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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 20:39

PhotobucketDéfi Frédéric Dard, lu par DidiMazelThierry Gagnon, Tilly  - lecture commune, jusqu'au 26 décembre!

 

... dans l'eau de mer avant de pédaler dans la semoule au terme de deux ou trois petits tours de truanderie, en compagnie de l'ex-plagiste Lambert: voilà, en très gros, la trame de "La vieille qui marchait dans la mer" (1988), roman signé San-Antonio - un de ces ouvrages costauds où l'auteur démontre qu'il sait faire autre chose que raconter les aventures d'un commissaire coureur de jupons et d'une clique d'allumés. Cela dit, nombreux sont les parallèles qu'on peut faire entre la riche geste sanantoniesque de base et "La vieille qui marchait dans la mer".

 

Ainsi retrouve-t-on ici, sans surprise, la veine gauloise qui a fait la fortune de l'auteur. Mais là, les p'tites pépées cèdent la place à Lady M., une octogénaire excentrique dont le fonds de commerce est l'escroquerie de haut vol, en collaboration avec un ancien diplomate roumain lubrique, Pompilius Senaresco, dont le patronyme évoque de loin la sénescence. Lady M. prend sous son aile un jeune plagiste (25 ans) dénommé Lambert et décide de lui enseigner le métier d'escroc. Ainsi se met en place une dynamique complexe entre deux aïeux qui ont leurs idées et un jeune homme qui a les siennes et fonctionne comme un grain de sable intergénérationnel dans le couple. Curieusement, ce n'est justement pas le jeune homme qui est le plus actif sexuellement; il fonctionne plutôt comme un repoussoir blasé (l'adorable Noémie Fargesse, avec laquelle la communication s'avère impossible, en sait quelque chose, de même que l'Alexandra du début, rejetée sans ménagement comme un détritus), alors que Pompilius prend tout ce qui se présente et que Lady M., eh bien... retenons, pour ne pas trop en dire, qu'elle oscille entre le rêve et la réalité.

 

Les lecteurs avertis de San-Antonio reconnaîtront par ailleurs, dans la description faite de New York dans "La vieille qui marchait dans la mer", quelques traits utilisés dans "Circulez, y'a rien à voir", excellent titre de la série régulière, quasi contemporain (1987), qui se déroule également dans la Grosse Pomme - en particulier l'idée de la librairie française qui rétrécit à vue d'oeil, symbole de la perte de rayonnement d'une certaine France, ou la fascination que la grande ville exerce, à l'instar de Venise. Cela, sans oublier la question du sida, qui affleure çà et là dans "La vieille qui marchait dans la mer" et constitue le socle de l'intrigue de "Circulez, y'a rien à voir". Enfin, d'une manière plus générale, Senaresco ne fait-il pas un peu penser à Pinaud?

 

Le double point fort de ce récit réside dans la représentation de personnages à la fois improbables à force d'être baroques et caricaturaux (en particulier les deux aînés) et profondément travaillés - à l'instar des dialogues, où fusent volontiers des insultes et noms d'oiseaux aux allures d'oxymores délirantes. Au gré des pages, en particulier, Lady M. devient familière au lecteur, avec ses prénoms réels ou inventés et ses mille et une aventures masculines. Comme le suggère son prénom, Pompilius Senaresco est des plus pittoresques - au risque de faire passer Lambert pour un gamin finalement insipide. Reste que l'image de ce dernier est également bien dépeinte, indirectement, en particulier dans le cadre des dialogues intérieurs que Lady M. entretient avec Dieu le Père en personne.

 

Parce que l'écrivain use et abuse ici d'un procédé, celui des monologues intérieurs - Lady M. avec Dieu, Lambert avec Lady M., à laquelle il ne confie pas tout à voix haute. Omniprésente, cette manière confère toutefois à ce roman une certaine lourdeur et des longueurs; en particulier, l'histoire du viol originel de Lady M. apparaît deux fois sans que cela se justifie d'emblée - l'auteur épargnant de justesse au lecteur l'affront d'une troisième narration, ouf! Ces longues stances empêchent par ailleurs l'action et les entourloupes de se multiplier - une belle occasion manquée, vu le dynamisme dont Lady M. fait preuve en dépit de son emblématique canne et de âge canonique.

 

La principale vertu qu'on peut trouver à ces monologues réside sans doute dans un exercice de grand écart: femme extravagante et dépourvue de scrupules, Lady M. s'adresse à Dieu en jouant la séduction et la familiarité, alternant beau parler et verbe fleuri. Car si la langue de narration utilisée dans ce roman aux accents grinçants reste factuelle lorsqu'il s'agit de relater des faits, elle prend les chemins de la créativité échevelée dès lors qu'un moment de la narration le permet ou le suggère. C'est là, dans le sens de l'à-propos, que réside tout l'art de l'écrivain...

 

San-Antonio, La vieille qui marchait dans la mer, Paris, Fleuve Noir, 1988.

 

 

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3 novembre 2010 3 03 /11 /novembre /2010 19:54

PhotobucketRendre à une femme son visage d'avant, celui du temps des souvenirs. Telle est la gageure que s'est donné le docteur R. dans "Ton visage entre les ruines", premier roman de Laurence Biava, paru aux éditions In Octavo. Et lui rendre un visage, c'est lui rendre son humanité malmenée par l'amnésie qu'entraîne le syndrome de Korsakov, dans une démarche qui n'est pas exempte d'amour - à moins que ce ne soit de la fascination, ou un peu des deux.  

 

Une question d'autorité

C'est en effet à un masque indifférent que le docteur R. a affaire, à un visage inexpressif. Qu'y a-t-il derrière? Le docteur R. n'a, pour faire connaissance du personnage d'Evolène (c'est ainsi, d'après le nom d'un village valaisan, que la patiente est nommée), que trois séries de documents rédigés de sa main à différentes périodes de sa vie. Ceux-ci sont introduits selon la manière classique consistant à enchâsser le document dans une présentation qui les fait passer pour réels bien qu'étranges ("Voici le cas étrange d'une jeune femme admise dans mon service de gérontologie de la Salpêtrière à Paris.", dit l'incipit). Une réalité accentuée par des dates (1976/77 pour la rencontre, 1997 pour la relation du récit).

 

Alors qu'autrefois, l'écrivain pouvait passer pour une personne disposant de suffisamment d'autorité pour que le lecteur croie, ne serait-ce que par convention, à la véracité du récit, notre époque a besoin d'autres artifices que l'auteur convoque. La présentation du cas émane donc d'un médecin, autorité scientifique à laquelle on fait généralement confiance. L'auteur choisit de lui donner une voix certes poétique, mais aussi factuelle, clinique voire didactique - elle n'hésite pas à utiliser des mots parfois fort précis, médicaux, pour décrire des symptômes tels que la "palilalie" de la patiente.

 

Mémoire et dégradation

Le visage inexpressif est le reflet tangible de la dégradation de la mémoire d'Evolène. Une phrase revient à plusieurs reprises, c'est l'idée de "perdre les os" - une perte qui est celle de l'ossature du langage, copules, verbes, etc., jusqu'à ce qu'il ne se réduise qu'à quelques mots: Cuba, Ile de la Jeunesse, Evolène.

 

L'image d'une femme enceinte s'impose aux esprits, image également suggérée, d'une autre manière, par la constipation, voire l'occlusion intestinale de la patiente. Celle-ci suggère à son tour que quelque chose, un mal, doit sortir d'Evolène: ce symptôme intestinal est présenté comme une défense de son organisme, mais aussi comme une exigence de patience: "Ce qu'on attend de moi n'est pas encore terminé", lit-on (p. 126), en citation de Georg Groddeck.

 

La métaphore des ruines (de la mémoire), enfin, est évidente. Elle est affirmée au terme de l'introduction du docteur R., en début de récit déjà (p. 25), explicitant le titre.

 

Des carnets empreints de poésie

C'est à travers ses carnets qu'Evolène s'est exprimée, longuement. Ceux-ci sont empreints d'une poésie qui tranche avec le langage plutôt factuel du médecin. Leur précision (prémonitoire pour le premier, intitulé "La bataille d'Alzheimer") est troublante, et étonnante pour le deuxième ("Journal d'un fou du temps"), dans la mesure où le syndrome de Korsakov rendrait impossible la production de tels récits. Au relatif hermétisme de certains textes, où les images et métaphores abondent, répondent parfois les commentaires du docteur R., ainsi que la mention de l'illisibilité du carnet.

 

Ainsi est recréée, dans une manière qui fait penser à l'art brut, la production artistique d'une certaine démence. Ce dernier thème fait toucher au mystérieux, pour ne pas aller jusqu'au fantastique, dans une démarche romantique qui s'intéresse aux arcanes de l'âme et à la phrénologie. Ainsi se souvient-on, par ailleurs, que la poésie et le roman sont des genres de convention dont la mission première est de recréer le réel, de manière à ce que le lecteur y croie, en usant de tous les moyens à disposition.

 

Et pour son premier roman, Laurence Biava a réussi cette difficile mission en faisant la preuve de son talent.

 

Laurence Biava, Ton visage entre les ruines, La Celle-Saint-Cloud, In Octavo, 2010.

 

Merci à Laurence Biava pour l'envoi!

Lu dans le cadre des défis "% littéraire" (9/6).

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1 novembre 2010 1 01 /11 /novembre /2010 19:49

PhotobucketFruits de blogage, aussi chez Carnets de lecture, Deliregirl, Des Livres Et MoiEvy, Heclea, LilyLystig, ariiineMylèneParfums.

Le blog de l'auteur: Foodamour

Merci aux éditions Lafon et à Camille!  

 

... un jour d'inventer l'école? Princesse Soso, blogueuse et professeur d'anglais dans un collège, a collecté des billets de son blog pour en tirer le livre "Chroniques d'une prof qui en saigne", publié dernièrement aux éditions Privé. Un ouvrage de témoignage rédigé dans un style dont le moins qu'on puisse dire est qu'il arrache sa race - pour reprendre une manière de s'exprimer assez typique.

 

Il s'agit ici de la narration, au moyen de chroniques plutôt longues pour des billets de blogs mais confortables à parcourir sur papier, le quotidien d'une enseignante d'anglais placée jour après jour face à des adolescents en folie. Après Paul Guth, après François Bégaudeau, force est de constater qu'une nouvelle voix apparaît dans le domaine des enseignants qui écrivent. Celle-ci est dynamique, goûte volontiers aux traits qui font djeun et manie le vitriol comme d'autres le gaz hilarant. Elle semble faire un pas supplémentaire dans le désenchantement du microcosme scolaire. Bienvenue dans un univers où l'on s'étripe à coups de pointes de compas! Le lecteur lira sans doute, avec un sourire en coin, ce concentré de "crasses" d'élèves et de gestion de crise permanente.

 

Tout le monde en prend pour son grade. Le ministère de tutelle et le rectorat sont régulièrement critiqués pour leurs idées, présentées comme faussement bonnes le plus souvent. Il y a aussi les parents, cibles récurrentes, volontiers dépeints comme de parfaits clients démissionnaires de Super Nanny, souvent incultes, parfois même complaisants avec un adolescent en perdition - quand ils ne demandent pas la maîtresse comme amie sur Facebook. Cela, sans oublier le chauffeur d'autobus qui doit les conduire à Canterbury... et bien sûr les élèves, source inépuisable de perles dont on rit quand on les lit comme cela, mais qui doivent être pas toujours faciles à vivre au quotidien. Terreurs ou bisounours? Il y a de tout, mais c'est le plus souvent des terreurs, ou de cas qui pourraient paraître désespérés, qu'il est question ici.

 

Reste que même là, la narratrice se montre suffisamment forte pour intervenir avec fermeté et une certaine courtoisie, cernée également, souvent, par une ironie à l'acide. L'image qu'elle renvoie d'elle-même est des plus révélatrices et originales. On peut être surpris, en effet, par son faible pour les trousses Hello Kitty et les considérations sur le maquillage, contrebalancées par la présence, réelle ou rêvée, d'une batte de base-ball dans la salle de classe. On ne peut que s'étonner également du caractère éclectique de la culture générale de Princesse Soso, qui va de William Shakespeare à Sex And The City en passant par Secret Story (qu'elle affirme ne pas regarder...) et Jane Austen. Reste qu'au fil de certains billets plus axés sur la réflexion, elle interroge le lecteur: faut-il tutoyer les élèves, ou les vousoyer? Quels congés (ne pas) accorder pour les premières communions? A quelles conditions l'exclusion d'un élève est-elle une sanction efficace? Faut-il un diplôme spécifique pour enseigner (oui, selon l'auteur)? Quel partenariat entre les parents et les enseignants pour le bien de l'élève? Cela, sans oublier quelques piques envers la xyloglossie d'une certaine pédagogie ou la problématique du collège unique.

 

Princesse Soso invite donc ses lecteurs à découvrir, dans un tableau sans fard (ou plutôt si, mais bien sur le visage de certains personnages) mais non sans humour, le monde méconnu des collèges de province. Il vaut la peine d'y mettre le nez... et d'en avoir un avant-goût en visitant le blog de l'auteur.

 

Princesse Soso, Chroniques d'une prof qui en saigne, Paris, Privé, 2010.

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29 octobre 2010 5 29 /10 /octobre /2010 20:51

PhotobucketCécile Fargue vient de publier, aux éditions des Penchants du Roseau, un petit livre d'inspiration poétique intitulé "Le Souvenir de personne". Tout découle d'un fait divers: en 1994, la police d'Angoulême découvre le corps d'un adolescent que personne ne peut identifier, un anonyme donc, probablement mort d'overdose. La narratrice se promet de lui écrire, finit par tenir sa promesse... et le résultat, c'est ce roman.

 

Deux parties complémentaires composent cet ouvrage. La première montre la narratrice s'enquérant du défunt, la seconde, "Fragments", constitue un rappel, au fil des mois, de moments vécus ou rêvés entre la narratrice et l'adolescent, sur le mode du flash-back. Les ambiances ne sont pas des plus joyeuses. L'auteur donne ainsi quelques regards sur la mendicité, sur la misère non exempte d'une certaine fierté, d'une humanité foncière même chez ce jeune homme, drogué, qui se prostitue sans trop d'états d'âme pour survivre - ce dernier élément mis en scène avec beaucoup de pudeur.

 

Et il y a le regard des autres, par exemple celui de ces fiers-à-bras méprisants qui viennent casser la figure du jeune homme, de manière gratuite. Ou un client régulier mis en scène, âgé, presque sympathique, presque imbuvable dans son cabanon de jardin; même en "consommant" le jeune homme, il ne parvient pas à aller au-delà de la surface des choses. Seule la narratrice est capable de donner une identité à celui qui fut Sébastien, seule elle le nomme ainsi, par son véritable nom.

 

Sous-tendu par l'amour qui fait avancer le tandem, c'est là tout l'enjeu du récit. L'amour, forme suprême de reconnaissance, permet à la narratrice de conférer une dimension supplémentaire à l'anonyme, de lui donner un supplément d'existence. "Personne" devient ainsi "une personne". Et le fait de mettre en scène un instant d'intimité entre la narratrice et le garçon, dans une chambre miteuse ("Novembre"), recrée pour le couple (où chacun se donne, alors que d'ordinaire le jeune homme se vend) la profondeur dramatique d'un rituel qui n'a rien de mécanique.

 

Il est possible d'aller plus loin encore en considérant que la narratrice, si elle a des sentiments, fait également oeuvre de poète en nommant l'innommé - un acte essentiel. Et comme le poète, étymologiquement créateur, comme s'il créait en nommant à sa façon, elle n'est pas forcément comprise. Cela apparaît ici au détour d'une rencontre avec le personnel chargé de veiller sur le corps, qui oppose à son souhait de voir le défunt des obstacles d'ordre administratif, apparemment dérisoires mais difficiles à contourner.

 

Ainsi se déroule un ouvrage tragique, parfois dramatique et passionné, qu'on lit cependant avec bonheur parce que l'émotion est là, soulignée par une langue belle où Prévert se cache, au détour d'exergues. Et puis, il vaut la peine d'avoir en main ce livre à la couverture gris perle satinée, produit de manière soignée par Christian Domec, éditeur et "apprenti libraire".

 

Merci à M. Domec et aux éditions des Penchants du Roseau pour l'envoi de ce livre! Site de l'éditeur.

 

Cécile Fargue, Le Souvenir de personne, Saint-Aubin-du-Cormier, Les Penchants du Roseau, 2010.

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23 octobre 2010 6 23 /10 /octobre /2010 16:54

PhotobucketRecueil de nouvelles, lu par Du bleu, HambreelieLali, LiratouvaParis secretThé au Jasmin.

Le blog de l'auteur.

Le blog de l'éditeur.

Rentrée littéraire: 8/14 

 

L'adjectif "parisophile" existe quelque part dans la blogosphère. Il s'applique à merveille au petit recueil de douze nouvelles, signé de la blogueuse Myriam Thibault, qui a paru en août dernier aux éditions Leo Scheer. Son titre? "Paris, je t'aime". Son sujet? Tout est dans le titre, avec un clin d'oeil à un film d'Olivier Assayas, sorti en 2005.

 

"On ne sait pas réellement si vous parlez de vous, ou si vous inventez", écrit une lectrice à l'écrivain qui est le narrateur de la nouvelle "Une journée Boulevard Saint-Germain". Eternelle question qui se pose dès qu'un auteur s'exprime! Celle-ci survient à l'esprit du lecteur dès qu'il ouvre ce petit livre: quelle est la part de vécu, quelle est la part de rêve? Une question qu'on peut aussi se poser lorsqu'on pense à un Frédéric Beigbeder, celui de "Windows On The World" par exemple. C'est du reste lui, ou l'un de ses semblables, écrivains à succès, qui paraît constituer le modèle du narrateur de cette nouvelle. L'auteur de ce texte campe ici avec aisance un personnage sûr de lui, un rien m'as-tu-vu, paresseux même dans la mesure où on ne le voit guère écrire alors qu'il se dit auteur. Quelques phrases placées en contrepoint et en italique balisent la philosophie du personnage. La nouvelle étant un genre de convention, l'auteur (celle de la nouvelle donc, pas le personnage) réussit à concentrer sur une seule journée de nombreuses activités aux arômes touristiques ou boutiquières, révélant les plus belles vitrines et adresses de la Ville Lumière.

 

A cette nouvelle diurne, fait suite un texte intitulé "Minuit" (tiens, comme l'éditeur!), qui constitue un flash sur Paris by night et le romantisme amoureux qui s'en dégage; "La jeune fille au trench rouge" fait suite, dévoilant le côté potentiellement dramatique d'un épisode de vie à Paris - cité impitoyable parfois. Elle fait écho au happy end de "Quelques saisons plus tard", histoire d'amour un peu folle, mise en scène en grand, passionnément, parce que Paris, c'est aussi "l'amour, toujours".

 

"Paris, je t'aime", c'est aussi une petite musique. Elle s'installe dès le premier texte, "Paris je t'aime" justement, qui énumère une bonne pelletées de marques et de noms qu'on associe volontiers à Paris: Ladurée pour les macarons, Frédéric Beigbeder, Lautréamont, Fabrice Luchini, les chaussures Repetto - seules les glaces Berthillon manquent à l'appel. Plus loin, la mention des noms et lieux associés à Paris se poursuit, de manière régulière quoique discrète. L'auteur a aussi un certain goût de l'anaphore, qui constitue le moteur, la manière du début de la nouvelle "Un jour, peut-être..." - un côté concept qui fait écho au style conceptuel (ah, la cuisine qui vous laisse affamés!) du restaurant fatidique dont il est question ici. La musique du verbe fait écho à la musique des chansons de Serge Gainsbourg, dans une démarche d'écrivain qu'on a certes déjà vue ailleurs: l'auteur fait revenir sur Terre l'ectoplasme du locataire le plus célèbre de la Rue Verneuil pour le faire parler en utilisant les titres et textes de ses chansons. Qu'importe, cependant: Paris, c'est aussi des chansons qu'on fredonne dans le monde entier. La musique est du reste omniprésente dans ce petit livre, qu'elle soit de Paris ou d'ailleurs, ce qui invite à lire avec son lecteur CD à fond, un casque d'écoute sur les oreilles.  

 

Une plume prometteuse, donc, que celle de Myriam Thibault! Ce petit recueil se lit d'une traite, en à peine deux heures; il sait faire rêver, au détour d'une page, aux mille scintillements de Paris - ces scintillements, poussières d'étoiles à la fois superficielles et essentielles qui font rêver plus d'un provincial, plus d'un touriste venu de loin.

 

Myriam Thibault, Paris, je t'aime, Paris, Leo Scheer, 2010.

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21 octobre 2010 4 21 /10 /octobre /2010 20:28

PhotobucketThriller, lu par Accro des Livres.

 

De la musique rock dûment recensée en playlist (ah, "Hell's Bells"!), une fille biélorusse à la beauté époustouflante, la promesse d'une haute fonction publique à Paris et la dominante rouge du sang: la couverture de "Bloody Valéria" est accrocheuse et pertinente. Signé de l'écrivain isérois Stéphane Gravier, ce thriller tout nouveau mêle quelques ingrédients prometteurs en un cocktail savoureux et inquiétant - au moins autant que le mélange douteux que Nathan, médecin, se voit contraint d'injecter à Valéria. Mais n'anticipons pas...

 

Quelle histoire, alors? Si la couverture du livre est dominée par la couleur rouge, c'est le bleu qui hante les premières pages - celui de la police, des gyrophares et des bleus de travail du personnel de l'usine qu'on vient de fermer. Dès lors, le ton est donné: ce roman aura une couleur sociale. Couleur confirmée par le fait que l'auteur choisit de donner directement la parole à un seul de ses personnages, Victor, ex-cariste dans ladite usine. C'est donc à travers ses yeux que le lecteur va découvrir l'histoire - et aussi à travers sa parole, volontiers fleurie et imagée, ce qui offre à l'auteur l'occasion de s'exprimer dans une langue certes efficace, mais qui n'oublie jamais la poésie, ni le sens de l'image.

 

Et, comme c'est naturel dans un roman à suspens, l'auteur cultive avec un plaisir certain l'art de la rétention d'information. Le chapitre 1 décrit ainsi Valéria quittant son fils qu'elle élève seul - sans trop s'attarder sur les circonstances. Puis il passe à tout autre chose... quel lien? Que se passe-t-il? Le lecteur ne comprend pas tout de suite que l'usine vient de fermer, l'information lui parvient assez tard même si l'auteur le laisse deviner. Voilà déjà de quoi accrocher. Victor lui-même semble manquer d'informations: "Voilà que Marcel se mettait à faire des mystères. Sale journée.", dit-il (p. 16), rendant le lecteur curieux. Sale journée pour le narrateur? Oui, mais que de perspectives!

 

Variant les voix, c'est à la troisième personne, de manière plus factuelle, que l'auteur relate les évolutions de Nathan, frère de Victor, médecin de son état. Un tandem improbable? On peut également s'interroger sur la culture assez vaste de Victor en matière d'architecture. Est-elle plausible pour un ouvrier? Elle permet en tout cas à l'auteur de faire passer quelques idées bien senties sur l'architecture moderne et ses travers. Et puis, peu importe, au fond, du point de vue de la narration: le duo fonctionne avec une perfection finalement étonnante pour des hommes qui ne se sont pas revus depuis des années: communication spontanée d'informations, aptitude au secret, compréhension rapide.

 

Et lorsque je parle de parfum de sang contaminé, c'est en pensant au mode opératoire choisi par les méchants... mode original qui confère toute sa spécificité au roman. C'est aussi par ce biais qu'on touche au niveau supérieur du propos, celui d'hommes politiques, candidats aux plus hautes fonctions, peu scrupuleux dès qu'il s'agit de se défaire d'un adversaire. Prostituée, son fils retenu en otage, Valéria est contrainte de se prostituer pour compromettre tel ou tel politicien. Ainsi, la distance est faible du Palais de l'Elysée et des beaux hôtels (là, on pense à certaines pages de "Carrefour des nostalgies" d'Antoine Laurain) aux logis modestes et aux bars miteux où Victor parle à ses cannettes de bière comme s'il s'agissait de ses copines. A ce propos, on retiendra un discours musicologique peignant bien l'ivresse du gars désespéré qui n'a pas grand-chose à perdre.

 

Et sous des apparences heureuses, on comprend que le final de ce thriller à la française bien troussé aura un arrière-goût amer. Je vous laisse le découvrir...

 

Stéphane Gravier, Bloody Valéria, Paris, Publibook/Mon Petit Editeur, 2010.

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29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 19:06

PhotobucketCelle ou celui qui ouvre "Le Coeur en poche", premier roman de l'auteur belge Christine Aventin, va découvrir la personnalité d'Alexandra Lecler, 15 ans, narratrice du récit, et son petit monde. Un univers peu évident, puisque sa mère, prostituée, travaille dans une maison close de la Rue Saint-Denis, à Paris. Publié en 1988 alors que l'auteur avait 17 ans, ce bref récit a connu un succès phénoménal. Et aujourd'hui encore, il sait parler à son lectorat grâce à sa prose fluide et alerte, placée au service d'un propos profond, grave parfois.  

 

Pour ainsi dire, ce roman se structure en deux parties, séparées, du point de vue de l'action, par l'assassinat de Véronique par son souteneur. Le lecteur découvre donc Alexandra, dite Alexie, dite Alex (mais elle déteste), fille presque comme tout le monde: certes, elle sait à quoi s'en tenir par rapport aux activités de sa mère et, à ce titre, ne se fait pas d'illusions; mais elle aspire à davantage de normalité: un papa (elle va finir par le chercher), un petit ami, une maison à la campagne... Sa personnalité est attachante; on apprécie son refus de s'apitoyer sur soi-même, son optimisme et son dynamisme, reflété par le style parfois direct de l'auteur.

 

Le domicile de la mère et de la fille fait figure de cocon durant toute la première partie, un lieu d'où l'extérieur apparaît souvent hostile ou intrusif. On pense ici à la figure de Gérard, souteneur violent et sournois, ou à la police, dont on ne sait jamais vraiment ce qu'elle veut. Le téléphone joue aussi un rôle ambivalent - police, mais aussi Julien, soupirant d'Alexandra. Quant à la visite de Gérard à Alexandra, il est possible d'y voir un viol - symbolique, en plus de la tentative bien réelle qu'a perpétrée Gérard de suborner Alexandra.

 

Julien, dans ce récit, c'est l'histoire d'un rendez-vous manqué avec l'amour. Toute la première partie est traversée par les situations d'incommunication sur ce sentiment, qui paraît toutefois essentiel aux yeux d'Alexandra - et fait figure, pour le coup, d'occasion unique d'avoir une relation sentimentale harmonieuse avec quelqu'un, loin de l'amour tarifé.

 

La deuxième partie du récit va signaler une évolution sur au moins deux fronts. Il y a d'abord le dévoilement du personnage de Julien, qui s'avère plus baiseur que sentimental et n'acceptera pas la difficile vérité au sujet du père d'Alexandra (déjà sa mère, ça n'a rien d'évident pour un fils de famille bourgeoise). Et le décès de Véronique impose à Alexandra de découvrir le vaste monde, au gré d'un départ en Bretagne qui signifie sa première rencontre avec sa famille... et l'arrivée dans un monde totalement à part, finalement hostile.

 

Evolution, découverte du vaste monde: loin de Paris, la narratrice va aussi apprendre. Faut-il faire confiance aux religieux, par exemple? Le thème apparaît de manière plutôt naturelle dans le récit; dans le train, un prêtre refuse de libérer deux places pour un couple d'Arabes dont la mère est enceinte - et le lecteur fera rapidement le parallèle avec la vie des parents du Christ, qui ont trouvé plus d'une fois porte close. Cela contraste avec la belle histoire biblique de Marie-Madeleine, que le prêtre raconte à Alexandra pour la réconforter. Religion à deux vitesses? La narratrice trouve cela bien (trop?) commode.

 

En voyage, elle se forge aussi une image des représentants du sexe masculin, à partir de son vécu: un grand-père alcoolique mais aimable, un pervers qui ramasse les autostoppeuses... tous des salauds, alors? A priori, le tableau n'est pas flatteur. Mais Alexandra tombera aussi sur une équipe de routiers vraiment sympas. Par ailleurs, il y a Corniaud, un chien, qui est présent dans sa poche (son coeur?), dans les mauvais moments. Et c'est auprès d'un homme a priori moche et détestable, mais qu'elle va aimer passionnément avant même de le rencontrer, que la route d'Alexandra, devenue plus mûre, va se terminer: son père... Et en refermant le livre, on a envie de partager avec Alex et son père les oranges bien vitaminées qu'elle ne manquera pas de lui apporter lors de sa prochaine visite.

 

Christine Aventin, Le Coeur en poche, Paris, Mercure de France, 1988/Folio, 2006.

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21 septembre 2010 2 21 /09 /septembre /2010 19:00

PhotobucketIncontournable, lu par A bride abattueMes Imaginaires, Sophie.

 

Avec « L’Enquête », Philippe Claudel aborde la thématique de la déshumanisation des personnes. Son prétexte, c’est l’inspection d’une entreprise dont le taux de suicides au sein de son personnel a connu une importante et subite recrudescence. Impossible de ne pas penser à certaine entreprise de télécommunication française, ou à quelque autre grand groupe de l’Hexagone lorsqu’on lit certaines descriptions de ce roman. Mais, le lecteur fasciné le comprend vite, l’Enquête n’est qu’un prétexte pour plonger au cœur de la folie.

 

Une folie délétère, bien sûr, et qui se fait jour petit à petit, dès le moment où l’Enquêteur arrive dans la ville où il doit remplir sa mission, comme ce supplice de la goutte d’eau, évoqué dans le récit, qui paraît drôle au début mais finit par avoir la peau de celui qui le subit. Et le lecteur va effectivement sourire aux premières mésaventures que l’Enquêteur connaît, et qu’il a peut-être lui-même vécues : on lui refuse un grog dans un café parce que l’ordinateur n’est pas en mesure de le facturer, un sandwich reste coincé dans un distributeur automatique. Et c’est bel et bien chez le psy que ça aboutit… et là, le lecteur rit jaune. S’il rit encore.

 

Déshumanisation, ai-je dit. Délibérément, l’auteur ne donne aucun nom à ses personnages. Il les désigne par leur fonction ou son rôle : le Guide, la Géante, les Déplacés, le Fondateur, etc. Ces personnages fonctionnent de manière volontiers erratique, tantôt hostiles, tantôt obséquieux envers l’Enquêteur. Ce dernier, sur lequel ce roman est centré, semble être le seul personnage à tenter de suivre une ligne directrice bien définie. Il perd cependant de sa superbe au fil du récit, jusqu’à ressembler à une loque : habits sales puis de fortune, faim récurrente, pas de rasage, mental en capilotade.

 

L’environnement de l’Enquêteur est totalement surréaliste : un hôtel cher au style spartiate et aux fenêtres murées, une région à la météo étrange, une entreprise omniprésente et, d’une manière générale, une géographie déroutante. Dans ce cadre, on comprend que l’enquête devienne secondaire pour le récit ; de fait, le lecteur n’en saura pas grand-chose ; tout au plus découvrira-t-il en passant quelques dysfonctionnements de l’entreprise. L’impression se dégage par ailleurs que l’entreprise où l’Enquêteur est supposé faire son travail protège son secret par tous les moyens possibles, en particulier par la déstabilisation de celui qui veut en savoir plus.

 

Porté par une écriture très personnelle sur 278 pages d’une précision hallucinante (énumérations, souci permanent du détail dans la description), le roman « L’Enquête » constitue ainsi une implacable marche vers la mort, ou vers l’enfer. L’auteur conclut son récit par le déclic d’un portable que l’on ferme, comme s’il fallait oublier l’Enquêteur. Mais le lecteur pourra-t-il oublier ce personnage et sa déchéance ?

 

Philippe Claudel, L’Enquête, Paris, Stock. 2010, 278 p.

Ce livre a été chroniqué dans le cadre d'un partenariat avec le site http://www.chroniquesdelarentreelitteraire.com et dans le cadre de l'organisation du Grand prix littéraire du web Cultura.

Pour-cent de la rentrée littéraire 2010 : 5/7 

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4 septembre 2010 6 04 /09 /septembre /2010 20:08

Roman; lu par A propos, Claire, Mobylivres.

Lu dans le cadre du % de la rentrée littéraire et du défi Premier Roman; en partenariat avec Blog-O-Book et les éditions Gaïa, que je remercie ici. 

 

C'est à un grand voyage que l'écrivain Didier Desbrugères invite ses lecteurs dans le cadre de son premier roman, "Le Délégué". Grand voyage à travers un grand pays qui pourrait être la Russie ou quelque nation d'Europe orientale (on pense au pays de Franz Kafka), mais aussi grand voyage à travers l'existence de Josef Strauber, dit S., fonctionnaire intègre et d'âge mûr, nommé à un poste de province pour lequel il n'a jamais été préparé.

 

Un personnage qui se rend à un emploi convoité? Le lecteur est rapidement tenté de faire le parallèle avec "Le Désert des Tartares" de Dino Buzzati. Parallèle pertinent: il ne se passe finalement pas grand-chose au fond de la province où échoue S. Mais il convient de le nuancer, et de relever du même coup la richesse intrinsèque du dense récit que signe Didier Desbrugères.

 

Trois étapes marquent ce récit, qui sont autant de chapitres. La première se concentre sur le voyage. C'est la plus dense, peut-être aussi la plus difficile à lire tant la narration est lente. Cette lenteur est le reflet parfait de la lenteur du train qui achemine S. vers sa destination - vers son destin: nous n'avons pas affaire à un TGV, et le pays est grand. L'auteur prend par ailleurs le temps de présenter le contexte et, déjà, de peindre les premiers traits de caractère du personnage complexe de Josef Strauber - qui baigne encore dans l'illusion du poste de délégué qu'il va reprendre. Cette illusion reflète l'ignorance qu'ont les passagers du train de leur propre pays: ils ne savent guère où ils se trouvent.

 

La deuxième partie révèle sa prise de fonction. Non attendu, le nouveau Délégué ne parviendra jamais à asseoir son autorité. Sorte de Candide au pays des petits arrangements, il se crée vite une réputation qui l'éloigne de la population. Monarque sans royaume, il se réfugie dans une nouvelle illusion en se mettant en couple avec sa bonne et en étudiant la botanique et l'entomologie (ce que suggère la couverture). Et lorsqu'il faut quand même aborder le coeur du métier (troisième partie), il est trop tard. Et c'est seul que S. livrera sa dernière bataille, montera son dernier projet, jusqu'à la mort peut-être.

 

Le flou qui entoure la géographie du récit se retrouve dans celui qui touche la temporalité. L'auteur plonge son lecteur dans une époque mal définie mais dont les traits sont archaïques - comme si le temps s'était arrêté dans cette république où l'on voyage dans des trains qui ont conservé la troisième classe et où se déroule tout un petit commerce fait de débrouillardise. Pas d'ordinateur bien sûr, et les distances rendent les communications difficiles, en particulier entre la capitale et la province. L'argent lui-même n'arrive jamais; d'ailleurs, quelle valeur a-t-il dans ce récit? Enfin, les distances se comptent en verstes, ce qui nous renvoie à nouveau à l'idée d'un pays inspiré de l'Europe orientale.

 

Sombre et tragique destinée que celle de Josef Strauber, qui doit attendre le soir de sa vie pour se lancer, seul et dérisoire, dans un grand projet! Mais n'est-ce pas là la métaphore de toute existence, souvent triste et diluée? A l'instar du chef-d'oeuvre de Dino Buzzati, le premier roman de Didier Desbrugères peint avec art l'ennui de la vie et suggère différentes manières de le tromper ou de fuir un réel qu'il est devenu, par notre propre faute, trop difficile d'envisager. Dense, d'une grande unité de ton, "Le Délégué" est un roman lent et magnifique - une démarche littéraire réussie qui donne envie d'en découvrir, à l'avenir, d'autres du même auteur.

 

Didier Desbrugères, Le Délégué, Montfort-en-Chalosse, Gaïa, 2010. 

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1 septembre 2010 3 01 /09 /septembre /2010 23:10

PhotobucketIl arrive qu’une entreprise se trouve dans l’obligation de se séparer d’une partie de son personnel. Problème : quand on est déjà un peu serré, un plan social peut s’avérer ruineux. Alors, pourquoi ne pas recourir à des méthodes plus, disons, euh, expéditives ? Telle est l’idée qui vient à Emile Delcourt, patron d’une entreprise familiale dont il est l’héritier. Et tel est le propos de « Plan social », deuxième roman de François Marchand, publié au Cherche-Midi.

 

Tout les éloigne, tout les rapproche pourtant…

Le lecteur est d’emblée saisi par un climat d’humour noir qui décape tout ce qui se présente, sans ménagement. Les consultants externes sont les premières cibles de ce roman – ces gens que l’auteur présente comme des êtres fades, vaguement méprisants, qui coûtent un saladier et se gargarisent de termes abscons comme teambuilding outdoor, management par projets, etc. L’auteur crée ici une petite musique, chant du consultant que le chef de l’entreprise apprend à imiter pour mieux le mener en bateau.

 

N’allons pas croire, cependant, que le consultant externe du roman, affublé du nom de Walfard (anglais ? français ?), est l’allié d’Emile Delcourt. L’auteur oppose ici le Parisien aux idées sophistiquées et le chef d’entreprise familiale provinciale (nous sommes dans une fabrique d’ancres de marine du département du Nord), présenté comme gardant les pieds à peu près sur Terre. A ses côtés, un autre personnage garde lui aussi les pieds sur Terre : le leader syndical de l’entreprise, Burnier.

 

L’actualité en embuscade

Paradoxalement, le syndicaliste Burnier et le patron Delcourt se retrouvent alliés d’un dégraissage des plus musclés. L’auteur met ici en évidence, avec beaucoup d’habileté, ce qui rapproche ces deux personnages que tout éloigne dans la vraie vie. Au fond, ce sont tous deux des conservateurs pur jus, tenants d’une approche à l’ancienne de leurs rôles respectifs. Et, pour ne pas verser dans un manichéisme convenu, tous deux sont pourris, le lecteur le découvre assez vite – je le laisse découvrir pour quoi roule le syndicaliste. Deux âmes grises ? Oui, mais gris foncé. Capables de tirer leur épingle d’un jeu délirant qui va loin. Et délicieusement odieuses, ce que le lecteur appréciera à sa juste valeur.

 

Avec un thème comme celui du « plan social » nouvelle mouture, l’auteur ne saurait faire abstraction de l’actualité, ni de quelques grands thèmes de l’économie. La concurrence chinoise est évoquée, de même que certaine crise dont on ne finit pas de sortir. Dans un registre tragique revu sur un ton ironique, l’entreprise restructurée connaîtra « sa » tentative de suicide. Comme à France Télécom.

 

Il y a dans ce roman de cent vingt pages un côté « il n’y a personne pour racheter l’autre » savoureux et jouissif qui n’est pas sans rappeler d’excellentes pages de Tom Sharpe. En outre, il rapproche ce qui, en principe, se repousse, parce qu’on est tous égaux dès qu’on met les doigts dans la crasse. Acérée, précise, la plume de l’auteur égratigne tout ce qu’elle touche, et fait mouche à tout coup, ne reculant ni devant l’outrance, ni devant le burlesque. Un roman un poil court ? Tant mieux : François Marchand sait aussi partir avant de lasser… et réussit ainsi sa sortie.

 

04_chronique_de_la_rentree_litteraireFrançois Marchand, Plan social, Paris, Le Cherche-Midi, 2010, 120 pages.

 

Ce livre a été chroniqué dans le cadre d’un partenariat avec le site Chroniquesdelarentreelitteraire.com et dans le cadre de l’organisation du Grand Prix Littéraire du Web Cultura. Merci à l'éditeur, Le Cherche-Midi, et aux partenaires!

 

Lu dans le cadre du défi "1% littéraire 2010" (3/7) 

 

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