Lu par Carozine, Chiwi, Delcyfaro, Elizabeth Bennet, Erine6, Goliath, JMP, Lavinia, Léa, Lydia, Psylook, Pulco, Tous les livres, Umac.
L'écrivain belge Jean-Pierre Bours invite ses lecteurs à plonger dans un univers qui peu des sentiers battus, mais qui n'en est pas moins captivant. "Indulgences", son dernier roman, puise en effet son inspiration dans l'Allemagne du début du seizième siècle. Tout se passe entre 1500 et 1521, pour ainsi dire; et il suffit de penser que la Réforme a vu le jour durant cette période pour admettre qu'une révolution est contenue dans ce roman.
L'auteur excelle à brosser l'arrière-plan historique de son roman. Il se fonde sur des sources sûres, qu'il énumère dans une "note de l'auteur" finale qui, érudite, prend les allures d'un "making of". Le lecteur comprend assez vite que l'écrivain mêle la fiction et le réel dans "Indulgences", et relève entre autres que la figure de Mathias Grunewald, artiste-peintre méconnu auquel on doit le retable d'Issenheim (oeuvre célèbre, visible au musée d'Unterlinden à Colmar), fait figure de pivot entre le réel et la fiction. Pour cet aspect, et pour d'autres encore, la note conclusive trace en quelque sorte les frontières entre réel et imaginaire.
Du réel, l'auteur capte quelques éléments qui font vrai. Il y a les épidémies, décrites avec précision au plus près des victimes: les symptômes de la lèpre sont par exemple dépeints avec précision. Il y a la Réforme, je l'ai dit; l'auteur met dès lors en scène, de manière assez crédible, la figure de Martin Luther. Ses 95 thèses, épinglées sur le portail de l'église de Wittemberg, font figure de leitmotiv dans "Indulgences" - et s'opposent justement aux indulgences papales et aux dérives de cet outil religieux, défendues par l'opulent ecclésiastique Johann Tetzel. Cela, sans oublier l'invention de l'imprimerie, les artistes-peintres de l'époque (Cranach, Grunewald, Léonard de Vinci...) et, surtout, l'Inquisition. Chacun de ces éléments est abordé de près, et trouve une place prépondérante dans le récit. Il arrive que certains éléments explicatifs prennent beaucoup de place, donnant à "Indulgences" un côté parfois raide et didactique.
Ce côté sérieux et scolaire est contrebalancé par une intrigue parfaitement construite, traversée par les élans bachiques et désordonnés de quelques soudards et lansquenets ivrognes et vicieux. C'est dans les pages d'action romanesque que le lecteur se sent le plus à l'aise, le plus heureux. Il y a un bonheur certain, en effet, à dépêtrer, au fil des pages, les affaires de famille des deux femmes mises en scène, Eva et Gretchen - avec la scène de reconnaissance obligée, en fin de roman. Les aventures et péripéties de la destinée des deux femmes réservent quelques frissons au lecteur: placée face à ses juges de l'Inquisition, Eva fascine dans un rôle de prévenue qui ne s'en laisse pas compter. Cela, sans oublier, pour faire bon poids et amener une touche bienvenue de fantastique, la présence du diable Méphistophélès, qui renvoie immanquablement à une paternité fameuse: celle du "Faust" de Goethe. Faust fait d'ailleurs quelques apparitions dans "Indulgences". C'est un médecin compétent et habile; est-il aidé par le diable? Et qu'en est-il des femmes, instruites en un temps où l'on était souvent analphabète, qui mènent ce roman?
C'est donc avec beaucoup de science et de talent que l'auteur d'"Indulgences" mêle réalité et fiction, à tel point que la limite entre ces deux pôles devient difficile à percevoir: Gretchen et Ulrika ont-elles vraiment été les modèles de Lucas Cranach? Le lecteur curieux se surprendra à vérifier... Certes, quelques pages paraissent longues, et "plaquées" sur le récit. Mais sur la longueur, "Indulgences" fonctionne à merveille, et c'est cela qu'il faut retenir de cet ample roman, situé à un moment fascinant de l'histoire: celui où le Moyen Age cède la place à la Renaissance.
Jean-Pierre Bours, Indulgences, Paris, HC Editions, 2014.
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