Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 novembre 2009 6 07 /11 /novembre /2009 20:00

Image hébergée par Casimages.com : votre hébergeur d images simple et gratuitLa phrase célébrissime de Rimbaud pourrait servir de sous-titre au roman "Eve de ses décombres", publié en 2006 par Ananda Devi. C'est en effet d'une adolescence mal dans sa peau, à la recherche de soi, vivant à Maurice comme elle pourrait vivre partout ailleurs dans le monde, que l'auteur mauricienne dépeint l'histoire, en un récit à quatre voix (voire cinq) qui a obtenu le Prix des Cinq continents de la Francophonie en 2006.

Recherche de soi, donc. Eve donne son titre au roman, et c'est à travers sa destinée que l'histoire est racontée: dès qu'elle sait que sa meilleure amie a été tuée, elle cherchera à se venger de celui qui a commis le meurtre. Femme vénale? On peut se poser la question. En tout état de cause, elle est le moteur du récit. Eve est une jeune femme libre en dépit des contingences de son existence, qui (se) donne pour obtenir ce dont elle a besoin. Ca commence en rythme: "un crayon, une bomme, une règle." (p. 18 ss.) Et toujours, elle revendique la maîtrise de son existence, se pose en jeune femme forte, dont la main ne tremble pas. Forte aussi parce que même si elle semble se donner, ce n'est jamais totalement.

Face à elle, se trouve Sadik, dit Sad - cruel ou triste, comme le relève l'auteur. Amoureux transi, c'est également le poète du récit - celui qui ambitionne de dire, de se dire. Bon élève, il lit Rimbaud, le fait même connaître à Eve, qui refuse qu'un homme se cache derrière les paroles d'un autre pour se dire. Il faudra bien qu'il utilise les siens propres s'il veut devenir poète... Et c'est ce qu'il ambitionne de manière enfin revendiquée, affirmée (p. 148, peu avant le dernier rapprochement avec Eve).

Et puis, il y a Clélio, le violent, celui que la police désigne comme le coupable avant même d'avoir enquêté, celui dont le frère Carlo vit en France, où il connaît un désarroi qu'il cache mal.

Troumaron, le théâtre de l'intrigue, est un lieu déshérité entre tous, terre d'exclus où sont relégués tous ceux qui ont tout perdu à la suite d'une catastrophe naturelle. Image des cités "sensibles" de France et d'ailleurs? On peut y penser, ce qui donne une certaine résonance, universelle, au récit - ce récit où tout le monde se tient les coudes face aux gendarmes, où chacun s'espionne également - et où les trois adolescents passent tous pour des suspects idéaux aux yeux de quelqu'un. La misère, la rareté des objets donc, permet à l'auteur de se concentrer sur ce que les personnages possèdent le plus sûrement: leur corps. La violence est donc là, donnée quand Clélio cogne, subie quand on pense à l'Eve fille battue par son père. Il y a aussi la sensualité, celle vécue entre Eve et sa meilleure amie Savita (qu'on entend parfois parler, qu'on devine le plus souvent à travers le regard porté sur elle par les autres, par Eve en particulier), toutes deux à la recherche d'elles-mêmes.

Et à travers tout le récit, enfin, intervient une voix dont les mots sont transcrits en italiques - la voix de l'auteur qui parle à ses personnages, explicitant ce qu'ils vivent, offrant un regard extérieur au discours très personnel, intime même, de chacun. Roman éminemment poétique, aux phrases parfois stupéfiantes, aux mots parfois ludiques ou dansants, "Eve de ses décombres" (décombres du corps et du mental humains, faisant écho aux décombre des cités mauriciennes détruites) présente certes "l'autre île Maurice du XXIe siècle, celle que n'ignorent pas seulement les dépliants touristiques", comme le dit le prière d'insérer. Mais aussi, mais surtout, son propos touche à l'universel, en rappelant au lecteur d'ici ou d'ailleurs que certains événements relatés, certaines sensations perçues sont de toujours et de partout.

Ananda Devi, Eve de ses décombres, Paris, Gallimard, 2006.

On en parle chez SibyllineEphémerveille, La Plume francophone et d'autres que je vous laisse trouver...

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2009 3 04 /11 /novembre /2009 21:29

Hebergement gratuit d image et photoRien que ça! Le programme du roman "Les six rendez-vous d'Owen Saïd Markko" de Michaël Perruchoud, auteur genevois, est ambitieux. Reste que sur un format plutôt ramassé (177 pages), l'auteur fait voyager ses lecteurs, de ville en ville et de bar en bar, donnant à l'alcool le pouvoir équivoque d'exalter les conversations (ce qu'on voit dès la sixième et première rencontre, avec Isalia Rodriguez) et d'ouvrir les volets d'une autre perception possible.

C'est que sous des dehors bonhommes, volontiers hâbleurs, le narrateur est plus profond qu'il n'y paraît. Au fil des six conversations d'ivresse relatées, c'est en effet une vision du monde qui transparaît - avec l'idée, peut-être, d'un meilleur monde possible. Lequel? Difficile de savoir pour qui le narrateur, voire l'auteur, roulent, tant les idéologies de tous bords sont perçues avec pragmatisme. Le faux apôtre du nucléaire de Bruxelles pourrait par exemple, d'un chapitre à l'autre, donner la réplique à la vieille écologiste humaniste de Berlin.

Et si le narrateur se prend un peu trop la tête, si celui-ci part dans des envolées lyriques qu'on pourrait croire dues aux vapeurs du vin rouge ou de la bière, celui-ci a sa bonne conscience, son "Jiminy Cricket", prénommé Charly - on peut y deviner la figure de l'éditeur Charly Veuthey, sans que ce lien soit explicite. Plus qu'un personnage, Charly est une voix qui s'incarne dans des objets divers en fonction des lieux où l'action s'installe, et joue le rôle de fou du roi en balançant à Owen Saïd Markko quelques vérités pas évidentes à entendre ou en démontant certains de ses actes ou tours de phrase, les ramenant à plus de modestie: "Charly me dit tout, mais uniquement quand je ne veux pas le savoir", dit Owen Saïd Markko (p. 81).

Modestie oui, parce qu'Owen Saïd Markko, collectionneur de conversations autoproclamé, est volontiers hâbleur et adopte facilement la posture du philosophe de brasserie. Mais aussi celle du charlatan, du séducteur... alors, aurions-nous ici un beau roman sur le mensonge qui peut rendre la vie belle? Nous l'avons signalé, cela peut se traduire par la vente d'énergie nucléaire aux décideurs alors qu'on n'en croit pas un mot soi-même; mais il peut s'agir aussi du jeu de la séduction, ou de celui de la multitude d'identités qu'Owen Saïd Markko adopte (il a un stock de cartes d'identité), voire de fonctions plus ou moins farfelues (consultant en théâtre à Beyrouth, par exemple - un consultant qui pourrait s'appeler Ostap Bender, comme dans Ilf et Petrof et comme dans "
Le Martyre du Pape Kevin") qu'il endosse pour assurer la matérielle et vivre mille vies au lieu de celle, morne, de son travail d'origine - qui apparaît en fin de récit. 

Une fin intéressante puisqu'elle constitue en fait le point de départ d'un roman raconté à rebours. Celui qui le voudra pourra lire ici, en touche finale, une belle déclaration d'amour à trente-trois rues de Genève, voire trouver l'idée qu'on est bien chez soi... à condition d'en sortir.  

Quelques anecdotes en marge de ce roman dense et vagabond au goût âpre et savoureux de vin et de départ: je me demande, d'une part, si la scène de Beyrouth n'a pas un rapport avec la participation de l'auteur aux Jeux de la Francophonie, qui se sont précisément tenus là-bas cette année. Et d'autre part, cet ouvrage a été sélectionné en vue du
Prix du Roman des romands.

Michaël Perruchoud, Les six rendez-vous d'Owen Saïd Markko, Faim de Siècle/Cousu Mouche, 2008.

Partager cet article
Repost0
3 novembre 2009 2 03 /11 /novembre /2009 23:44

... pour un monde meilleur, selon l'expression consacrée, à quelques jours de son cent unième anniversaire. Je dois avouer humblement que je ne sais pas grand-chose de ses travaux, si ce n'est qu'ils ont fait date dans le domaine de l'anthropologie qui était le sien. Mon attention a été attirée par un autre élément: sa longévité... qui a fait de ce membre de l'Académie française, pour ainsi dire et sans jeu de mots, un "Immortel". Force est de noter qu'il s'agit de l'homme en vert le plus âgé à avoir siégé au Quai de Conti! L'homme a succédé à l'excellent écrivain Henry de Montherlant, au fauteuil 29.

A ma connaissance, seul un autre (quasi-)centenaire a hanté les murs de l'Académie française. Il s'agissait de Fontenelle, écrivain et penseur français décédé à 99 ans et 11 mois, en plein dix-huitième siècle. Il succéda au méconnu Jean-Jacques Renouard de Villayer, fondateur des postes parisiennes et inventeur de la boîte à lettres, et fut suivi par Antoine-Louis Séguier, magistrat, au fauteuil 27.

Quelques personnages oubliés ont donc été cités ici... ce qui soulève la question de la supposée "immortalité" des membres de l'Académie française. Il est en effet de bon ton de brocarder ces Immortels devenus de parfaits anonymes à notre époque, et il est permis de se demander qui se souviendra, dans deux ou trois siècles, des hommes et des femmes qui peuplent aujourd'hui l'institution. En réponse à ce paradoxe, celle-ci explique avec patience et justesse que ses membres n'oeuvrent pas à leur propre immortalité - bien au contraire parfois, tant il est vrai que l'Académie française traîne une image un peu lourde de tueuse d'inspiration - mais bien à celle de la langue française. Un travail de bénédictin, on le conçoit, et une humble et ambitieuse mission!

Souhaitons que celles et ceux qui prendront la relève sauront être dignes de leurs prédécesseurs, célèbres ou non.

Illustration: www.memo.fr

Partager cet article
Repost0
1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 20:08

... Dieu? Tel est le sujet du long appareil théorique qui ouvre, en une pseudo-théologie, l'ouvrage "Métaphysique des tubes", opus 2000 d'Amélie Nothomb. Autant dire que ça commence un peu comme une thèse: la théorie avant l'empirique. Avec un petit côté Evangile selon Saint-Jean détourné: "Au commencement il n'y avait rien." La théorie se développe sur quelques postulats curieux pour dresser le portrait de Dieu, être inanimé se contentant de manger et de déféquer, ce qui lui vaut d'être appelé un "tube" (digestif) - d'où le titre, on le comprend en page 9 déjà. L'auteur dénie par ailleurs tout regard à son Dieu (écrit avec majuscule, ce qui rend inévitable la comparaison avec le Dieu des Chrétiens, au contraire du "tube", écrit avec minuscule, comme n'importe quel nom commun), comme si le regard était l'apanage du vivant...

Quelques contorsions plus loin pour expliquer que les plantes ont quand même un regard (et qu'en est-il de la faune des abysses?) alors que Dieu n'en a pas, voilà que l'auteur passe brutalement (p. 36) du "il" (genre non marqué) au "je" (première personne du singulier, avec des accords au genre marqué (communément appelé féminin) pour bien montrer que le personnage dont il est question prend soudain conscience de son identité. Ainsi, on le comprend, c'est de l'enfance d'une fillette qu'il s'agit - une fillette qui fonctionne comme un légume ("la Plante", selon les parents, avec majuscule) pendant deux ans, donnant relativement peu de soucis à ses parents. 

A partir de là, l'idée de "Dieu" s'efface peu à peu. Seule une gouvernante japonaise considérera que celle qui devient la narratrice est un dieu, conformément à une tradition nippone qui veut que ce soit le cas jusqu'à l'entrée à l'école. Dès lors, peu à peu, on glisse vers le récit finalement assez classique des premières bêtises d'une fillette, jusqu'à l'âge de trois ans. Et l'on finit par se dire que les délires du début, si pesants ou dérangeants qu'ils puissent paraître, étaient quand même bien inventifs...

Autobiographie? On serait tenté de le penser, tant certains éléments rappellent l'auteur lui-même: enfance au Japon, fille de diplomate, rapport à l'eau et à la nourriture (un thème récurrent chez l'auteur), etc. Faut-il y croire? Il n'y a là aucun pacte autobiographique, puisque l'auteur a donné à "Métaphysique des tubes" le statut de roman. Autofiction? Je pense qu'on est dans ce genre-là: un roman qui prendrait pour sujet la vie rêvée de l'auteur elle-même. Petit paradoxe cependant: le livre se termine sur la phrase "Ensuite, il ne s'est plus rien passé" - or, Amélie Nothomb a trouvé dans sa vie suffisamment de matière pour raconter, dans le cadre d'autres romans. 

Vous m'avez suivi? A réserver aux fans, à mon avis, on l'aura compris... 

Amélie Nothomb, Métaphysique des tubes, Paris, Albin Michel, 2000.

 

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2009 5 30 /10 /octobre /2009 22:46

1974? Deux choses importantes au moins: ma naissance (ha! ha! C'était un 21 mars, exactement comme Laura Allen) et, naturellement, la chute du régime des colonels en Grèce. Comme Patrick Besson ne me connaît guère, c'est sur le deuxième de ces sujets cruciaux qu'il a écrit pour la première nouvelle, éponyme, d'un recueil publié au début 2009 et justement intitulé "1974". De quoi s'agit-il, dans cette nouvelle? A l'heure de changements politiques majeurs, alors que les routards colonisent la Grèce, un jeune homme qui pourrait être l'auteur perd son pucelage avec une femme d'âge mûr. A moins qu'il ne s'agisse du contraire...

Le ton est ici donné: il s'agit de peindre une époque à travers ses grands thèmes. Le lecteur considérera facilement que la chute du régime des colonels constitue un parallèle avec la perte de la virginité du narrateur. Ce parallélisme rapproche cependant deux éléments qu'un paradigme oppose: l'un est de la sphère politique, ultra-publique, alors que l'autre ressort de la sphère la plus intime qui soit. Intime, mais commun: comme chacun a perdu sa virginité un jour ou l'autre, l'auteur ne s'appesantit pas sur l'épisode, se contente de l'esquisser, évacuant tout racolage et donnant le meilleur de l'espace à la politique (bonne synthèse, presque hyperréaliste quoique concise, de la fin de la dictature des colonels), à une évocation des lieux, à la peinture d'une époque qui fait figure de parenthèse enchantée: 1974 tombe pile poil dans la période d'immense liberté sexuelle qui a suivi l'invention de la pilule et a précédé l'apparition du sida. Politique, sexe, routards: en trois traits essentiels, faisant preuve d'un esprit de synthèse fulgurant, Patrick Besson trace le portrait d'un temps révolu 

Deuxième nouvelle du recueil, "Katiouchka" révèle une autre facette du talent de l'auteur: l'art de rédiger des dialogues décalés, quitte à donner au texte un côté "exercice de style" pourtant parfaitement assumé. Chaque réponse est inattendue, révélant la polysémie insoupçonnée de questions dont le sens paraît évident au locuteur francophone lambda. Outre une tactique de drague (ce serait le sens premier du texte), cette pratique peut être perçue comme une métaphore de l'incompréhension entre les cultures, d'autant plus que la nouvelle met en scène deux frères pianistes d'Europe orientale, nommés Kundera, invités à donner des concerts aux Etats-Unis sous la férule d'une guide belge. Comment tout ce petit monde parvient-il à se comprendre? L'auteur crée par ailleurs un rythme en faisant revenir régulièrement le membre de phrase "Nous, les Slaves...", suivi de qualités que les personnages prêtent à leur peuple, et en amenant à plusieurs reprises la question rituelle de la parenté entre les deux frères et l'écrivain Milan Kundera - présenté tantôt comme un oncle, tantôt comme un cousin, etc. - ce qui crée une impression de flou. Et quid de Katiouchka? C'est naturellement le diminutif de Catherine, la guide belge. Mais sachant qu'elle a tué Bronislav, l'un des deux frères, et qu'elle est l'amante de l'autre, on peut se demander si elle n'a pas quelque chose d'un missile...

L'art du non-sens et des dialogues décalés refait surface dans "Meurtre au Kalemegdan", où une journaliste se retrouve éparpillée en morceaux qu'on trouve un peu partout dans une ville d'Europe orientale; c'est ainsi, aussi, que Patrick Besson raconte quelque chose qui pourrait être sa vie et dévoile son tropisme pro-serbe. Toutes ces idées stylistiques, souvent au service d'une incroyable précision en dépit d'une grande concision, font que le lecteur se surprendra à sourire à cette prose, à plus d'une reprise, voire à se laisser surprendre par l'une ou l'autre chute. Six nouvelles donc, d'une grande unité stylistique, qu'on lira avec bonheur. Et quand on sait que c'est en 1974 que Patrick Besson a publié son premier roman, on ne peut s'empêcher à l'aspect symbolique important que cette date peut représenter pour lui.

Patrick Besson, 1974, Paris, Fayard, 2009.  

Partager cet article
Repost0
27 octobre 2009 2 27 /10 /octobre /2009 21:55

Cela fait plusieurs années déjà que je fréquente régulièrement la Fête du Livre de Saint-Etienne. A l'origine de ma découverte de cette glorieuse manifestation, il y a naturellement... une dictée - celle organisée par Michel Courot, année après année depuis une couple de lustres déjà: ancien champion chez Bernard Pivot, il est passé de l'autre côté de l'estrade pour dicter ses textes aux amateurs ligériens. Cette année, les finalistes remplissaient, comme d'habitude, la salle du conseil municipal de l'hôtel de ville de Saint-Etienne. L'honorable assemblée était majoritairement constituée d'habitués, parmi lesquels on relevait la présence de Mme Thiollière, mère de Michel Thiollière, ancien maire, des habitués que sont Benjamin Garnier ou André Habig, ou encore d'une candidate junior particulièrement motivée: opérée de l'appendicite, elle est sortie de l'hôpital exprès pour décrocher la médaille de bronze du concours... avant de retourner en convalescence pour quelques heures encore. On lui souhaite une bonne sortie de l'hôpital - définitive cette fois!

Et moi, dans tout ça? On se souvient que l'an dernier, un malentendu m'a empêché de participer à l'épreuve. Cette fois, j'ai pris les devants en annonçant ma présence à Michel Courot; j'ai donc concouru en candidat libre - sans doute le candidat qui venait du lieu le plus éloigné de l'épreuve, originellement réservé aux ressortissants de la Loire qui ont participé aux demi-finales. Et comme la maison ne recule devant aucun sacrifice, j'ai écrit l'intégralité du texte, de la partie cadets à celle réservée aux (anciens) champions du département.

Le texte de l'épreuve était fort intéressant, comme c'est toujours le cas chez Michel Courot, qui préfère des textes racontant quelque chose (de préférence en rapport avec la nature, quand même, tant le lexique de la botanique et de la zoologie est porteur en dictée) aux purs exercices de virtuosité où même les champions les plus aguerris se retrouvent désarçonnés. Cette fois, c'est Darwin qui a constitué le fil conducteur de l'histoire - avec un petit détour par les paradis fiscaux où, naturellement, les superstars du Zénith et du Grand Stade vont planquer leurs "espèces" - avec un double sens habile. Rien d'insurmontable dans ce texte, si l'on excepte des tyrannosaures coriaces (un ou deux N? Plus d'un candidat a hésité: pourquoi tant de N?), un "uniment" qui m'a fait hésiter (circonflexe ou pas? J'ai tranché juste en partant de l'idée que de toutes façons, l'accent circonflexe sur le I est une espèce en voie de disparition) ou un aï faune qui a dû faire sourire dans plus d'une chaumière, bien que n'existant que dans l'imagination d'un auteur qui cherchait à tout prix à placer un jeu de mots...

... personnellement, je n'ai trébuché qu'en un seul endroit, à savoir sur l'orthographe de cet animal nommé "unau", qui serait une sorte de paresseux bien connu des cruciverbistes (peut-être mieux encore que des zoologues ou des zoophiles, ha-ha!). Les correcteurs se sont apparemment demandé si je roulais en Fiat; je pourrais leur répondre que les Suisses, plutôt travailleurs de nature, ne connaissent pas les paresseux... Reste que l'exercice m'a permis de décrocher un "prix spécial" sous la forme d'un ouvrage sur l'art égyptien d'avant les pharaons, de finir la saison en beauté - et, surtout, de me faire plaisir dans le cadre d'une épreuve particulièrement sympathique où tout le monde finit par se connaître.

Illustrations: unau (
http://www.vacanceo.com)... et pas Uno (http://www.forum-auto.com)!

Partager cet article
Repost0
26 octobre 2009 1 26 /10 /octobre /2009 22:19

... ou le premier? Premier, en tout cas, Carles Casajuana l'a été un jour en décrochant le prix Ramon Llull en Espagne pour son roman "Le dernier homme qui parlait catalan", qui vient d'être traduit par Marianne Millon et d'être publié aux éditions Robert Laffont (collection Pavillons). Le propos de l'auteur, autant que son langage, sont d'or: l'intrigue minimale de son roman constitue un substrat idéal pour son propos.

Le rideau s'ouvre sur une scène qui pourrait être celle d'un roman à suspens: l'écrivain Balaguer, personnage principal, trouve un "indice" dans son immeuble, sous la forme d'un pot de yaourt vide. Indice troublant, puisqu'il est le dernier homme à vivre dans le bâtiment, et qu'il est assiégé par son propriétaire. On devine ici sans peine le parallèle entre "le dernier occupant d'une maison" et "le dernier homme qui parlait catalan"... qu'on verra émerger au chapitre 2, sous la plume de la réponse à l'indice - à savoir le deuxième occupant de l'immeuble, un squatter écrivain nommé Rovira.

Tout est en place pour l'affrontement... en effet, Balaguer écrit en castillan, Rovira en catalan, et ce dernier, bien que moins expérimenté que Balaguer, s'est posé plein de questions sur le rapport de l'écrivain à la langue. Et c'est là que ce roman gagne tout son intérêt: quelle langue choisir quand on est catalan? Opter pour le catalan au risque de n'être lu que par quelques rares amateurs ou choisir le castillan et se plonger dans un bain qui n'est pas le sien, au risque de perdre de la précision dans les choses dites. Balaguer ne s'est pas posé toutes ces questions, et s'y retrouve confronté de manière très directe dès lors qu'en face de lui, Rovira joue les catalanophones militants.

L'affrontement est cependant aussi une nourriture pour les deux écrivains. Le lecteur est en particulier invité à observer l'évolution des réflexions de l'écrivain Rovira en train de concevoir son récit: quel nom donner à son personnage de dernier locuteur catalan? Quel sera son métier? L'ouvrage propose ainsi un coup d'oeil sur une oeuvre en train de naître. L'oeuvre de Balaguer, en revanche, reste discrète. L'auteur prétend cependant avoir besoin de rester dans son appartement vétuste pour l'achever - alors que son copropriétaire souhaite rénover tout l'immeuble. A l'instar de la langue catalane, Balaguer fait donc figure d'assiégé... alors que, paradoxalement, il écrit en castillan. Quant au squatter, il donne l'impression de défendre une langue aussi prohibée que l'activité de squat.

Tel est le jeu de miroirs qui constitue la charpente de cet ouvrage. L'auteur met en scène un écrivain en train de rédiger un roman qui porte le même nom que celui que le lecteur est en train de lire; mais il ne pousse pas la mise en abyme jusqu'à faire du dernier homme qui parlait catalan un écrivain. Ce n'était pas nécessaire: l'exercice suffit, ainsi, à poser quelques questions fondamentales auxquelles tout auteur devrait réfléchir. Cela, sans oublier, bien sûr, la question de la mort des langues, perceptible dans la réalité catalane (peu d'inscriptions en catalan) et dans celle que Rovira crée dans le cadre de son travail d'écrivain.

Carles Casajuana, Le dernier homme qui parlait catalan, Robert Laffont, 2009, traduction de Marianne Millon.

Sur la mort des langues, lire également l'essai Halte à la mort des langues de Claude Hagège.

Le présent ouvrage a été commenté à la suite d'un partenariat organisé entre le blog Blog-o-Book, incontournable pour les blogolecteurs, et les éditions Robert Laffont. Je remercie ici ces deux organisations, une fois de plus.

Il constitue par ailleurs le sixième ouvrage (sur sept requis) de mon challenge du pour-cent littéraire, organisé par
La Tourneuse de Pages.
   

Partager cet article
Repost0
21 octobre 2009 3 21 /10 /octobre /2009 21:04

Ainsi donc, Lucien Rebatet a vu large lorsqu'il s'est lancé dans l'écriture des "Deux étendards", ample et flamboyant roman qui retrace les amours impossibles du catholique Régis Lanthelme et du mécréant Michel Croz pour Anne-Marie Villard, dans le cadre particulier de la ville de Lyon. Terminé en prison par un auteur qui, pour le dire diplomatiquement, a connu des ennuis à la Libération, ce roman est arrivé aux éditions Gallimard, où il a été décrété qu'il fallait le publier d'urgence. Le lecteur qui s'attaque aux 1312 pages, divisées en 37 chapitres le plus souvent focalisés sur Michel et narrés à la troisième personne (mais quelques exceptions montrent que l'auteur n'a pas tout oublié des leçons de l'André Gide des "Faux-Monnayeurs"), de ce roman comprendra vite pourquoi.

Le titre du roman fait référence aux "Deux étendards", exercice spirituel proposé par Ignace de Loyola, fondateur de l'ordre des Jésuites - auquel se destine le personnage de Régis. Deux étendards, celui de Dieu, celui du Diable... alors, qui est qui, dans cette affaire? On pourrait être tenté de rattacher Régis (un nom qui évoque les "rois" (reges) latins) au Bon Dieu qui ne saurait être rendu responsable d'aucun mal et Michel, l'athée, au Diable, dans un manichéisme rapide... Voyons ce qu'il en est, en gardant à l'esprit que Lucien Rebatet se déclare ouvertement agnostique.

Pas plus divins l'un que l'autre

On peut en effet imaginer Régis, tenant du parti de Dieu, comme un ange pétri de bienveillance. C'est ignorer que c'est l'autre qui porte le prénom d'un archange... Plus sérieusement, le lecteur constate assez vite qu'il a affaire au tenant d'une religion catholique un rien étrange et étriquée - celle qui accepte de gaîté de coeur de briser en conscience la vie des autres (et en particulier d'Anne-Marie) pour préférer Dieu, celle des grandes théories suivies d'aucune pratique: certes, Régis, en parfait pharisien, est incollable sur ce que contiennent la Bible, la tradition, les Pères de l'Eglise et tout ce qu'on veut; certes, il fait preuve d'une belle érudition pour son âge (tout se passe alors que les acteurs ont moins d'un quart de siècle). Mais on ne le voit guère s'adonner à des activités de bienfaisance, se consacrer à l'amélioration du sort des petits et des faibles ou à d'autres actions charitables. Pire: il paraît mépriser de telles démarches, perçues comme bourgeoises. Et peu à peu, cet être déconnecté du réel, manipulateur (il poussera un ami de Michel à rompre avec la soeur de celui-ci, et incitera Michel à porter le coup fatal à cette liaison) qui semble avoir oublié la vertu de charité en cours de route, semble prendre conscience que près de lui, il y a une femme qui l'aime et qu'il aime - et hop, il se transforme en Tartufe: certes, il se destine au clergé régulier, mais il n'en est pas moins homme, et va jusqu'à se permettre des privautés appuyées avec Anne-Marie en présence d'un Michel dont on imagine qu'il est gêné. Prisonnier d'un catholicisme figé avec lequel il paraît pourtant qu'on peut trouver des accommodements pour peu qu'on soit habile en casuistique, il semble incarner le versant de la mort.

Michel serait-il d'un tempérament plus sain, alors? Tenant de la vie, inspiré par tout ce que Friedrich Nietzsche a dit de l'importance de celle-ci, dégoûté d'une certaine catholicité par son lycée chez les Pères, il s'intéresse cependant de près à la religion de son ami Régis. Ouverture d'esprit: cela est bien. Franchise: cela est encore mieux: on le sent fonceur, artiste, intelligent, un poil bohême; on est même tenté de compatir aux vicissitudes de sa destinée, à ses difficultés financières chroniques. Mieux: le lecteur finit par considérer qu'il serait mieux assorti à Anne-Marie que Régis. Sans doute l'auteur, agnostique voire athée nous l'avons dit, a-t-il volontairement poussé le lecteur dans sa direction, ne serait-ce qu'en focalisant essentiellement son récit sur ce personnage. Mais n'oublions pas le "péché originel" de la relation amoureuse complexe et tortueuse qui va se nouer entre Michel et Anne-Marie, et qui constitue le propos de cet ouvrage: si Michel feint un temps d'adopter le point de vue catholique, c'est uniquement pour se rapprocher d'Anne-Marie, pour rester proche d'elle, pour ne jamais la perdre, parce qu'il en est raide amoureux. Paradoxe du récit, cependant: c'est lorsque les masques tombent, lorsqu'Anne-Marie comprend que Régis la berne quelque part en préférant poursuivre une chimère (il n'a pas compris que l'oeuvre de Dieu peut également s'accomplir dans le mariage, et méprise même ceux qui optent pour cette voie considérée comme de second ordre), que son amour pour Michel peut s'accomplir - avec une passion qui va les conduire sur les routes d'Europe. 

"Ils [les catholiques convaincus] veulent que nos raisons soient du même monde que les leurs, sinon elles leur sont inintelligibles", affirme Michel (p. 997). On l'admet volontiers; mais on peut aisément retourner le compliment à l'athée. Cela ne peut que déboucher sur un dialogue de sourds (raison contre foi) qui fera l'objet du chapitre XXXVII. "Mais moi, je lui laisserai un souvenir lumineux", affirme Régis à propos d'Anne-Marie, une fois que tout est fini... phrase profondément ambiguë, dès lors: le lecteur ne connaît pas les secrets d'alcôve que partagent Anne-Marie et Régis, et peut donc se demander si ce dernier n'est pas en définitive un meilleur amant que Michel; mais vu ce qui précède, le lecteur peut aussi se dire qu'une telle conclusion, par sa grandiloquence même, exprime l'ultime défaite de l'aspirant jésuite - une phrase de mauvais perdant? Après Anne-Marie, Michel n'a plus rien, Régis a Dieu; mais laquelle de ces deux (non-)réalités est la meilleure pour l'homme, sachant que pour Michel, Dieu égale rien?

En tout cas, la grande sacrifiée de toute cette affaire restera Anne-Marie, fille perdue après ses amours avec Michel, auquel elle finit par se refuser définitivement à la veille de ses noces - longtemps après que Régis se fut résigné à renoncer à elle pour entrer en plus pleine communion avec Dieu... suivant en cela les préceptes de son confesseur.

Le rite au service des sens

Ces âmes jeunes et fortes, goûtant la logomachie comme d'autres les apéritifs, ont un penchant irrésistible pour les rituels - des rituels qu'on retrouve dans toute histoire d'amour (et, en écho dans le roman, à l'église!), mais qui revêtent ici un caractère exacerbé, sacré même, à l'instar de Brouilly - ce lieu où Anne-Marie et Régis ont connu une expérience mystique absolument délirante qui fonde leur relation amoureuse, toute platonique qu'elle soit. La date du 28 septembre, où a eu lieu cette "transfiguration" moderne et intime, revêt un caractère sacré pour Anne-Marie, qui, quelques années plus tard, après s'être donnée sans retenue à Michel, se refuse précisément ce jour-là - mais qu'on se rassure, les épisodes sensuels reprennent bien vite ensuite, même si ce refus signifie que Régis reste toujours quelque part entre eux.

Il y a dans "Les deux étendards" tout un côté sensuel, érotique même, très appuyé. Régis le refuse, Michel se retient par fidélité pour son ami, en particulier avec la très sensuelle Yvonne - et cette retenue ajoute au caractère phantasmatique de certaines pages qui font contraste avec le caractère débridé, dionysiaque, orgiaque des relations intimes entre Michel et Anne-Marie, en fin de roman. Certaines phrases n'échappent pas aux clichés, mais l'auteur s'en dédouane avec une désinvolture qu'on lui pardonne volontiers. Dionysiaque? Les pions sont en tout cas bien placés pour livrer une lourde charge contre l'institution religieuse catholique. Celle-ci est présentée "à l'ancienne mode", castratrice, vengeresse, punisseuse, écrasante: des Pères qui enseignent, des curés mielleux, une morale malsaine. Jouant sur plusieurs tableaux, l'auteur charge Michel de vider les placards nauséabonds de l'Eglise, révélant ses luttes contre des hérésies pourtant cohérentes, son histoire violente, les moeurs peu reluisantes de certains de ses hérauts et héros, etc.

Deux villes, deux décors, une culture

Paris et Lyon? Le récit se déroule au coeur des années folles - folles à Paris surtout, alors que Lyon est présentée comme le sanctuaire d'une bourgeoisie confite dans la production lucrative de soie et de pâtes alimentaires. La vie parisienne permet à Lucien Rebatet de faire éclater son érudition dans le domaine des arts, et de la musique en particulier, dont il parle magnifiquement. Le chapitre II, à cette aune, compose un panorama exemplaire de la vie culturelle de l'avant-garde parisienne - une avant-garde qui brûle Igor Stravinski après l'avoir adulé, qui se laisse tenter par Arnold Schönberg, qui court les concerts, qui donne des notes aux écrivains et se veut toujours à la pointe des arts. A ce régime, Lyon peine à suivre. La description des concerts lyonnais révèle des lieux et des actions plus poussives, et tend à dire que la province suit Paris avec au moins une mesure de retard - en matière de mode vestimentaire également.

Lyon reste cependant le décor essentiel de l'action et, à ce titre, endosse pour ainsi dire le rôle d'un personnage du roman, riche de ses qualités et de ses défauts, avec ses lieux qu'on reconnaît immédiatement (le Café des Alpes, la rue Créqui, le cours Gambetta, la place Antique), ses zones d'ombre au bout des lignes de tram (que Michel révèle à l'occasion d'escapades), son caractère, etc. Il y a aussi ses restaurants, ses spécialités culinaires, ses habitants même. Elle devient ainsi un lieu familier du lecteur, même s'il n'est pas du cru.

C'est donc à un roman d'amour dense et important que Lucien Rebatet invite son lecteur, à mille lieues de l'antisémitisme virulent des "Décombres" et des écrits magistraux qu'il a laissés sur le cinéma. Deux éléments qui ont achevé la réputation de l'auteur - à telle enseigne qu'entre ces deux extrêmes, "Les deux étendards" se trouvent occultés, voire oubliés. Il est temps de redécouvrir cet énorme volume...

Lucien Rebatet, Les deux étendards, Paris, Gallimard, 1951/2007.






Partager cet article
Repost0
18 octobre 2009 7 18 /10 /octobre /2009 20:23

Un timbre datant de 1921. Il valait 15 centimes à l'origine. Aujourd'hui, il est estimé à 15'000 francs. (Zumstein)Guillaume Tell était un enfant fort turbulent... c'est du moins ce qu'a fait croire le texte de la dictée organisée samedi par les increvables Francis Klotz, Michel Rothen et Pierre Mayoraz à l'occasion de la finale du vingtième championnat suisse d'orthographe. Un championnat tenu dans la salle du Parlement cantonal du Valais, à Sion, et qui a vu, enfin, le couronnement de Guillaume Terrien, de Grenoble, qui n'a trébuché que deux fois sur le texte donné. Personnellement, j'ai fini sixième, avec quatre fautes...

... on constate que les résultats sont fort serrés! Il fallait s'y attendre un peu: le texte était un tantinet plus facile que ceux produits pour les finales de 2007 et 2008. Cela a fait redoubler le suspens de l'épreuve: tout le monde, chez les seniors, se sont retrouvés dans un mouchoir de poche. A l'approche du podium, il a fallu faire des dictées supplémentaires pour départager le quatrième et le cinquième, ainsi que le premier et le deuxième, Benoît Delafontaine, également scrabbleur de renom. Les "scinques empaillés" évoqués dans ces phrases de départage n'avaient qu'à bien se tenir!

A noter que comme chaque année, quelques personnes sont venues de loin, voire au-delà des frontières suisses, pour participer à l'exercice: des Français, et même un Belge, Daniel de Ridder, lui-même auteur de dictées dans son pays et fort actif dans le circuit belge des concours d'orthographe.

La dictée évoquait donc Guillaume Tell... Il y a eu quelques évocations mystiques du canton d'Uri et du bailli Gessler, sans surprise - mais de quoi trébucher pour qui ne connaît pas la mythologie helvétique ou reste de marbre face à la prononciation française du canton suisse le plus connu des cruciverbistes. Il y a eu quelques mauvaises surprises face aux majuscules des Ave et des Pater (invariables, en revanche, comme il se doit) - des surprises qui coûtent des points, bien sûr, puisqu'en Suisse, les fautes de majuscules sont comptabilisées. Plein de verve, le texte ne comportait cependant pas les "gros mots" susceptibles de créer des remous dans les travées de candidats impressionnés. A propos, enfin, saviez-vous que la chèvre béguète?

Rendez-vous à la prochaine dictée, donc! Pour moi, ce sera sans doute celle de la Fête du Livre de Saint-Etienne, samedi prochain à 10 h 30. Pour progresser, rien ne vaut l'entraînement régulier... surtout quand ça fait plaisir!

Photo: Swissinfo/Zumstein.
Pour en savoir plus sur le championnat suisse d'orthographe:
http://www.orthosuisse.ch.
Pour en savoir plus sur le club belge d'orthographe "Cercle d'OR":
http://lecercledor.jimdo.com/
Pour en savoir plus sur le club d'orthographe de Grenoble: http://www.orthogrenoble.net.  

Partager cet article
Repost0
14 octobre 2009 3 14 /10 /octobre /2009 22:01

Pour commencer, que ma réponse soit franche et directe: pas bac! Mais pas pour les raisons de bienséance qu'on agite habituellement...

"Ars Amandi" n'est rien d'autre que le titre original de "L'Art d'aimer" d'Ovide, ouvrage proposé comme unique sujet de bac pour jeunes Français qui vont le passer bientôt - en 2010 si j'ai bien compris. Ce choix fait l'objet de polémiques, en particulier dans les milieux les plus conservateurs. On peut leur concéder que l'instruction publique française aurait dû laisser aux étudiants un choix entre plusieurs oeuvres, afin de répondre aux goûts de chacun - voire de guider le choix des professeurs de manière plus souple, en leur imposant d'examiner l'étudiant sur un choix représentatif d'oeuvres (genre, forme, époque, etc.). Aux plus obtus, on répliquera que l'"Art d'aimer" d'Ovide fait partie du patrimoine littéraire occidental, digne, à ce titre, de figurer dans les programmes scolaires en dépit de son sujet. Un argument qui a son poids.

J'ai envie de répliquer en partant de mon expérience personnelle - qui ne vaut rien du point de vue scientifique, mais pourra peut-être intéresser quelque lecteur passant par ici, latiniste ou non. J'ai lu deux fois, si je me souviens bien, ce récit - sans avoir jamais eu à rougir: l'auteur donne des ficelles, expose les lieux propices, etc. De quoi faire travailler l'imagination? Peut-être. Mais rien de directement exploitable, si j'ose ainsi m'exprimer.

Pourquoi, cependant, me suis-je intéressé à ce truc-là, au lieu de prendre exemple sur Jean-Claude Dusse comme tout le monde?

Peut-être parce que j'ai eu des professeurs et des collègues qui ont su titiller ma curiosité à propos de ce livre. La méthode, vous la connaissez tous: on laisse entendre qu'il y a un truc génial à découvrir, on lui confère une réputation qui sent un peu le soufre et le stupre, on insinue que le bibliothécaire vous fera les gros yeux si vous demandez ce titre, et hop: l'étudiant va sauter dessus, "par l'odeur alléché", comme dirait un fabuliste classique. Si l'enseignant sait y faire, il parviendra même à laisser entendre que ce genre de récit est interdit aux mineurs...

... et comme le goût de l'interdit est le meilleur moyen d'intéresser quelqu'un à quelque chose, tout le monde, moi y compris, s'est précipité sur l'ouvrage et y a trouvé de quoi se faire plaisir l'instant d'une lecture donnant l'impression de faire partie du cercle restreint de ceux qui sont admis à sa lecture. Le privilège d'avoir touché au fruit défendu, donc. Et, naturellement, d'avoir appris quelque chose de plus sur la civilisation romaine, avec un plaisir renforcé.

Supposons à présent que cet ouvrage figure dans les programmes scolaires. En institutionnalisant l'Art d'aimer, on l'émascule quelque part en lui ôtant ce goût de soufre qui attire: puisque c'est permis voire recommandé, c'est moins drôle. Peut-être qu'un professeur saura suggérer, d'un clin d'oeil ou d'une phrase malicieuse, quelque chose qui ressemble au goût sulfureux; mais tous les étudiants ne se prendront pas au jeu. Certains en seront même dégoûtés, simplement parce que c'est l'école qui le leur impose: j'ai connu de tels blocages sur des romans français, par exemple "Jacques le Fataliste et son maître" de Denis Diderot. Dommage! Et pendant qu'on fait semblant de s'amuser avec Ovide, peut-être oublie-t-on d'autres auteurs classiques qui n'ont pas, par nature, le même attrait: si un recueil de conseils amoureux est susceptible d'intéresser tout le monde, qu'en est-il, par exemple d'une "Vie des douze Césars"?

Laissons donc l'"Ars Amandi" aux enfers... afin qu'il conserve longtemps encore son goût inimitable d'ouvrage interdit!

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Daniel Fattore
  • : Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
  • Contact

Les lectures maison

Pour commander mon recueil de nouvelles "Le Noeud de l'intrigue", cliquer sur la couverture ci-dessous:

partage photo gratuit

Pour commander mon mémoire de mastère en administration publique "Minorités linguistiques, où êtes-vous?", cliquer ici.

 

Recherche

 

 

"Parler avec exigence, c'est offrir à l'autre le meilleur de ce que peut un esprit."
Marc BONNANT.

 

 

"Nous devons être des indignés linguistiques!"
Abdou DIOUF.