Antoine Laurain revient pour la rentrée littéraire! Et dans son dernier opus, "Carrefour des
nostalgies", il rappelle une vérité assenée par Ben Vautier en 1991 déjà: la Suisse n'existe pas... mais n'anticipons pas, car tel n'est pas (uniquement) le propos du roman.
Présenté par son parti politique comme un homme d'avenir, le maire de Perisac, François Heurtevent, n'est pas réélu dans ses fonctions. Cela le renvoie à son passé, et à d'imposantes
nostalgies. Ces nostalgies, ces éléments du passé, sont constitutifs de ce roman riche en souvenirs personnels et en relations d'un passé récent: vieilles habitudes, affiches électorales
bariolées, photographe qui les immortalise, grands politiciens français du passé mentionnés (Jacques Chirac, François Mitterrand), école et conséquences. Ajoutez à cela l'évocation de la Rue de
Bourgogne, plaque tournante du récit et lieu de rendez-vous avec le vieux Dercourt, défunt mentor de Heurtevent, et vous aurez la description d'une certaine tradition politique, constituée
de tous les mystères qui se trament derrière les façades du lieu.
Et parmi les images nostalgiques, il convient de citer au premier chef le moteur du récit: une vieille photo de classe. François Heurtevent va chercher à retrouver tout le monde, ou presque... de
manière individuelle et plus ou moins discrète. Il serait intéressant de savoir pourquoi les femmes rencontrées ne le reconnaissent guère, contrairement aux hommes... mais force est de constater
qu'ici, l'auteur dessine la facette mystérieuse du narrateur, une facette qu'il découvre, jusqu'à l'inavouable - dans un coffre à Genève, comme il se doit.
Genève? La Suisse? Je l'ai déjà dit, celle-ci n'existe pas, et Antoine Laurain rappelle, dans ce récit, la petite polémique créée dans le landerneau helvétique par la phrase de Ben
Vautier, écrite de manière scolaire sur un fond noir. Suisse inexistante, Genève de l'hôtel des Bergues, donc du luxe, de l'impalpable. Ville où Heurtevent a une liaison régulière avec une
actrice - ce dont il ne parlera naturellement à personne. Et pays si inexistant qu'il est obligé d'en parler à sa femme comme d'un rêve. Dans toute cette affaire, Genève incarne ces
coulisses de théâtre qui ne sont qu'un mal nécessaire dont on se passerait bien, si c'était possible.
Et la métaphore des coulisses peut amener à celle du théâtre, théâtre de boulevard comme l'a pratiqué la mère du narrateur, ou théâtre politique où la dramatisation est de rigueur. Ce qui
n'empêche pas les portes qui claquent, ni, je l'ai évoqué, les ménages à trois.
Le hasard guide notre narrateur dans sa quête. Et le lecteur devrait être en mesure de tout comprendre au moment où une collègue de la fille de François Heurtevent tire les cartes à l'ancien
maire: souvent, un chat rouge, symbole de hasard, apparaît. Ainsi l'auteur semble-t-il s'excuser, fort habilement, de certains coups de bol: l'assiette à la girafe portant un vieux
numéro de téléphone refait par exemple surface lors d'une vente aux enchères chez Drouot... précisément le jour où Heurtevent va y rencontrer un ancien camarade d'école! Pour récupérer le numéro,
il l'achète... un peu comme un personnage de jeu de rôle vidéo acquiert un objet qui lui resservira plus tard (je pense à "Leisure Suit Larry", par exemple) et se trouve "comme par hasard"
sur son chemin. Le jeu vidéo joue lui aussi un rôle dans ce livre, mais je n'en dirai pas plus à ce sujet...
A priori, on pourrait croire que le monde des ors de la République est plus lointain du lecteur que la fumée, qui était le propos essentiel (et très répandu dans la
vraie vie) du précédent opus d'Antoine Laurain, "Fume et tue". Mais l'auteur parvient à créer, avec un certain nombre d'éléments savamment disposés (dont une collection
de photographies), une intrigue captivante et révélatrice, qui
plus est fort bien documentée, que ce soit pour des lieux fort respectables (les caves d'une église, un établissement scolaire) ou plus scabreux (une foire de l'érotisme, l'entourage d'une
call-girl). Et le lecteur est ainsi accroché.
Peut-on oser un rapprochement avec "Camarades de classe" de Didier Daeninckx? Le lecteur peut y penser. Mais ce que Daeninckx peint du point de vue de l'écran et des forums Internet, Antoine Laurain le présente à travers un vrai
personnage qui évolue dans la vraie vie. Et alors que Daeninckx saisit le prétexte d'une classe pour peindre une tranche d'histoire de France, Antoine Laurain recourt au même prétexte pour
enrichir son personnage principal d'expériences et de savoir difficilement accessibles autrement. Selon que vous serez plutôt "mystères des forums" ou "mystères de Paris", votre préférence ira...
à l'un ou à l'autre!
Antoine Laurain, Carrefour des nostalgies,
Paris, Le Passage, 2009.
Il en est également question chez Amanda Meyre, 5e de couverture, Papillon et Fashion.
Le blog de l'auteur: http://antoinelaurain.blogspot.com/