Lu par Biblimi, Nadia Coste, Sytra.
Le site de l'éditeur (salutations à Marilyn Stellini!), le blog de l'auteur.
Deux voix, ou deux points de vue. Il n'en faut pas moins pour créer un monde littéraire, qui trouve son cadre dans l'île de la Réunion. Marie-Catherine Daniel offre avec "Rose-thé et gris-souris" un roman aux couleurs souvent douces et parfois amères, où l'amour et les affinités électives jouent un rôle clé. Le lecteur sourira sans doute à l'idée qu'une écrivaine installée à la Réunion depuis 1993 soit éditée en Suisse, et songera fugacement aux bienfaits inattendus de la mondialisation. Mais voyons le roman proprement dit...
L'auteure sait de quoi elle parle dès lors qu'il s'agit de planter le décor réunionnais. Elle a cependant le mérite de ne pas basculer dans un exotisme facile. La Réunion est une donnée présente dans ce roman, discrète, qui affleure à travers l'un ou l'autre terme ou usage local, mentionné sans lourdeur. Cela rappelle la couverture du livre, signée Maïwenn: le palmier qu'on y voit fait "couleur locale", mais il apparaît en arrière-plan, en gris - et l'auteur donne la première place à ses personnages. C'est là qu'est l'enjeu.
"Chacun cherche son chef", ai-je eu envie de dire en lisant "Rose-thé et gris-souris". Au départ, en effet, deux personnages émergent - et l'écriture le suggère fortement: "Elle, c'est Gertrude" et "Lui, c'est Dégage", lit-on au début de deux ensembles de paragraphes qui imposent, d'emblée, deux points de vue: celui de l'humain et celui du chien. Page après page, l'auteure expose des recherches relationnelles dominant/dominé librement acceptées, voire transcendées. Ainsi trouve-t-on un jeune chien, Dégage, qui cherche un chef de meute et courtise Gertrude à sa manière. Lui-même est charmé par un chaton dont il va se sentir rapidement responsable. Gertrude, quant à elle, joue le chassé-croisé amoureux parfait avec son propre chef, François. Dès lors, par moments, une ambiance de comédie romantique s'installe: comment ces deux-là vont-ils se rapprocher et arriver au happy end de rigueur? Ce rapprochement complexe fait écho à l'évidence des relations entre Maîtresse, le chaton, et Dégage.
Gertrude et Dégage, euh... c'est un peu plus compliqué que ça. En effet, l'auteur jongle adroitement avec les noms de ses personnages. Il y a un côté génial à avoir nommé "Dégage" un chien dont personne ne veut: au fond, il obéit à son nom et, à l'instar du chien de Jean de Nivelle, il ne vient jamais quand on l'appelle. Quant à Gertrude, alias Mademoiselle Tarrier, elle aimerait qu'on l'appelle Cunégonde... Les appellations évoluent avec finesse au fil du roman, en fonction des situations, des regards portés par autrui, etc., et les personnages les plus en vue se voient affublés de trois ou quatre noms et surnoms. On peut voir là le reflet d'identités multiples, ou celui du regard que l'un ou l'autre porte sur eux. Voire, dans le cas de Gertrude dite Cunégonde, un caprice personnel fondé sur un sens de l'humour particulier.
L'écriture, quant à elle, s'avère alerte, parfois canaille, et trahit un certain recul par rapport à son sujet - ne serait-ce que par le choix de parler à la troisième personne. Structurée en chapitres courts aux allures de faux journal, elle invite à une lecture très rapide: "Rose-thé et gris-souris" est un roman que l'on dévore. Ses ambiances sont en demi-teinte, volontiers discrètes comme le suggère un titre savamment exploité tout un long de l'ouvrage. Elles sont empreintes aussi de sentiments et d'émotions fortes, peintes avec pudeur. Quelques éléments plus durs, tel le personnage de Tao malade du sida, empêchent ce roman, et c'est un atout, de basculer dans la guimauve. Au final, "Rose-thé et gris-souris" s'avère un livre "bonne mine" en demi-teintes, subtil, bien construit et adroitement pensé, que l'on dévore d'une traite.
Marie-Catherine Daniel, Rose-thé et gris-souris, La Roche, Les Roses Bleues, 2012.
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