... qui suis-je? Ceux qui répondent Barack Obama auront compris à demi-mot le commentaire que Silvio Berlusconi a émis au
sujet du futur président des Etats-Unis. D'une familiarité douteuse, voire carrément grotesque, s'émeuvent certains médias. Une gaffe supplémentaire de la part du Cavaliere, admettons. Mais
plutôt que de hurler avec les loups de la presse, prenons Sua Emittenza au sérieux une minute, et réfléchissons à ce que sa petite phrase révèle. Un exercice délicat; qu'on me pardonne d'avance
d'éventuelles maladresses.
Par ces trois adjectifs, Silvio Berlusconi ne résume certes pas l'homme Barack Obama, sans doute plus riche que cela au plan humain, mais l'image réductrice que les médias ont
colportée de lui pendant des mois. Silvio Berlusconi brosse la synthèse de cette image en trois mots - c'est mieux qu'une dépêche d'agence ou qu'un SMS, et ça marche, en tout cas un
peu. Voyons pourquoi:
Jeune: l'âge de Barack Obama (47 ans) a été régulièrement rappelé par la presse. Plutôt jeune pour devenir maître du monde, diront certains. Trop jeune pour l'Académie française,
en tout cas en ce moment (Jean-Pierre Marion, qui vient d'être élu, a la soixantaine). Mais surtout, cela a servi à faire contraste avec John McCain, homme d'expérience mais aussi d'âge (72 ans),
et à présenter Barack Obama comme le premier représentant de la génération qui a suivi celle des baby-boomers.
Beau: allez... les photos de Barack Obama l'avantagent! Et les caricaturistes n'hésitent pas à en faire un Christ (voir Chapatte dans Le Temps, par exemple), soulignant ainsi le
charisme qu'on lui prête. Ce n'est pas le premier candidat charismatique proposé par le parti démocrate - qu'on pense à John Kerry, ou à Bill Clinton et son saxophone.
Bronzé: c'est sans doute l'épithète la plus douteuse de la série. Barack Obama a du reste eu la sagesse de ne pas s'adresser uniquement aux Noirs ou aux métis dans sa campagne,
ni de faire de sa couleur un argument de vente. Mais la presse, elle, s'en est joyeusement emparée, saluant l'élection historique du premier président noir (ou métis) des Etats-Unis. Alors
qu'élire un président compétent et actif n'aurait, en soi, rien d'historique: l'histoire est, en l'occurrence, le fait d'un élément totalement étranger à la maîtrise des dossiers.
En énonçant ces trois adjectifs, Silvio Berlusconi occulte, toujours à l'instar des médias, ce qui devrait être le seul critère de jugement d'un candidat qui débarque: son programme. Celui de
Barack Obama présente quelques aspects qui peuvent sembler paradoxaux: certes favorable à un engagement renforcé en faveur de l'environnement, le président élu se montre également favorable à la
peine de mort pour les crimes particulièrement révoltants, et au le retrait des troupes d'Irak... le contraire d'un va-t-en guerre, mais cela donne à craindre de nouveaux désordres, en tout
cas de l'avis de certains, encore sur place; il faudra donc soigner le travail. Barack Obama se retrouve enfin placé à la tête d'un Etat en crise profonde. Quels seront ses remèdes?
Par ailleurs, un tel résumé semble dire à Barack Obama: "Bienvenue dans la ronde des présidents people!" Qui sont-ils? On pense certes à Silvio Berlusconi, mais aussi à Nicolas Sarkozy - qui,
sans qu'il soit question d'émettre une critique à l'encontre de leur action, se font avant tout remarquer pour des éléments qui échappent à leur emploi (petites phrases, vie sentimentale) et, en
acceptant qu'une partie de leur pouvoir soit partagée ou déléguée, perdent partiellement prise sur les problèmes nationaux au profit d'autres entités plus lointaines qui ne bénéficient pas toutes
de la légitimité que la démocratie leur procure. Entouré (voire encerclé) de faucons issus des milieux économiques, faible parmi eux en tout cas jusqu'au 11 septembre 2001, Georges W.
Bush est sans doute aussi de ceux-là.
Alors, Barack Obama est-il un président people de plus? La presse a avant tout mis en avant les facettes les plus voyantes du personnage; elle serait à présent mal inspirée de montrer du doigt,
sur ce coup-ci, un homme d'Etat habitué à mettre les pieds dans le plat. Reste qu'à présent, le monde entier espère que Barack Obama ne sera pas que "jeune, beau et bronzé". Qui vivra,
verra!
Photo: Le Journal des Débats