La blogosphère en a parlé, côté hommes et côté femmes (photo Citibank/Debrahlee Lorenzana): la banque suisse UBS (United Banks of Switzerland) vient de publier un code vestimentaire ("dress code" en bon français) particulièrement contraignant... à un point tel que cela en devient risible pour certains observateurs. La presse institutionnelle, à l'instar du journal "La Liberté" ou du site "Auféminin", n'est pas parvenue, dans un article pourtant supposé pondéré, à faire la part des choses. Pourtant, le port de la cravate et la couleur des sous-vêtements ne sont pas forcément innocents... sans parler de la couleur des chaussettes, qui dénote selon certains l'appartenance à un groupe social plutôt qu'à un autre, sans même entrer dans des questions de hiérarchie. Face à ces arguments contradictoires, il vaut la peine de creuser...
... assez rigolé donc! Il est temps de réfléchir deux minutes à ce qu'il en est vraiment - entre autres en se mettant à la place du client lambda (c'est-à-dire de celui qui n'a pas de blog à faire mousser à bon compte) et à celle de la banque en question. Ca change le point de vue...
Mettons-nous un instant à la place du client, en effet. Et le client, c'est vous, ami blogueur - client d'UBS, du Crédit Lyonnais ou même de Citibank ou même de Sberbank si vous aimez l'exotisme. Que préférez-vous? Une personne qui présente bien et assure un max, ou un bonhomme qui porte un T-Shirt crade qui ne rassure pas (et a peut-être l'haleine d'un fumeur de joint ou d'un mangeur d'oignons)? Comme l'argent n'est rien d'autre que le fruit de votre travail et de votre sueur, vous préférez le confier à quelqu'un qui vous rassure. Et une personne souriante et bien habillée est, apparemment et selon les conseillers en apparence de l'UBS, la meilleure manière de vous donner confiance... Sans doute y a-t-il des exceptions, des clients qui ont compris que la connaissance des dossiers est plus importante que l'art de bien nouer une cravate. Mais la plupart des clients considéreront qu'un type incapable de cette petite chose qui consiste à nouer une cravate ou un foulard ne sera jamais en mesure de s'occuper correctement de leurs économies. Tout est question de tendances... et les banques aiment ça, tout comme les dress codes, censés présenter la quintessence de la meilleure tenue pour faire son travail de manière optimale.
C'est juste une image, me dira-t-on. OK. A cela, les réponses sont nombreuses aussi. D'une part, rien ne démontre que l'UBS est la seule à avoir émis un dress code contraignant. Tout au plus admettra-t-on que le sien est le seul à avoir été massivement médiatisé... Silvio Berlusconi lui-même, chef d'Etat italien bien connu, a donné des conseils du même ordre à ses diplomates, ce qui les a profondément ulcérés - mais les intentions (inspirer la confiance chez l'interlocuteur) étaient les même que celles de l'UBS. Le sait-on seulement? Et qu'en est-il d'autres banques - que ce soit Credit Suisse (concurrent direct d'UBS) ou des établissements bancaires d'autres pays d'Europe, voire du monde? Amis suisses, belges, français ou venus de plus loin encore, posez la question à votre banquier...
Peut-être que certains diront que l'UBS cherche ainsi à redorer son blason à bon compte... vraiment? L'hypothèse est séduisante: la banque de Marcel Ospel a connu de durs revers aux Etats-Unis il y a un an ou deux (voir le livre de Myret Zaki), et elle doit s'en remettre. Il est cependant possible de considérer aussi que le personnel qu'elle a engagé est un peu à la ramasse dès qu'il s'agit de s'habiller pour faire face à la clientèle. Les conseils prodigués par le dress code litigieux relèvent en effet, le plus souvent, du bon sens ou de règles assez communément acceptées, même si c'est dans le milieu dandy. Des exemples? La cravate doit effleurer la boucle de la ceinture, c'est vrai - trop court, ça fait clown, et trop long, on s'encouble dedans. Quant aux chaussures bien entretenues, c'est une règle admise depuis que Baden-Powell a recommandé à tous les scouts du monde de regarder les chaussures de leur interlocuteur parce que leur état est révélateur - sans compter qu'en changer chaque jour permet de les ménager, Georges Flipo dixit, entre autres... D'autres choses relèvent du bon sens, par exemple l'utilisation de sous-vêtements de couleur discrète (chair?) en dessous d'un chemisier blanc. Oui, un soutien-gorge sous un chemisier blanc, ça peut se voir (de même qu'un T-Shirt blanc à motifs noirs). Et non, tout le monde, dans le tout-venant de la clientèle, n'est pas enclin à trouver ça de bon goût... et puis, Messieurs, gardons les chemisettes à manches courtes pour nos barbecues - et laissons aux fonctionnaires bernois l'art impossible de les assortir à des cravates. Depuis Georges Courteline, nous savons, n'est-ce pas (hé hé!), que la peau du bras ne doit pas toucher la doublure de la veste du costume...
Contraignant à mauvais escient, alors? Je ne le crois pas; j'ai plutôt l'impression que la banque en question, certes pressée de redorer son blason, a cherché à définir, sur une quarantaine de pages, la tenue que le personnel en contact avec la clientèle doit arborer pour assurer que tout se passe bien d'un point de vue commercial. A ce titre, rien à redire - l'établissement, soucieux de son image comme tant d'autres, a fait son travail. Tout au plus peut-on compléter, avec l'article du journal "La Liberté", que tout n'est pas forcément à la portée financière d'un employé de banque... et qu'UBS serait bien inspirée de donner, si ce n'est déjà fait, un coup de pouce financier à ses collaboratrices et collaborateurs pour qu'ils assurent au guichet, que ce soit en portant un complet Zeglia, des chaussures Church's ou une cravate Marinella.
Au sujet de Silvio Berlusconi: Adrien Candiard, L'anomalie Berlusconi, Paris, Flammarion, 2003, p. 207 ss.