C'est un billet de Wrath, consacré au copinage, qui me
lance sur ce sujet. A partir d'un exemple personnel (une attachée de presse de l'éditeur Leo Scheer semble la snober), elle conclut sur une affaire de copinage: si tu es copain avec l'attachée, ça va tout de suite mieux - et c'est déplorable. S'ensuit,
naturellement, un débat portant sur les relations pas forcément évidentes du blogueur et du journaliste avec la presse.
Faut-il forcément voir du copinage dans les relations privilégiées qu'ont les journalistes avec les attachées de presse? Je ne crois pas que la réponse soit si simple. Ou alors, c'est qu'elle
mérite d'être élargie à un univers qui dépasse largement Saint-Germain-des-Prés.
Que se passe-t-il, en effet, quand on est journaliste, critique de quelque chose, etc.?
D'un côté, le journaliste est extrêmement courtisé. Dès qu'il se pointe quelque part, on fera tout pour qu'il se sente à l'aise. Cela peut commencer par un petit café offert, ou à l'entrée
gratuite au concert sur lequel il devra écrire une pige. Pour faire bon poids, la personne chargée des relations avec la presse, ou l'amphitryon, ou le chef du projet dont il sera question, ira
plus loin: repas, échantillons des produits l'entreprise, etc. A partir de là, au journaliste de savoir ce qu'il est prêt à accepter, en conscience, sachant qu'à la sortie, il devra écrire
un article informatif, et pas un simple coup d'encensoir. Une Rolex en or massif est-elle encore acceptable? Certains journalistes estiment qu'est acceptable un cadeau qu'on peut montrer aux
collègues, voire partager avec eux (un morceau de fromage, par exemple). Cela me semble assez régulier. D'autres se fixent un montant maximal - quand ce n'est pas l'entreprise ou la convention
collective de travail qui le font à sa place.
A cette aune, le blogueur est tenu aux mêmes limites. Un livre, ce n'est pas une énorme affaire (quelques dizaines de francs), et des opérations telles que Babelio sont la preuve qu'on peut
concevoir un système où tout le monde est content. Pressentant que les blogueurs ne sauraient accepter n'importe quoi, les entreprises qui les courtisent pour vendre des objets onéreux (des
voitures ou du matériel de haute technologie, par exemple) n'offriront pas directement l'objet, mais une expérience avec celui-ci - avec tout le décorum qui peut aller avec. Là encore, au
blogueur - ou au journaliste, pour en revenir à lui - de faire la part de l'objet testé (dont il doit être question dans l'article) et de ce qui l'entoure, créé pour faire en sorte que
l'article soit plus long, plus laudatif, plus remarqué enfin.
Et les attachées de presse, dans tout ça? Certes, leur boulot est d'accompagner un livre (ou un produit) jusqu'au journaliste, que ce soit de manière impersonnelle (on envoie le livre, et si
quelqu'un en parle, tant mieux!) ou plus appuyée (on rencontre le journaliste, on le cornaque à fond - ce qui est plus facile quand on est près de lui). Mais il serait illusoire de penser que
c'est un marché à sens unique. Le journaliste aura en effet plaisir à rencontrer une attachée de presse sympa; mais il en aura encore davantage si elle lui lâche, mine de rien, des informations
qui lui permettront de se démarquer de ses confrères (à la suite de quels méandres le texte a été publié, si l'auteur fréquente les stars, s'il a une activité secrète inavouable mais quand même
publiable, etc.). Telle est aussi l'attitude du député qui parachute, mine de rien, un scoop à l'attention d'un journaliste parlementaire. Que l'attachée de presse organise une interview
entre l'auteur et le journaliste, et ce dernier sera heureux, puisqu'il pourra poser les questions qui le turlupinent et façonner son article comme il l'entend... tout en mettant l'interviewé
mieux en valeur qu'au moyen d'une brève. A partir de là, évidemment, l'attachée est aux ordres de son patron... mais le journaliste a accès aux titres des publications à venir (par exemple les
listes des rentrées littéraires), et peut donc demander à évoquer tel volume plutôt que tel autre. Enfin, on compte aussi sur sa curiosité intellectuelle.
Rien de noir ni de blanc, donc, dans les relations entre les entreprises à vocation commerciale et la presse. Mais de part et d'autre, les intérêts peuvent se rencontrer. Il ne reste qu'à faire
en sorte que ça se passe le moins mal possible. Et pour cela, les relations interpersonnelles sont un bon moyen - ça va tout de suite mieux, en effet, pour toutes les parties. Cela vaut aussi
pour d'autres professions: si un traducteur professionnel connaît personnellement ses clients, ne serait-ce que pour avoir fait une fois santé avec eux, le courant passe tout de suite beaucoup
mieux.
S'il faut appeler cela du copinage, alors je suis pour.
Photo: Flickr/Messy! "Away...