agences de protection de l'environnement
Je l'ai dit, l'action se passe au sein d'une agence chargée de récolter des fonds pour des projets visant à la protection de l'environnement. Tout cela est fait très à l'américaine: on s'organise un grand show avec moult technologies, chacun a quand même son portable (les ondes, ça ne pollue plus? Et le coltan?), on se déplace volontiers en voiture et on se la joue quand même un rien matérialiste. L'auteur, et c'est une de ses forces, parvient néanmoins à mettre en scène quelques contradictions et excès de la "religion" écolo. On pense par exemple à Dawn, l'épouse de Michael, ex-petit ami de Dinah, végétalienne au point d'embarrasser ses hôtes si d'aventure, le couple est invité à dîner. On songe aussi à certains délires entre collègues ou à des pratiques peu orthodoxes pour extorquer des sous à ceux qui en ont. L'auteur touche même, bien gentiment, à l'écoterrorisme - voir l'épisode des Eco Girls, mais là, il s'agit pour elles de déboulonner un patron décidément ignorant des règles de simple bon sens pour ménager l'environnement (ne pas rouler en Ferrari, par exemple, ou ne pas offrir un manteau d'astrakan à sa conquête d'un soir, qui sait ce qu'est vraiment l'astrakan...).

Le patron? C'est le méchant de l'histoire, et probablement le personnage le plus intéressant du récit: alors que d'autres fonctionnent selon quelques règles simples (Cleo est la véritable mangeuse d'hommes du roman, Penelope est la fille désireuse d'arriver vierge au mariage, Roly est un clochard milliardaire qui joue les bénévoles dans l'organisation (donc comme mâle, il ne compte pas!), etc.), Ian Trutch est dépeint comme l'homme qu'on ne trouve pas immédiatement odieux (il sort avec l'héroïne, quand même! et celle-ci est attachante!), mais qu'on n'arrive jamais à aimer franchement: le lecteur sent immédiatement qu'il y a quelque chose qui cloche, sans pouvoir dire quoi. Entre indicateurs de richesse et comportements attentionnés, l'auteur se déplace avec adresse sur la corde raide... trouvant l'équilibre idéal pour Ian Trutch.

Face à cela, le lecteur (la lectrice?) n'échappe pas à un discours moral, bien léger mais quand même présent: Penelope est contrainte de se faire avorter, ce qui ouvre un boulevard à un petit speech sur "fallait y penser avant", "la contraception, ça existe, et pas que la méthode des températures", etc. - et naturellement, vu qu'on est dans le business vert, on pense aux animaux (plusieurs personnages y sont attachés, en particulier Jon, vétérinaire, voisin et fantasme de Dinah) et à la protection des eaux. Cela, sans oublier la protection des arbres... et la description de certains procédés mis en place pour camoufler les atteintes à l'environnement.

Chouette, alors? On suit avec plaisir cette bande de jeunes, même si l'histoire tarde un peu à trouver ses rails - une quête du père et du mari pour Dinah, alors que tout autour d'elle, tout se met en place, jusqu'à l'épilogue. Le tout baigne dans une ambiance dominée par la bonne humeur: les licenciements n'abattent personne, les problèmes se résolvent au fil des pages, et tout se termine pour le mieux dans le meilleur des mondes - avec l'impression que toutes les questions que le lecteur s'est posées à un moment ou à un autre du récit ont trouvé une réponse, au plus tard dans l'épilogue. Fort agréable! 

Betsy Burke, Journal d'une apprentie séductrice, Paris, Red Dress Ink.

Lu dans le cadre des challenges "Harlequinades 2009" et "Chick Litt For Men".   



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13 septembre 2009 7 13 /09 /septembre /2009 20:34

Imaginez un aspirant écrivain plongé malgré lui dans un délire fantasmagorique organisé par des forces occultes en plein coeur de Barcelone, durant le premier tiers, voire la première moitié du vingtième siècle. Tel est, en une seule phrase, le sujet de "Le Jeu de l'ange", dernier opus de Carlos Ruiz Zafón, paru dans le sillage de la rentrée littéraire 2009, que les lecteurs attentifs et fidèles ne manqueront pas d'associer à son premier succès planétaire, "L'Ombre du vent", abondamment commenté dans la blogosphère et abondamment vendu (11 millions d'exemplaires) dans les librairies.

Commençons par quelques généralités. L'ouvrage est fort épais (près de 600 pages); le propos est cependant porté par un style fluide, parfois léger, qui ne manquera pas d'accrocher grâce à un certain esprit qui éclate en particulier dans des dialogues soignés et vivants; à ce titre, les manigances de David Martín, le personnage principal, pour jeter sa secrétaire Isabella dans les bras du fils du libraire Sempere constituent des pages d'anthologie. Sans atteindre au niveau burlesque délirant d'auteurs tels que Eduardo Mendoza ou Arturo Gonzalez Ledesma, l'auteur confère à sa prose un certain sourire, par-delà le drame. Contée de manière linéaire, recelant quelques coups de théâtre et de suspense, l'histoire se développe bien tout au long de ses étranges méandres. Pour un peu, on se mettrait à penser à des classiques d'autrefois.

Barcelone, version touristique
On peut dire, en quelque manière, que la ville de Barcelone joue un rôle dans ce récit - à la manière d'un décor praticable plutôt bien fait que l'auteur fait découvrir de manière touristique. Antoní Gaudí est naturellement cité, de même que les inévitables ramblas et les bâtiments "modernistes" (modern style ou Jugendstil, sans doute) sans nombre qui ont dû fleurir au début du vingtième siècle. C'est naturellement dans une maison biscornue et mystérieuse que le personnage principal élit domicile - et c'est l'une des portes d'entrée du fantastique tel que pratiqué par Carlos Ruiz Zafón. Il est cependant difficile de considérer que l'histoire n'aurait pu se passer qu'à Barcelone; dans le domaine de la couleur locale et de l'intégration du lieu au récit, l'Eduardo Mendoza de "La Ville des prodiges" a par exemple fait plus fort.

Un héros romantique
J'ai déjà dévoilé le nom de David Martín, le personnage principal et narrateur de ce récit. Au départ, l'homme est un vague collaborateur d'un journal. Quelqu'un découvre qu'il a la plume facile, ce qui lui vaut d'être aiguillé vers la rédaction de feuilletons dont les lecteurs du journal sont friands. Naturellement, sans trop se l'avouer, Martín se découvre des ambitions littéraires, et la vie va lui donner quelques occasions de les réaliser, à un certain prix - son âme, peut-être?  

 

Tel est le fondement romantique de ce roman: un personnage quasi balzacien, amateur de carrière à la manière de Rastignac même s'il n'en a peut-être pas forcément la niaque (David Martín finit quand même par subir les événements), et maladif parce que la maladie est un thème récurrent de toute prose romantique. On pourrait croire qu'il pactise avec le Diable, ce qui rapproche le récit d'un certain Faust (le lecteur y pense du reste dès le premier paragraphe du roman); enfin, Carlos Ruiz Zafón revendique la paternité de Charles Dickens en citant, plus souvent qu'à son tour, le roman "High Hopes" de cet auteur. Tels sont les fondements théoriques de l'ouvrage.

Personnage romantique, David Martín est aussi un héros complexe qu'on peut trouver odieux ou macho (au pire sens du terme!), en particulier avec Isabella - ce qui peut rendre difficile, pour le lecteur, une adhésion totale au propos. A ce titre, en optant pour un héros finalement peu consensuel, Carlos Ruiz Zafón n'a pas choisi la voie de la facilité.

Deux femmes pour un homme
Partagé entre deux femmes après avoir été déniaisé par une certaine Chloé (qui porte comme par hasard le nom d'un de ses personnages de roman), David Martín finit par se retrouver avec personne dans les bras. C'est pour Cristina que le narrateur roule; celle-ci deviendra cependant l'épouse de Pedro Vidal, qui emploie le père de Cristina comme chauffeur. La séparation survient, mais la maladie mentale (encore un thème bien romantique) s'en mêle; et Martín ne peut que voir mourir l'inaccessible, à travers une plaque de glace qui fait figure de paroi de verre.

Isabella, l'autre femme, est pragmatique, bien ancrée dans la réalité; dans un premier temps, Martín n'en fait pas cas. Il finira par la jeter dans les bras du fils du libraire Sempere, après avoir tissé avec elle une relation complexe d'amour-haine qui ne veut pas dire son nom. Cela, alors qu'elle représentait pour le héros un élément parfaitement accessible. Péché d'orgueil...     

Les ressorts du fantastique
"Le Jeu de l'ange" est, sans conteste, un roman fantastique. Le surnaturel entre dans l'existence de David Martín par plusieurs portes: la maison de la tour (hantée? un classique!), le personnage énigmatique de l'éditeur Andreas Corelli (qui ne cligne pas des yeux et écrit en lettres de sang sur du (trop) beau papier), etc. Tout cela finit par converger vers un même point: l'étrange destinée du narrateur.

L'auteur se promène ainsi avec adresse sur la corde raide de l'incertitude: son histoire est finalement probable, quoique capillotractée si l'on refuse totalement le surnaturel: le jeu de coïncidences paraîtra par exemple trop énorme (tiens, comme par hasard, le livre que David Martín a récupéré au Cimetière des livres oubliés a été écrit par le précédent locataire de son logement, qui a en plus les mêmes initiales que lui...). Le titre lui-même, annonçant un ange énigmatique qu'on retrouve tout au long du récit (épinglé au revers de la veste d'Andreas Corelli, sculpté en grand dans un atelier de pompes funèbres, reproduit sur le papier à lettres d'Andreas Corelli), annonce la couleur.

Flatter le lecteur
Cependant, l'une des ficelles les plus énormes de ce roman reste... la mise en scène de la lecture. Ceux qui m'ont lu jusqu'ici sont sans doute des lecteurs invétérés à la recherche de leur prochaine perle rare. Et l'auteur s'adresse directement à eux. Hymne à l'activité de lecture? On l'a dit de ce roman. L'auteur crée un emplacement mystérieux (ce fameux Cimetière des livres oubliés) où l'on peut aller piocher, si l'on y est convié dans les formes (nourrir sa PAL (pile à lire) devient ainsi une cérémonie bien organisée) un précieux ouvrage et où l'on est invité à en prendre bien soin. Naturellement, il s'agit de l'ouvrage rarissime et génial que l'on souhaite lire et présenter à ses amis, et l'auteur laisse entendre que c'est le livre qui choisit son lecteur... La lecture revêt ainsi des allures fantasmagoriques; on peut y lire un message: "lisez, vous découvrirez des mondes inconnus!" Message publicitaire un peu gros; à ce régime, le lecteur devrait goûter tout autant l'"Histoire de la lecture" d'Alberto Manguel. Et flatter le lecteur dans son activité préférée m'a assez vite paru un peu facile.

Carlos Ruiz Zafón recycle ainsi de vieilles recettes, de vieux ouvrages, en ayant cependant l'honnêteté de citer ses sources de manière plus ou moins transparente et de ne pas infantiliser le discours. Génial, ce roman aurait donc pu l'être s'il avait paru à l'époque de Balzac; aujourd'hui, il fait plutôt figure de récit bien campé sur des valeurs sûres, solide, bien dans les clous... Plonger le lecteur en terrain hyper-connu pour le rassurer est certes une recette qui marche; mais quelques surprises supplémentaires auraient été les bienvenues. 

Carlos Ruiz Zafón, Le Jeu de l'ange, Paris, Robert Laffont, 2009, traduction de François Maspero.

On en parle aussi chez 
Karine, Belle de nuit, Tiphanya, Wictoria et quelques autres mentionnés sous Blog-o-Book (billets en cours de floraison). Causeur, enfin, tire à vue sur l'auteur: un billet à réserver à ceux qui aiment la castagne...      

Le présent ouvrage a été commenté à la suite d'un partenariat organisé entre le blog Blog-o-Book, incontournable pour les blogolecteurs, et les éditions Robert Laffont. Je remercie ici ces deux organisations.

Il constitue par ailleurs le quatrième ouvrage (sur sept requis) de mon challenge du pour-cent littéraire, organisé par
La Tourneuse de Pages.

Photo:
http://www.lejeudelange.fr.   

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9 septembre 2009 3 09 /09 /septembre /2009 20:54

Plus original encore que le portrait (pseudo) chinois que je vous ai livré l'autre jour, je balance ici un "texte original" en forme d'acrostiche que j'avais commis dans les années 2003. Des vers de mirliton, des hiatus à n'en plus finir, de quoi faire hurler les puristes du vers classique (dont je suis...) mais enfin je crois que l'image renvoyée n'est pas à renier... J'avais envoyé ce poème en guise de message de présentation à l'excellente souliérologue Océane, qui y invitait ses lecteurs; qu'elle ne m'en veuille pas si je lui brûle la primeur du texte...



Dans le pays fier des nobles montagnards
Admirant tour à tour Bach, Brahms et puis Satie,
Nourrissant ses neurones avec de l'eau-de-vie,
Il aime surtout lire, et admirer les arts.

En chantant dans les choeurs la chanson du lézard,
Lisant dans Beaumarchais et mordant dans la vie,
Puis jetant sans regret la techno aux orties,
Fattore aime à prouver qu'il aime aussi Mozart.

Aimer, boire et manger, que voilà un mélange!
Tout en chantant très fort - et tant pis s'il dérange!
Tout est pour lui prétexte à délirer sans fin!

On le rencontre aussi, parfois dans les clandés,
Retrouvant des amis ou lisant un bouquin,
Et buvant du bon vin ou deux ou trois cafés.

Source:
http://www.poemes-opus1.ch/poeme.php?id=114


La source vous proposera par ailleurs un poème reçu en réponse, signé Vincent Besson, que je vous recommande - je précise qu'il vit dans l'Allier, en France, ce qui n'est pas évident, vu les références de son poème... Et si ledit Vincent Besson passe par ici, qu'il me fasse signe!

 

En conclusion, j'ajoute que la rédaction d'un acrostiche est un exercice sympa! Sans vouloir formellement en faire un TAG, j'invite tous mes lecteurs à s'amuser à rédiger un poème sous cette forme! Le principe est assez simple: en lisant verticalement les premières lettres de chaque vers, le lecteur reconnaîtra votre nom... A vos plumes donc, à vos claviers, à vos dictionnaires de rimes!
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6 septembre 2009 7 06 /09 /septembre /2009 20:55

Pas très inspiré ce soir, mais Lili Lectrice m'a soufflé une idée sympathique: dresser mon portrait chinois à partir de titres de livres. Je vais donc me livrer à ce petit jeu - et invite tout un chacun à m'imiter: c'est révélateur et sympathique. Est-ce un tag? Dans ce cas, je renonce à désigner des repreneurs: sans doute suis-je le dernier à m'y livrer... dans le cas contraire, n'hésitez pas à vous y mettre. 

Note préliminaire: je cite ici des romans en raison de leur titre, mais je ne les ai pas tous lus.  

Décris-toi : (voir ci-dessous)
Ton état d'esprit : C'est beau une ville la nuit, de Richard Bohringer
La condition actuelle de ton âme : Personnages désespérés, de Paula Fox
Décris là où tu vis actuellement : L'immeuble Yacoubian, de Alaa al-Aswani
Si tu pouvais aller n'importe où, où irais-tu ?
Le pire voyage au monde, d'Apsley Cherry-Garrard
Ton moyen de transport préféré : La Cadillac blanche de Bernard Pivot, d'Alain Beaulieu (si si, ça existe)
Ton / ta meilleur(e) ami(e) : Le Beaujolais nouveau est arrivé, de René Fallet
Toi et tes amis, vous êtes : Electrons libres, de James Flint
La météo du jour : Un rude hiver, de Raymond Queneau
Ton moment préféré de la journée : Plop! de Pierre Charras (si vous aviez vu la couverture du livre...)
Ta conception de la vie : Chroniques de l'oiseau à ressort, de Haruki Murakami (hé hé!) ou Vodka, dollars et gueule de bois de Alex Slapovski (hé hé! à nouveau)
Ta peur : Rater mieux, de Géraldine Barbe
Le meilleur conseil à donner : Il ne faut jurer de rien, d'Alfred de Musset (dans la version du film avec Gérard Jugnot)
Ta pensée du jour : Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable, de Romain Gary
Comment aimerais-tu mourir ? Mort dans l'après-midi, d'Ernest Hemingway

Et pour répondre à "Décris-toi", plutôt qu'un titre de livre, quelques vers de Jules Laforgue:

Je ne suis qu'un viveur lunaire
Qui fait des ronds dans des bassins
Et cela, sans autre dessein
Que de devenir un légendaire.

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4 septembre 2009 5 04 /09 /septembre /2009 21:13

... évoquons le sexe des oiseaux d'élevage. Un billet court pour que quelqu'un vienne éclairer ma lanterne...

J'ai lu il y a quelque temps, avec délices, l'ouvrage "
Brefs entretiens avec des hommes hideux" du regretté David Foster Wallace. L'une des nouvelles de ce génial recueil faisait mention d'un bonhomme qui exerçait la profession de sexeur de poussins. Cela ressemble à un gag, vu de loin, mais c'est très sérieux: il existe des professionnels payés pour inspecter des poussins afin de les trier en fonction de leur sexe? Quelques recherches m'ont permis de constater que c'est un art qui s'est développé au Japon avant d'envahir le monde entier, contribuant aux progrès de l'élevage industriel des poulets dans toutes ses dérives rentabilistes. Les meilleurs peuvent traiter un voire plusieurs milliers de poussins d'un jour en une heure, ce qui décide de leur sort - la marge d'erreur convenue est de 2%, et il paraît qu'un bon professionnel du sexe (des poussins) n'a pas de problème à s'y tenir. Au final, c'est donc moins joyeux qu'au départ.  

Et c'est justement en effectuant des recherches sur le surréaliste mais très réel métier de sexeur de poussins ("Qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand?" - "Sexeur de poussins!") que je suis tombé sur une autre profession dont l'énoncé semble encore plus délirant... et je me demande à présent si c'est un canular. Alors, voici ma question: les "branleurs de dindons" existent-ils vraiment? Leur métier consisterait à chatouiller le trillili des dindons pour récupérer leur semence (pour ne pas dire "sperme"), puisque le taux de reproduction de l'espèce est faible: "J'aime la vie, je fais des bébés", comme le chantait Sarclo, ce n'est pas le rayon de la gent glougloutante. Résultat: certains humains suppléeraient à cette carence... afin que l'insémination artificielle vienne suppléer à la sensualité défaillante du volatile. C'est ainsi que tout un chacun peut avoir de la dinde aux marrons à Noël...

Alors, "branleur de dindons"... un métier ou un gag? Saint Google annonce plus de 8000 occurrences, mais rarement très solides (on trouve cela plus souvent sur des forums que sur des sites de magazines agricoles), et surtout pas de photo de branleur en action, si j'ose ainsi m'exprimer; qui dit mieux?

Toute information sérieuse est la bienvenue!

Sur le métier de sexeur de poussins:
http://www.france-sexage.com (source de l'illustration)
Un article sérieux:
http://www.lebulletin.com/informations/actualite/article.jsp?content=20030727_170005_3904
On parle de branleurs de dindons sur un blog, mais je n'ai pas pu recouper:
http://floome.over-blog.com/article-2347218.html
Ici aussi: http://www.melty.fr/le-top-5-des-metiers-hors-du-commun-actu16120.html

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1 septembre 2009 2 01 /09 /septembre /2009 04:24

"No man's land", tel aurait pu être le titre du roman "En zone frontalière" de Sherko Fatah. Tel est en effet le décor que cet écrivain berlinois, Kurde par son père et écrivant en allemand, offre à son personnage principal, un passeur qui, au péril de sa vie, traverse régulièrement les champs de mines pour passer de l'Irak en Turquie afin d'y acheter les biens dont son entourage a besoin.

Un tel roman ne saurait exister sans un jeu de tensions bien présent. Le lecteur est immédiatement plongé dans le quotidien du passeur, présenté comme le rouage d'une société victime d'embargo, certes indispensable mais si dépourvu de visage qu'il n'a pas de nom, pas d'histoire ou presque - juste une famille, un fils même, ce qui le fait avancer. Le quotidien? C'est une "carrière" de trafiquant, transportant, alcool, cigarettes puis ordinateurs portables, que le lecteur découvre. Et c'est aussi un homme qui sait déterrer les mines. Le roman est dominé ici par une lenteur qui fonde le jeu de tensions précité et semble refléter, par exemple, les gestes minutieux d'une personne qui déterre une mine. L'auteur laisse éclater la force de son propos au gré d'un style sobre évitant tout pathos, toute figure intempestive.

Quelques passages sont cependant plus rapides, et cognent avec violence. On pense par exemple à l'épisode où, aux mains de soldats eux aussi sans visage, il se fait humilier. Les dialogues sont ici rapides, nerveux. Une autre manière de dire la violence, violence agie et subie alors qu'elle est latente, toujours potentielle, face aux mines.

C'est bien le pays d'aucun homme que l'auteur décrit ici. Il n'y a aucun nom de personnage ou presque (prénommé, Beno revêt un supplément d'existence et traverse ainsi le roman avec une aura énigmatique), et les lieux ne sont pas nommés non plus; les localités sont désignées de manière vague. Et naturellement, rien n'indique clairement le passage de la frontière - si ce n'est un champ de mines dont le passeur seul détient la carte.

Ce passeur, seul connaisseur de sentiers risqués, peut-il figurer une métaphore de l'artiste? Le lecteur peut y penser. Artiste qui, comme l'a écrit Charles Baudelaire, plonge "Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau!", le plus souvent à travers mille périls, au prix d'une vie difficile que figurent les champs de mines, afin d'aller quérir ce dont les gens ont besoin - des gens qui portent sur le passeur un regard ambigu, entre évitement et respect. "Ce qui s'affronte est toujours ce qui est parent, songea-t-il, et quelqu'un chez moi est fait pour courir entre les feux", peut-on lire en p. 94 - courir entre les feux, prendre des risques pour dire l'essentiel comme le passeur les prend pour aller chercher des objets de luxe ou de première nécessité, n'est-ce pas justement la destinée de l'artiste, qui met toujours sa vie en jeu? Un point de vue à envisager.

Ce roman dur et sobre conserve ainsi une actualité tragique et permet donc une lecture à plusieurs niveaux. Riche, il requiert une lecture attentive; mais le lecteur en sortira étonné. Au sens fort et beau de ce mot.

Sherko Fatah, En zone frontalière, Paris, Métailié, 2005.

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27 août 2009 4 27 /08 /août /2009 21:49

Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des sites de la rentrée littéraire ! Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération. Pour en savoir plus c'est ici. Et dans l'immédiat, je remercie encore les organisateurs de l'opération pour leur talent organisationnel et pour les ouvrages reçus!

Nombreux sont les souvenirs que Fabrice Lardreau agite dans « Nord absolu », son dernier roman, à paraître dans le sillage de la rentrée littéraire d’automne 2009. Peu drôles, les souvenirs : dans un Etat imaginaire, un leader populiste fort bien nommé Stalitlën est en passe d’être élu président, les élections battent leur plein, la foule manifeste dans la rue, et c’est dans ce cadre que sera scellé le destin de Paul Janüs, présenté comme le personnage principal du roman, et celui de Philip Niels… également présenté comme le personnage principal du roman.

 

Seule la fin du roman permet de comprendre pleinement pourquoi tout commence et s’achève sur le ton d’un cicérone qui parle à un groupe de touristes. En début de lecture, cependant, c’est une solution commode pour accrocher le lecteur en l’interpellant (usage du « vous ») et lui présenter un pays que, par la force des choses, il ne connaît pas. Cela permet par ailleurs à l’auteur de réaliser un travelling avant, commençant par une vue d’ensemble de la ville de Medisën et aboutissant, sur un ton plus classique écrit à la troisième personne, sur les personnages de Jane et Paul Janüs, bloqués par un contrôle de police.

 

Paul Janüs ? Un personnage bien nommé ! Tout au long du récit, il cultive une ambivalence certaine, une personnalité à deux visages, à l’instar de la divinité romaine. Fondamentalement, il est favorable au candidat Stalitlën – contrairement à Jane, sa compagne de vie. Il s’engage par ailleurs, sans enthousiasme, à parrainer une fille norda – alors que les Nordas, peuple du nord à la société spécifique (religion, culture, population jeune, tout cela présenté dans un collage très théorique), sont, dans la rhétorique du leader populiste, l’ennemi à éliminer. Choisir son camp ? Comme tant de gens de nos jours, il n’en aura pas la force, ou trop tard : c’est le destin qui le rabattra dans le camp de Stalitlën.

 

Stalitlën porte lui aussi un nom qui suggère au moins deux personnalités. Certes, nous avons affaire à un leader populiste démagogue, désireux de contrôler les arts comme certains de ses modèles, et la campagne électorale en cours, telle que dépeinte par l’auteur, fait penser à celle tenue en France en 2002. Mais le romancier est bien trop fin pour se prêter à un jeu aussi sommaire. Le nom de Stalitlën est suffisamment transparent pour montrer qu’en politique, les extrêmes sont de tous bords. Et ce qu’on lit en filigrane, c’est qu’il arrive que les candidats les moins fréquentables arrivent à la présidence par les voies les plus démocratiques qui soient – que cette démocratie soit réelle ou de façade.

 

Deux ? On l’a compris, ce roman se nourrit de dualités, de doubles fonds, de jeux entre apparences et réalités. Encore un élément, de structure celui-ci : « Nord absolu » est constitué comme un roman à deux voix alternées, Paul Janüs occupant le devant de la scène des chapitres impairs alors que Philip Niels, héros de la nation, enquête sur son voisin disparu dans les chapitres pairs, écrits à la première personne, dans une ambiance légèrement différente. Deux voix, donc deux histoires… Quel est le fin mot de l’affaire ? Rendez-vous à la fin d’un récit dense qui offre un excellent moment de lecture et parvient à poser, mine de rien, quelques questions sur le monde d’hier et d’aujourd’hui. Cela, et ce n’est pas la moindre des qualités de l’auteur, sans porter de jugement.

Fabrice Lardreau, Nord absolu, Paris, Belfond, 2009.

A propos, ce blog a également décidé de participer au défi du 1% Littéraire, lancé par la Tourneuse de Pages. Il s'agit là du troisième titre lu et commenté de la rentrée littéraire 2009, sur les 7 prescrits. Ceux que ça tente sont invités à prendre connaissance des règles du jeu ici; et il n'y a pas de stress à avoir, puisque l'échéance du défi tombe en été 2010.   

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25 août 2009 2 25 /08 /août /2009 20:54

Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des sites de la rentrée littéraire ! Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération. Pour en savoir plus c'est ici. Et dans l'immédiat, je remercie encore les organisateurs de l'opération pour leur talent organisationnel et pour les ouvrages reçus!

Vous avez dit Hollywood ? Lorsqu’il évoque Solo, son dernier roman, fort de 285 pages, Michka Assayas ne fait pas mystère d’un certain tropisme : « Scénariste à Hollywood, je l’aurais développé [le point de départ du roman] pour en faire un film oscarisable avec, mettons, Lindsay Lohan et Nicholas Cage », confie-t-il dans une note au lecteur disponible sur le site Internet de l’éditeur, Grasset. Certes, Solo se déroule en France, en grande partie à Paris même. Certes, ce n’est pas un roman d’action. Certes, il s’agit plutôt d’un drame aux pages volontiers introspectives, relatant la destinée de deux êtres qui se sont aimés : Denis, un animateur radio qui pourrait avoir l’âge de l’auteur et Tatiana, une jeune fille dans la vingtaine, d’origine ukrainienne…

 

… pourtant, tout commence comme dans un film catastrophe, et c’est pertinent. C’est en effet sur l’explosion d’un bus que s’ouvre le roman – ou plus précisément sur son image rêvée de big bang originel, à laquelle se mêle le souvenir très ukrainien (comme par hasard) de Tchernobyl. Un sentiment d’instabilité, d’inquiétude naît de phrases interrogatives, contrebalancé par un usage du passé simple qui donne au récit une certaine lenteur. Finalement, l’auteur centre son regard sur Denis Guillerm qui, à bord de ce bus, découvre un message explosif sur son téléphone portable : trois ans après leur rupture, Tatiana Grechko réclame à son ex-amant les cent euros non remboursés par l’assurance pour son avortement – l’avortement de l’enfant qu’elle attendait de lui. La surprise suscitée par cette information est énorme ; dès lors, les répliques de l’onde de choc constituent le ciment de tout le roman.

 

Rembourser ou pas ? Denis Guillerm choisit de ne rien verser, mais cela importe peu. L’animateur radio va se mettre à la recherche de Tatiana. Une recherche principalement intérieure, ce qui gagne en intérêt : l’auteur rejoue ainsi, par flash-back, les moments clés de la liaison entre Denis et Tatiana. Le lecteur découvre ici un Denis qui mène sa vie en solo, même s’il est marié et père – on ne sait du reste presque rien de cet entourage, et le peu que le lecteur en apprend est assez rebutant. Au-delà de cette considération, c’est la contradiction intrinsèque de Denis qui est mise en avant : le personnage public, homme de radio, affecte de présenter au monde un visage parfait, goûte les postures et les grandes théories – un style de donneur de leçons adulé, institutionnalisé même : sur Internet, certains le croient mort. Côté personnel, en revanche, il est le premier à se montrer infidèle, à draguer sur des sites de rencontre, au risque de briser son ménage…

 

Tatiana, jeune femme à problèmes mais assoiffée de l’absolu que devrait pouvoir offrir ce Grand Amour que Denis affirme ressentir pour elle, ne manque pas de lui renvoyer cela à la figure. Et au-delà, c’est toute une génération qu’elle critique, celle qui l’a précédée, celle de Michka Assayas – qui ne se soustrait pas aux mercuriales de son personnage féminin : « Sans doute, ce procès que je fais à ma génération, où je ne m’épargne pas, déplaira à certains », poursuit l’auteur dans sa note au lecteur. Tatiana Grechko représente ainsi le principe de réalité contre lequel Denis Guillerm, ce rêveur, se heurte avec violence.

 

Rêveur ? Denis l’est, et à fond – nous avons relevé le jeu des souvenirs, des souvenirs qui baignent dans un flou artistique parfois contredit par un élément d’une précision hallucinante. Et puis, Mai 68, n’était-ce pas un rêve ? En peignant un homme de la génération qui a vu les événements, c’est cette époque, ce contexte qui cristallisa de nombreuses attentes trop longtemps retenues, que l’auteur paraît indirectement viser (il ne le mentionne pas expressément) dans son discours.

 

Un discours bien de son temps par un autre point de vue également : le recours savant au namedropping. En parachutant des noms de vedettes du rock, l’auteur est dans son élément et ne se gêne pas, à l’occasion, pour se lâcher sur certains artistes : par la bouche d’un personnage, Le Govic, les Rolling Stones en prennent par exemple pour leur grade. Le procédé ancre ici ce roman dans son époque, selon l’idée désormais fort répandue que « dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai qui tu es ». Mais les citations artistiques renvoient le plus souvent à des éléments de deuxième, voire de troisième zone, relevant par ailleurs volontiers de la culture populaire et, surtout, de cette production éphémère (pour ne pas dire « jetable ») qui caractérise la fin du vingtième siècle – et le début du vingt et unième également (qu’on pense au Monolithe de Jean Nouvel, cube métallique imposant construit sur le lac de Morat (Suisse) et destiné à ne durer que quelques mois). Homme de médias, Denis Guillerm participe de cette culture de l’immédiateté. Face à lui, on l’a compris, Tatiana Grechko attend du solide, du durable. Ce que son ex-amant, engagé ailleurs, ne pourra jamais lui offrir, même s’il aimerait tant être à la fois libre… et irresponsable.

 

C’est devenu un cliché de dire que les histoires d’amour finissent mal en général. Celle-ci, du strict point de vue du récit, ne fait pas exception à cette idée. Reste qu’à partir d’un point de départ minime, l’auteur parvient à développer une profonde réflexion sur son époque, sur les générations, sur la morale même. D’une rédaction très travaillée, écrit dans un style magnifique aux flous artistiques virtuoses, ce roman d’une grande richesse et d’une grande force a toutes les chances de marquer de son empreinte la rentrée littéraire 2009.

Michka Assayas, Solo, Paris, Grasset, 2009, 285 p.

A propos, ce blog a également décidé de participer au défi du 1% Littéraire, lancé par la Tourneuse de Pages. Après "Carrefour des nostalgies", il s'agit du deuxième titre lu et commenté de la rentrée littéraire 2009, sur les 7 prescrits. Ceux que ça tente sont invités à prendre connaissance des règles du jeu ici; et il n'y a pas de stress à avoir, puisque l'échéance du défi tombe en été 2010.   

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23 août 2009 7 23 /08 /août /2009 20:31

Antoine Laurain revient pour la rentrée littéraire! Et dans son dernier opus, "Carrefour des nostalgies", il rappelle une vérité assenée par Ben Vautier en 1991 déjà: la Suisse n'existe pas... mais n'anticipons pas, car tel n'est pas (uniquement) le propos du roman.

Présenté par son parti politique comme un homme d'avenir, le maire de Perisac, François Heurtevent, n'est pas réélu dans ses fonctions. Cela le renvoie à son passé, et à d'imposantes nostalgies. Ces nostalgies, ces éléments du passé, sont constitutifs de ce roman riche en souvenirs personnels et en relations d'un passé récent: vieilles habitudes, affiches électorales bariolées, photographe qui les immortalise, grands politiciens français du passé mentionnés (Jacques Chirac, François Mitterrand), école et conséquences. Ajoutez à cela l'évocation de la Rue de Bourgogne, plaque tournante du récit et lieu de rendez-vous avec le vieux Dercourt, défunt mentor de Heurtevent, et vous aurez la description d'une certaine tradition politique, constituée de tous les mystères qui se trament derrière les façades du lieu. 

Et parmi les images nostalgiques, il convient de citer au premier chef le moteur du récit: une vieille photo de classe. François Heurtevent va chercher à retrouver tout le monde, ou presque... de manière individuelle et plus ou moins discrète. Il serait intéressant de savoir pourquoi les femmes rencontrées ne le reconnaissent guère, contrairement aux hommes... mais force est de constater qu'ici, l'auteur dessine la facette mystérieuse du narrateur, une facette qu'il découvre, jusqu'à l'inavouable - dans un coffre à Genève, comme il se doit. 

Genève? La Suisse? Je l'ai déjà dit, celle-ci n'existe pas, et Antoine Laurain rappelle, dans ce récit, la petite polémique créée dans le landerneau helvétique par la phrase de Ben Vautier, écrite de manière scolaire sur un fond noir. Suisse inexistante, Genève de l'hôtel des Bergues, donc du luxe, de l'impalpable. Ville où Heurtevent a une liaison régulière avec une actrice - ce dont il ne parlera naturellement à personne. Et pays si inexistant qu'il est obligé d'en parler à sa femme comme d'un rêve. Dans toute cette affaire, Genève incarne ces coulisses de théâtre qui ne sont qu'un mal nécessaire dont on se passerait bien, si c'était possible. 

Et la métaphore des coulisses peut amener à celle du théâtre, théâtre de boulevard comme l'a pratiqué la mère du narrateur, ou théâtre politique où la dramatisation est de rigueur. Ce qui n'empêche pas les portes qui claquent, ni, je l'ai évoqué, les ménages à trois. 

Le hasard guide notre narrateur dans sa quête. Et le lecteur devrait être en mesure de tout comprendre au moment où une collègue de la fille de François Heurtevent tire les cartes à l'ancien maire: souvent, un chat rouge, symbole de hasard, apparaît. Ainsi l'auteur semble-t-il s'excuser, fort habilement, de certains coups de bol: l'assiette à la girafe portant un vieux numéro de téléphone refait par exemple surface lors d'une vente aux enchères chez Drouot... précisément le jour où Heurtevent va y rencontrer un ancien camarade d'école! Pour récupérer le numéro, il l'achète... un peu comme un personnage de jeu de rôle vidéo acquiert un objet qui lui resservira plus tard (je pense à "Leisure Suit Larry", par exemple) et se trouve "comme par hasard" sur son chemin. Le jeu vidéo joue lui aussi un rôle dans ce livre, mais je n'en dirai pas plus à ce sujet... 

A priori, on pourrait croire que le monde des ors de la République est plus lointain du lecteur que la fumée, qui était le propos essentiel (et très répandu dans la vraie vie) du précédent opus d'Antoine Laurain, "Fume et tue". Mais l'auteur parvient à créer, avec un certain nombre d'éléments savamment disposés (dont une
collection de photographies), une intrigue captivante et révélatrice, qui plus est fort bien documentée, que ce soit pour des lieux fort respectables (les caves d'une église, un établissement scolaire) ou plus scabreux (une foire de l'érotisme, l'entourage d'une call-girl). Et le lecteur est ainsi accroché.

Peut-on oser un rapprochement avec "
Camarades de classe" de Didier Daeninckx? Le lecteur peut y penser. Mais ce que Daeninckx peint du point de vue de l'écran et des forums Internet, Antoine Laurain le présente à travers un vrai personnage qui évolue dans la vraie vie. Et alors que Daeninckx saisit le prétexte d'une classe pour peindre une tranche d'histoire de France, Antoine Laurain recourt au même prétexte pour enrichir son personnage principal d'expériences et de savoir difficilement accessibles autrement. Selon que vous serez plutôt "mystères des forums" ou "mystères de Paris", votre préférence ira... à l'un ou à l'autre!

Antoine Laurain, Carrefour des nostalgies, Paris, Le Passage, 2009.

Il en est également question chez
Amanda Meyre, 5e de couverture, Papillon et Fashion.   

Le blog de l'auteur:
http://antoinelaurain.blogspot.com/

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19 août 2009 3 19 /08 /août /2009 20:22

D'abord un élément que je concède volontiers: se balader virtuellement dans les rues de Paris grâce à Google Street View est un plaisir. Jeter un coup d'oeil à la devanture de l'hôtel que l'on convoite à Grenoble, pareil. Mais le système pèche sur élément considéré comme important par pas mal de gens: la protection de la sphère privée. On a longtemps glosé sur les personnes filmées par Google dans des postures incommodes (par exemple en train de vomir leur cuite de la veille... beurk!); mais un ou deux témoignages montrent l'ampleur de la question. Je vous en fais brièvement part ici.

Première expérience, parfaitement personnelle: après avoir tourné autour du rond-point de la Place de l'Etoile à Paris, j'ai décidé de tester le système un peu plus avant. Pour ce faire, je l'ai envoyé me chercher la Rue Primatice, venelle du treizième arrondissement de la Ville-Lumière. Ping: en quelques secondes, j'ai une perspective plongeante, imprenable, sur l'endroit. Je cible mon affaire, en saisissant l'adresse exacte d'une librairie d'extrême-droite (voilà, c'est dit... j'ai un drôle de fichier parisien), qui a ses locaux au numéro dix. Le premier enseignement, c'est que la librairie a une jolie devanture, et que Google Street View permettrait presque de lire les titres des livres exposés en vitrine. En plus, c'est juste à côté d'un restaurant asiatique. Joli coin! Plus étrange cependant: la présence d'un monsieur plutôt bien habillé (complet noir, cravate assortie) droit devant la librairie, le visage assez reconnaissable (de profil tendance trois quarts dos, mais quand même) pour que je reconnaisse qu'il ne s'agit pas du libraire (qui a sa photo sur le site de la librairie; la calvitie des deux hommes n'a pas la même configuration...). Des idées, je ne discuterai pas ici, ni dans les commentaires; mais est-ce que cet homme souhaitait vraiment être vu ici? Si ça se trouve, c'est un élu d'extrême-gauche... ou un fin gastronome qui n'a pas envie qu'on sache qu'il fréquente les restaurants chinois parisiens. Dans tous les cas, je l'invite à râler auprès de Google Street View, s'il passe par ici (après tout, s'il fréquente les venelles parisiennes, il fréquente peut-être aussi celles du Web, non?)

Dans le même registre et dans la même ville, je serais curieux de voir la tête des touristes à la Rue de La Harpe... - Test effectué: les visages des clients attablés en terrasse à la Petite Hostellerie sont bien floutés. Même s'ils ont l'air de bien s'amuser... et qu'on peut distinguer ce qu'ils mangent et boivent.

Seconde expérience, livrée par le journal fribourgeois "
La Liberté". Là, ça se corse, parce que le bonhomme en question est flouté... mais quand même reconnaissable: il s'agit d'Hubert Audriaz, artiste et animateur de la cité, qui a obtenu, comme récompense pour les services rendus, de pouvoir circuler en vélomoteur sans casque (alors que celui-ci est obligatoire dans toute la Suisse - c'est la loi!). Malgré le floutage, on reconnaît sa tignasse qui flotte au vent, alors qu'il est intégré au trafic de la ville de Fribourg. Hubert Audriaz serait-il donc la star locale qui résiste au floutage? Son profil est en tout cas si célèbre qu'il met Google Street View en défaut...

Floutage, respect de la vie privée? Ca dépend où l'on place ses limites, et les deux exemples mentionnés démontrent la diversité des cas qui se présentent. A ce régime, on pourrait même imaginer un homme (ou une femme) qui découvre par ce biais que son/sa conjoint/e le/la trompe. Big Brother? Pour le moment, c'est potentiellement un peu ça; espérons que les concepteurs trouveront une solution à ce genre de situation malencontreuse.

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