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6 avril 2008 7 06 /04 /avril /2008 15:26

J'ai terminé hier ma lecture de "Itinéraire d'un salaud ordinaire", de Didier Daeninckx. Enfin? Je dois dire que cette lecture m'a laissé perplexe, plein de pas mal d'interrogations dont je vous fais part dans le présent billet.

Rappelons rapidement la trame de l'histoire: Clément Duprest, brillant étudiant en droit, entre dans la police sous l'Occupation, et se fait le fidèle servant de l'occupant. Quelques bons appuis lui permettent de faire oublier sa nature de collabo après la guerre; il se retrouve donc à lutter contre les communistes, contre la décolonisation et ses agents, contre Mai 68 et, enfin, contre Coluche candidat à la présidence de la République. Bref, une carrière bien remplie, et pas forcément dans des camps qu'on juge aujourd'hui "bons". Le tout est narré dans un style assez neutre, peu poétique, mais qui accroche et donne envie de lire.

L'auteur ne juge pas son personnage dans le corps du texte, ou si peu. Au contraire, il le laisse agir selon son caractère - faible, ou veule, ou simplement exemplaire comme peut l'être un fonctionnaire. Cela interroge le lecteur sur le devoir d'obéissance de l'employé de l'Etat; mais Didier Daeninckx y répond d'ores et déjà dans le titre de son roman: on l'a compris, le "salaud ordinaire" érigé en exemple, c'est Duprest, et la lecture s'en retrouve guidée. On aurait pu suggérer une autre vision du personnage, par exemple en le présentant contre un homme mobilisé en permanence contre la sédition. Le choix du titre suggère donc que le lecteur n'est pas assez malin pour choisir son camp tout seul: l'auteur le fait à sa place, que cela lui plaise ou non. Aujourd'hui, il y a des gens qui rejettent l'héritage de Mai 68, et qui ne veulent rien savoir du communisme... et ce ne sont pas des salauds pour autant.

Et puis, il est assez lourd de faire peser sur le seul Clément Duprest le nom infamant de "salaud". Le lecteur trouvera en effet, dans ce roman, toute une belle brochette de salauds, pas meilleurs que le personnage principal. A moins qu'il ne s'agisse simplement d'âmes grises qui cherchent à se faire leur trou en fonction des circonstances, dans un siècle troublé? On se souvient par ailleurs du personnage de Labin, prof de philo soixante-huitard et pédophile, coffré par Duprest: pour l'auteur, c'est une manière de faire se confronter deux points de vue sur ce type de délit. En s'élevant là contre, Duprest est-il encore un salaud, vraiment? La perception de la pédophilie a du reste fortement changé entre Mai 68 et aujourd'hui, à la suite notamment de l'affaire Dutroux. Comment percevoir l'approche de l'auteur? En se mettant du côté du salaud... ou du pédéraste libertaire?

Un autre élément me chiffonne également dans ce roman. C'est l'approche très "carte postale" du Paris des années 1940 à 1980. On y croise les célébrités à la pelle, d'Arletty à Jean-Paul Sartre en passant par Yves Montand et même Serge Gainsbourg - à croire qu'à Paris, il suffit de sortir pour croiser toutes les stars que la France a portées. Un concentré peu réaliste... L'autre élément qui fait "carte postale" est la mise en évidence d'objets emblématiques de leur époque, à titre d'effet de réel - un peu trop, déjà, pour faire vrai. Il n'est pas facile, par ailleurs, de parler de la France occupée (et des Nazis) après que tant d'autres l'ont fait, souvent avec brio. Cependant, tout cela repose sur une abondante documentation, dont l'auteur fait part en fin de volume.

L'auteur comprendra malgré tout que j'ai passé de bons moments en compagnie de son livre. Des moments qui font réfléchir - c'est déjà beaucoup, et je l'en remercie. A mon avis, ce n'est pas son meilleur ouvrage; mais je le retrouverai avec plaisir dans un bon petit polar... éventuellement un Poulpe?

Didier Daeninckx, Itinéraire d'un salaud ordinaire, Paris, Gallimard/Folio, 2007.



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5 avril 2008 6 05 /04 /avril /2008 09:58

Je me souviens d'un dialogue sympathique que j'ai eu avec le maître du blog "Brosse Gherta", Strangedays, au sujet du café qu'on trouve dans les supermarchés ou ailleurs - soutenant qu'effectivement, chacun a son goût. Ce coup-ci, je me permets de prolonger le débat ici.

Comme produit, en effet, le café est un paradoxe à lui tout seul. On en boit des litres, mais on ne sait guère l'apprécier, ni en distinguer les saveurs - une observation faite il y a déjà longtemps par un des pontes de Starbucks, qui cherche à présent à offrir un peu de tout à sa clientèle (rassurez-vous, je ne suis pas un habitué de cette marque: trop chère!), particulièrement chez les Suisses, grands buveurs du noir breuvage. Mais en oubliant le goût, en se disant qu'un café en vaut bien un autre, on passe à côté de quelque chose de formidable, au moins autant que le vin ou la bière. Car café n'égale pas café, même s'il y a peut-être une part psychologique là-dedans, en plus de l'élément gustatif proprement dit. 

Lorsque je me suis mis à voler de mes propres ailes, en effet, j'ai fait quelques essais. Je suis tombé sur un Carte Noire plein de douceur mais assez consensuel, sur d'autres choses bien plus décevantes qui n'avaient pour elles que l'avantage du prix. Puis j'ai rallié la petite famille des cafés italiens. Le café Kimbo, de quelque sorte qu'il soit, est formidable, il réveille superbement vos matins les plus difficiles; mais en Suisse, on ne le trouve pas encore partout, et s'il se trouve, c'est par petits paquets. Donc je profite des voyages de mon père en Italie pour m'en faire ramener. Le Lavazza peut lui aussi bien faire l'affaire. Tout aussi vigoureux, il présente l'avantage de se trouver plus facilement, même dans les supermarchés suisses.

Et il y a aussi la préparation. Je pense ici à un établissement de Berne, le "Caffè Roma", qui propose l'un des expressos les plus pleins de caractère que je connaisse. Un peu plus cher qu'ailleurs, mais parfait pour vous revigorer après le déjeuner! Certes, le produit est suisse (café Blaser), mais il est nickel. A noter que pour ceux qui sont prêts à mettre quelques francs de plus, l'établissement propose, dans son sous-sol voûté, divers produits où le café se marie à l'alcool ou au chocolat. il faut bien admettre que le décor participe à l'effet; mais enfin, pour le café, cet établissement vaut le détour.

Enfin, n'oublions pas le divin Montagne bleue, un arabica de la Jamaïque, d'une douceur difficile à surpasser. Bon, c'est affreusement cher... le produit est rare, donc le prix est en conséquence. "La Semeuse" en vend, je le sais, mais je n'en ai jamais vu en supermarché! J'en avais acheté un petit paquet en promotion, qui a fait le bonheur de quelques invités. Et sinon, j'ai aussi eu, pendant quelque temps, un plan pour en boire à un prix normal - ce qui était peut-être dû à la relative ignorance des gérants de l'établissement. Hum-hum...

Le blog de Brosse Gherta.  

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4 avril 2008 5 04 /04 /avril /2008 18:07

Il est des ouvrages que l'on trouve tout par hasard, un peu comme si l'on venait d'ouvrir une pochette surprise: peu de monde en parle, ils passent totalement inaperçus, et au détour d'un chemin, on les attrape au vol. "Kathy", de Patrice Juiff, est de ceux-là. L'homme est connu comme comédien, certes; il a publié un autre roman, chez Albin Michel s'il vous plaît; mais avant de tomber tout par hasard sur "Kathy", je n'en avais jamais entendu parler. Pourtant, ça mérite d'être évoqué. C'est pourquoi je commets un billet là-dessus aujourd'hui.

Qu'en dire, en effet? C'est une prose qui fonctionne, c'est le moins qu'on puisse dire. L'auteur accroche ses lecteurs en lui soumettant, l'une après l'autre, des petites phrases qui donnent envie d'en savoir plus, à petites doses, et font oublier la longueur des paragraphes et la rareté des dialogues. C'est qu'on ne parle pas beaucoup dans la famille biologique de Kathy, une famille qu'elle retrouve après avoir vécu quinze ans dans une famille d'adoption. Pensez donc: elle se retrouve dans un univers sordide où la violence règne, où tout le monde fume et boit généreusement, et couche de manière pour le moins libérée. Le tout, un peu en marge de la société, c'est le moins qu'on puisse dire. A Kathy de trouver sa place dans cette noce à Thomas!

Cette manière de procéder permet de créer les portraits psychologiques d'une jolie brochette de personnages, à l'instar de Ray, paterfamilias aux airs de pitbull, de Lazlo le métèque, juste toléré parce qu'il est rentable, d'Adèle, malade et mourante, et de sa fille Pam. Plusieurs basculements émaillent ce récit: l'arrivée de Kathy, d'abord, pleine d'illusions qu'elle ne perdra jamais tout à fait, chez sa famille. Puis l'assèchement des économies de Kathy, qui la font descendre du statut d'invitée "princesse" à celui de bonniche corvéable et utilisable à merci; puis l'épreuve de l'euthanasie d'Adèle, pratiquée par Kathy elle-même, qui fait éclater ce petit monde. Kathy n'aura aucun problème à trouver sa place parmi les hommes de la famille, ni auprès d'Adèle, ni auprès de Sol, la fille du ménage; mais sa mère, qui avait pris sur elle de la placer ailleurs, résiste.

On se retrouve donc avec une figure christique, ou du moins hagiographique, celle de Kathy, qu'aucun événement, aucune tuile ne fait vaciller dans sa détermination à trouver sa place dans le ménage - et que rien ne conduit à se révolter, ni les coups, ni les viols incestueux, ni les travaux ingrats. Heureuse d'être là, d'être punie, violée, allant jusqu'à s'autoflageller à l'occasion. Ce n'est cependant pas elle qui sera sacrifiée, mais tous les hommes de la maisonnée, tenants de la violence et de la magouille. En charge de Pam, Kathy finira par retrouver sa mère, qui acceptera d'entendre ses sentiments dans la situation paroxystique, extrême, qui conclut ce roman. La femme comme seule survivante une fois que tout sera achevé? Dites-moi ce que vous en pensez.

Allez-y donc... et bonne lecture! A noter, encore, que l'auteur déclare s'être inspiré de faits réels, survenus dans les années 2003.

Patrice Juiff, Kathy, Albin Michel, 2006.

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3 avril 2008 4 03 /04 /avril /2008 20:02

Il paraît que les éditeurs de tout poil exigent souvent que leurs auteurs changent le titres des textes qu'ils envisagent de publier. Un seul exemple? "Les enfants du veau d'or" n'est pas le titre d'origine de cet essai profond signé Jacques de Coulon - il avait opté pour quelque chose de beaucoup plus terre à terre. En revanche, il faut bien le dire, si "Ap. J.-C." de Vassilis Alexakis s'appelle ainsi, c'est la volonté de l'auteur, qui reculait devant l'idée de voir le nom du Christ en toutes lettres sur la couverture d'un de ses romans.

Sans doute serez-vous aussi face à un éditeur un jour, si cela ne vous est pas déjà arrivé. A vous, alors, de lui suggérer de jouer la carte de l'originalité. Une carte qui paie, depuis peu: à la fin mars, un prix du "titre le plus bizarre" a été décerné par The Bookseller pour la première fois en Angleterre, sur la base d'un vote en ligne. Le lauréat s'intitule: If You Want Closure In Your Relationship, Start With Your Legs (Si vous cherchez une solution à votre relation, commencez par les jambes). Paru chez Simon & Schuster, l'ouvrage est signé d'un mystérieux Big Boom.

Deux autres ouvrages ont été remarqués par le jury: "I Was Tortured By The Pigmy Love Queen" (j'ai été torturé par la reine de l'amour pygmée) et "Cheese Problems Solved" (La solution aux problèmes de fromage). Le premier texte est un petit roman de Jasper McCutcheon, publié chez Nazca Plains Corp. Le second est un ouvrage qui pourra paraître inutile aux Suisses et aux Français, puisqu'il vous dit tout sur le fromage (éditions CRC). J'ajoute qu'il n'a rien à voir avec une série de textes de management au titre tout aussi désopilant: "Qui a piqué mon fromage?". Ca existe, si, si.

Dans le domaine français, les candidats ne manquent pas. Le premier auquel je pense est naturellement "Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour?" de Georges Perec. Il y a aussi le savoureux "Cherche souris pour garder chat", d'Hélène Ray (qui irait bien avec l'histoire de fromage précitée). Sans oublier les splendides jeux de mots qui, souvent, constituent les titres de la série du Poulpe.

Alors, amis écrivains... osez le titre! Et si un titre vous a frappé, faites-en part ici...

Photo récupérée sur le site de BBC NEWS.
Voir la dépêche.

Détails sur Bookseller.

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2 avril 2008 3 02 /04 /avril /2008 20:11

Michaël Perruchoud, c'est un auteur que je suis depuis un sacré bout de temps, puisque j'avais participé à la correction de son premier roman, "Crécelle et les brigands" - un ouvrage qui réservait quelques pages savoureuses, sensuelles même, et faisait visiter le Vieux Genève. Depuis, il y a eu "Non-lieu", "Poil au Temps", "La Tragédie du Pape Kevin", "La Pute et l'insomniaque", sans compter des pièces de théâtre, des feuilletons, etc. Autant de témoins d'une plume habile dans de nombreux registres.

Avec "Passagère", c'est d'une destinée à la fois ordinaire et exceptionnelle que l'écrivain genevois parle. Ordinaire, puisque la narratrice est une femme, Caroline, qu'on découvre au fil de paragraphes ou de groupes de paragraphes, tout au long de sa vie. Et exceptionnelle, puisqu'elle survit, miraculée, d'une catastrophe aérienne survenue sur un vol qui la ramène d'Asie en Suisse.

Les épisodes narrés par Michaël Perruchoud sont ceux de catastrophes, de ruptures - des épisodes clés, mais toujours douloureux. Il y a d'abord les cauchemars que lui donne Jésus-Christ à l'église. Il y a la catastrophe aérienne. Il y a la noyade de Romain, fils de Caroline. Autant d'événements charnières. Scène capitale de "Passagère", l'accident d'avion survient dans un vol que la narratrice effectue d'Asie en Suisse, après avoir rompu avec son compagnon lors d'une escalade. Il est pour elle l'occasion de rencontrer son nouveau mari, Jean-Claude, l'homme au pull rouge - également miraculé de ce vol. Providence ou simple hasard? La question va diviser le nouveau couple. Mais le vol peut être perçu comme la métaphore du transit de Caroline d'une vie à une autre, en plus d'être celle d'un homme à un autre. 

Le récit adopte une structure éclatée qui concourt au sens profond du roman, devenant lui-même la métaphore d'un avion brisé, ou celle d'une femme qui a ses fêlures. Il est par ailleurs suffisamment flou pour qu'on ne puisse pas vraiment savoir à quelle époque ça se passe: vingtième, vingt et unième siècle? L'utilisation apparemment aléatoire des temps du passé et du présent concourt encore à ce flou en invitant le lecteur à se demander s'il lit le récit d'une vieille dame qui se souvient... ou de tout autre chose, d'autant plus que quelques prémonitions, en pages 116 et 117 par exemple, compliquent le jeu de renvois dans le temps.

Au final, Michaël Perruchoud livre ici le portrait réussi, intemporel et saisissant, d'une femme de notre temps, de notre pays, et pourtant universelle.

Michaël Perruchoud, Passagère, Lausanne, L'Age d'Homme, 2004.

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1 avril 2008 2 01 /04 /avril /2008 21:23

Premier avril, jour des poissons qu'on colle dans le dos. Il est un peu tard pour vous monter un bateau, chers lecteurs. J'aurais aussi pu vous offrir une revue de presse: Tariq Ramadan qui fait son propre film en réponse à "Fitna"; George Clooney qui organise un casting à Fribourg; Marcel Ospel qui se retire de la direction de l'UBS (ah non, ce n'était pas un poisson?); la police de Bulle qui se balade à vélo, avec la complicité de Maroussia Rusca... Je préfère cependant vous présenter un petit texte que j'ai écrit pour le "Croûtothon", appel à textes s'inspirant d'affiches publicitaires. Voilà voilà...

Le Filet de bar


Vous êtes un homme. Ou la femme d'un homme.
Vous m'avez sans doute déjà remarquée.
Vous savez qui je suis.
Je me présente quand même.
Je suis le filet de bar.
Filet de bar : que drôle de métier. Ou de fonction ? me demanderez-vous. Ce n'est pas que j'y puisse quelque chose. Jamais je n'ai eu vocation à le devenir. Au départ, je suis une jeune femme tout à fait ordinaire, ni limande ni morue, avec du charme certes, ce qu'il faut là où il faut, mais pas de quoi devenir Miss Univers. Et c'est par hasard que je me suis retrouvée, un jour, dans un débit de boissons doublé d'une brasserie, après y avoir pénétré comme on entre dans une jungle où il faudrait tout explorer. Après avoir caressé la vaste salle de mes grands yeux ouverts, j'ai choisi, en désespoir de cause, de me percher sur un des sièges qui entourent le zinc.  
Aussitôt juchée sur mon piédestal, j'ai croisé haut - question de confort - mes jambes revêtues de bas résille. Aussitôt, un homme à l'air requin est venu vers moi. Je ne suis pas encore dans mon assiette : c'est la première fois pour moi, il m'a fallu apprendre. Mais le requin sait très bien me dégeler. Les mots lui viennent facilement, prenez place, faites comme chez vous, que puis-je vous servir ? Une menthe à l'eau, parfait. Ça va avec vos yeux, a-t-il cru bon d'ajouter. Je m'en suis trouvée tellement bien que j'ai commencé à sourire d'un air à la fois béat et gourmand.
Tellement bien, aussi, que j'ai fini par prendre un emploi de serveuse dans l'établissement.
Alors il vous aurait fallu voir comment les hommes m'ont regardé.
Alors il vous aurait fallu comment les femmes des hommes m'ont regardée, et ont regardé leurs hommes.
Tous ces yeux mâles qui m'avalent du regard.
Tous ces yeux femelles qui me vomissent.
Les hommes paraissent prêts à plaquer toutes les casseroles qu'ils traînent depuis trop longtemps, simplement pour me faire un sort. A défaut de pouvoir passer à l'acte, ils me dévorent toute crue, comme un sushi que l'on mastique consciencieusement afin d'en sortir tout le suc. Filet de bar efficace, j'attrape dans mes mailles tous les drôles d'oiseaux amoureux en jouant de mes lèvres rouges et de ce lamparo fallacieux qu'est mon regard. La vie, la vraie, pour eux, c'est moi.  
Et j'aime ça.
J'aime ces regards d'hommes qui, alors que je passe entre les tables, porteuse de consommations, me glissent dessus comme l'eau sur les écailles d'un poisson. Tous ces mâles, à la fois désireux que leur attention ne se distingue pas trop et certains d'être aperçus, remarqués même…
J'aime aussi voir endêver ces femmes, baleines repues qui me donnent l'air de vouloir me faire débarrasser le plancher d'un coup de spatule bien ajusté. Impuissantes à calmer la soudaine fringale de leurs hommes, elles déversent toute leur bile sur moi. Moi dont le seul défaut est de jeter sur tous ces hommes affamés ou assoiffés un regard bienveillant, avenant même, et d'attraper, peut-être, quelque poisson clown ou mérou de cinéma qui finira dans mon assiette tout en croyant me faire passer, moi le filet de bar, à la poêle à frire.
A tous ces êtres baignant dans leur pot au noir de visqueuse déprime, je n'ai qu'une question à poser. Pas besoin de s'étendre, d'allonger la sauce. La lippe illuminée par un sourire gras et appétissant, l'œil vert teinté de scintillante espièglerie, la pommette haute, je me contente de susurrer, d'une voix chaude et fondante que je laisse couler dans leur oreille :
- Comme plat du jour, vous prendrez le filet de bar ?

Voir aussi: http://fondation.thecroute.com/
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31 mars 2008 1 31 /03 /mars /2008 17:22

Blandine-Marcel, c'est un personnage à la fois double et simple. C'est Marcel, frère idéal inventé par la narratrice de l'histoire, cruellement exécuté par sa maman à la sortie d'une école. Du coup, il a été remplacé par une fille, Blandine. Blandine-Marcel, pour être précis - en souvenir du défunt frère.

Tels sont les personnages mis en scène par l'écrivain ligérienne Florentine Rey dans ses deux ouvrages "Blandine-Marcel". Deux? A la suite du premier, il a été jugé opportun d'en lancer un deuxième. Le numéro un parlait de vacances, le tome deux, sous-titré "Business Story", évoque donc tout naturellement le monde du travail, sur la base du vécu de l'auteur. Pour ce bref roman, en effet, la narratrice et son acolyte Blandine-Marcel décident de monter une entreprise de fabrication d'oreillers dans le jardin - naturellement, on occupe les terrains dont on dispose quand on est enfant. Et tout se déroule comme dans le monde des boîtes et start-up de grandes personnes: il y a la concurrence en face, des Roumains aux intentions peu claires juste à côté dans le bâtiment qu'on lorgne pour s'étendre, des subventions qui ne viennent pas, les inspections du travail. Et naturellement, il y a aussi le personnel: une armée de Martine - ces personnages à tout faire, présentés comme polyvalents mais un peu nunuches, clairement inspirés de ceux qui ont bercé l'enfance de plus d'une fille. Et des lapins partout, puisque B&M, l'entreprise présentée, a décidé de créer un coussin en peau de lapin; mais comme personne ne veut les tuer, ces animaux prolifèrent...

Florentine Rey, c'est une plume, un style profondément original, la voix de l'enfance qui traverse dans ce texte qui, sous des dehors simples, peut interroger à chaque page: chacun des brefs chapitres de ce récit (parfois quelques lignes seulement, rarement plus de deux pages) aborde un éclat de vie de la petite entreprise B&M, avec un certain sourire. Le travail du style vise à la fluidité et au naturel, et se lit aisément. Les mots permettent en outre à l'auteur de jouer, de multiplier les sens de la phrase, de créer des rapprochements inattendus. Le tout démonte avec le sourire les codes parfois trop rigides du monde du travail que nous connaissons.

Blandine-Marcel, c'est donc une friandise, comme le suggère la couverture rose fuchsia vivement colorée de la couverture. Mais c'est aussi un petit univers dans lequel on se plonge volontiers.

Ah, et pour ceux qui connaissent le tome 1: il n'y a pas de Davyn Chicode dans le tome 2...

Florentine Rey, Blandine-Marcel 2 - Business Story, Paris, Michalon, 2007, 106 pages.
http://www.blandine-marcel.fr

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 10:01

Lors d'une discussion, un ami a évoqué l'idée de supprimer les millésimes des vins - une idée qui trouverait des oreilles attentives dans le monde viticole. A première vue, c'est révolutionnaire... mais après tout, il vaut la peine d'y réfléchir. Et de voir comment positionner le produit à partir de là.

Il convient d'abord de rappeler que cela se fait depuis belle lurette pour les vins les plus prestigieux qui soient: les champagnes. Seules les meilleures années des meilleurs crus sont millésimées, les autres ne l'étant pas. Cela résulte d'une démarche visant à garantir un goût d'une bouteile à l'autre: quand on achète un champagne, on sait ce qu'on a dans le verre. Cela, sans pour autant transiger sur la qualité. Bref, on crée une "valeur sûre".

Pourquoi ne pas étendre cette logique aux vins ordinaires, rouges, rosés ou blancs, que l'on boit tous les jours? On peut en effet se demander si c'est "le" bon millésime que l'on recherche quand on veut un demi d'ordinaire pour accompagner sa pizza surgelée ou son plat de pâtes, un soir normal, après le travail. Que demande-t-on plutôt? Un vin qui soit agréable à boire et qui apporte du plaisir - même modeste, ce sera un produit qui apportera un air de fête au repas le plus commun. L'art du producteur, dès lors, devra être d'assurer, pour sa gamme "grande consommation", un produit homogène - en mélangeant les millésimes au besoin, peut-être. Le millésime conférera, par contrecoup, une valeur ajoutée aux vins "de prestige" qu'il produit, le cas échéant. Le client achètera ce produit "de luxe" pour les dimanches, et goûtera l'ordinaire (cela dit sans nuance péjorative) les jours de semaine.

En vue d'un bon marketing, la question sera alors de savoir en dessous de quel prix le client sera d'accord de renoncer au millésime, ou au contraire à paritr de quel prix il l'exigera. Cinq, dix francs suisses? Il n'y a certainement pas de réponse unique. Et certains terroirs de tradition conserveront peut-être l'habitude de millésimer, pour des raisons d'AOC par exemple. A voir, à concevoir, à penser.

En conclusion illustrative, je me souviens d'une idée sympathique qui m'a agréablement surpris: le concept des vins "Chamarré". Son principe? Pas de terroir, pas de millésime, rien que des cépages ou des assemblages avec un caractère distinct. La gamme est assortie de façon quasi pédagogique, avec des indications sur le caractère accessible du vin proposé. Les produits sont certes plus anonymes; on n'imagine guère la barrique de bois ancestrale ou la main du vigneron en les dégustant; mais ils recèlent une agréable surprise gustative. Et d'où vient cette petite révolution? De France...

Pour en savoir plus:
http://www.chamarre.ch (en allemand).

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29 mars 2008 6 29 /03 /mars /2008 18:40
Ainsi donc je viens d'achever La mort est mon métier de Robert Merle. C'est l'occasion de revenir sur certaines impressions, et d'en partager d'autres.

Peu de recul? En effet, l'auteur laisse son personnage parler jusqu'au bout, ou du moins tant que son discours est intéressant. Au lecteur de se faire une raison! Mais tout le monde ne le laisse pas s'exprimer, et par rapport à ces interventions, on peut se positionner. Il s'agit d'abord de l'épouse de Rudolf Lang, Elsie, qui réagit très vivement lorsqu'elle apprend le secret d'Etat que cache son mari, patron et concepteur d'une vaste industrie de mort. Quelque part, le lecteur se dit: "Enfin!": quelqu'un s'occupe de secouer le cocotier du chef du camp.

Puis vient le procès, objet principal du dernier chapitre du livre, après la débâcle. Rudolf Lang s'y trouve face à ses juges. C'est l'occasion d'un parfait dialogue de sourds entre un homme qui estime n'avoir fait que son devoir sans s'en sentir responsable, et des juges qui se posent en redresseurs de torts, acteurs d'un tribunal de vainqueurs persuadés d'être du bon bord. Avec Rudolf Lang, c'est finalement l'obéissance, celle qu'on enseigne aux enfants, qui est condamnée. En se considérant comme un simple exécutant, Rudolf Lang se croyait, quelque part, à l'abri; il se retrouve cependant à devoir porter le fardeau d'une responsabilité qui le dépasse, celle de Himmler, qui lui a donné l'ordre de concevoir et de construire Auschwitz et s'est dérobé à sa responsabilité en se suicidant. Il se retrouve donc, à l'image de son père, à porter les fautes d'un autre en plus des siennes propres. La peine de Rudolf Lang est connue d'avance: pendaison à Auschwitz... à une potence qu'il a lui-même fait ériger. Sa peine, le narrateur l'accepte. L'a-t-il comprise? Il est permis d'en douter.

Robert Merle a des camps et du régime la vision d'une machinerie bien huilée, ou tendant à l'être - le mot "industrie" revient du reste plusieurs fois sous sa plume, et on se retrouve parfois à le suivre dans des problèmes de robinets qui ne sont pas sans rappeler les questions du management moderne. En cela, il rappelle le texte que Jean Cayrol dit dans Nuit et brouillard d'Alain Resnais.

Jonathan Littell, en revanche, se place en contradicteur d'une telle approche dans son vaste roman Les Bienveillantes. Il présente un nazisme réel et dysfonctionnant, victime de luttes d'intérêts entre personnes et entre institutions, mais aussi entre conceptions de politiques publiques face aux juifs: faut-il les exterminer ou exploiter leur minable puissance de travail en vue de l'effort de guerre? L'homme y est aussi présenté comme un problème ou un dysfonctionnement régulier, non exceptionnel (alors que Merle illustre la faiblesse de l'homme face à la mission par le cas de Setzler uniquement, catalogué comme "artiste" donc spécial): tout le monde est sur les dents, personne ne veut se mouiller, tout le monde prend des photos des Sondereinsätze dans un mouvement de morbidité. Comment réagissent des personnes qui ne sont pas du tout préparées à la mission que représente la solution finale? Jonathan Littell a répondu à la question de façon beaucoup plus large que Robert Merle. Il s'en est donné l'espace, d'ailleurs.

Reste que La mort est mon métier constitue un excellent roman, dont le début est particulièrement formidable dans ses ambiances (j'en ai déjà dit deux mots), ce qui en fait un livre éminemment recommandable. Je vous souhaite une bonne lecture, et vous promets de revenir avec des sujets plus gais.
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28 mars 2008 5 28 /03 /mars /2008 22:07

... je poursuis ma lecture de Robert Merle, toujours avec plaisir. Et là, je suis justement arrivé au coeur du métier: la mise au point du système d'extermination de masse, présentée, finalement, comme un problème de management comme un autre. Pas drôle - mais peut-être un poil plus convenu que le reste, sans doute parce que l'univers des nazis m'a déjà pas mal donné à lire, chez Jonathan Littell mais pas seulement; donc, une impression de déjà-vu. On ne trouve plus, à partir de là, les ambiances familiales pesantes du début, génialement peintes.

Un autre aspect délicat me paraît être la béquille que s'offre l'auteur en mettant en scène un personnage pour ainsi dire dépourvu de coeur - ce qui lui évite en partie de faire un travail de fouille psychologique. Quelque part, et malgré les qualités et défauts dont il était affublé en quantités presque improbables, Maximilien Aue m'a paru plus proche, plus personnel, plus "identifiable" - une manière plus efficace de toucher l'horreur du doigt. Aussi, Littell s'est donné des moyens autrement plus étendus, d'un point de vue quantitatif.

Mais je vais poursuivre! Cet ouvrage est plein de qualités - la page où Rudolf Lang voit pour la première fois la "sélection" des prisonniers à l'entrée, avec le moment de la séparation de la fille et de la mère (qui finalement ne se fait pas) est redoutable. Procédé sans doute simple, mais efficace.

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