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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Marketing viral et virus des technologies

Un bon gros thriller à la française, par un écrivain qui a bien retenu les leçons des livres accrocheurs à l'américaine: voilà ce qu'offre "Marketing viral", roman de Marin Ledun, paru cet été. Le rapport entre le titre et le contenu n'est pas évident, puisque l'auteur revisite une expression bien connue de tous les blogueurs: le marketing viral, c'est quand le consommateur se met à faire de la pub pour un produit, générant un buzz - en gros, c'est ce que je suis en train de faire pour ce roman. Or, celui-ci baptise ainsi l'alliance malsaine entre le marketing et les bio/nanotechnologies, afin de produire des virus capables de conditionner le consommateur, de le contrôler, voire de le soumettre.

Efficace, ce roman? Je l'ai dit, même s'il souffre d'une ou deux longueurs, inhérentes au domaine abordé: les explications sont fort nombreuses. Parfois, pour les faire passer, l'auteur les place dans des dialogues. Mais pas toujours... Le début de son récit peut faire penser à certaines pages de Bernard Werber, en plus rude. Du reste, le tout premier chapitre du roman est désarçonnant: alors que le prière d'insérer promet les aventures d'un professeur qui travaille à l'université de Grenoble, l'auteur fait entrer son lecteur dans son univers en montrant des cadavres en décomposition, dévorés par des hordes d'insectes, dans les forêts de la Lozère. La suite du récit, cependant, dévoilera la pertinence d'une telle attaque.

La force est ailleurs... 

La force de ce roman, cependant, réside ailleurs que dans une intrigue pourtant efficace, en dépit peut-être d'une faiblesse: que les personnages de Laure et Jézabel soient une seule et même personne, on finit par le sentir venir... Non: ce qui est costaud, ici, c'est l'exploration que l'auteur fait du monde des bio/nanotechnologies, et la réflexion que son propos sous-tend. Le choix de Grenoble comme décor, d'abord, n'est pas dû au hasard, puisqu'il se construit, dans les environs, un centre controversé consacré à ces technologies. L'auteur veut montrer le côté obscur de ces technologies; ses tenants sont donc naturellement les méchants du récit, nouvelle métaphore des aspirants au poste de maître du monde. Les expériences de Sahar, "chef des méchants", cumulent les héritages des Docteurs Folamour (irresponsabilité du savant) et Mengele (expériences dommageables sur l'humain), avec un zeste de Raël pour le côté génétique et clonage humain.

... dans certains délires...

Tout cela pour créer une transhumanité dont les fondements philosophiques s'avèrent délirants, et les implications effarantes: flicage (Jézabel a le virus dans le sang; il est d'ores et déjà possible de la suivre à la trace), développement d'un surhomme (la même Jézabel a une force extraordinaire). Le délire religieux n'est pas loin, et l'auteur en joue à fond, créant des variations autour de l'Apocalypse, du chiffre 666 et surtout du dieu phénicien Baal. L'un des personnages n'hésite pas, même, à pervertir le message biblique pour donner le beau rôle à l'idole. Quel qu'il soit, le Diable n'est pas loin...

Faut-il y voir une synthèse dénonciatrice des extrémismes religieux? Je ne trancherais pas. L'auteur prend soin de ne pas donner une religion définie à ses technologues. Donc soit il ne dénonce rien, soit il dénonce tous les extrémismes. Y compris celui de la technologie, naturellement - perçue ici comme une forme de religion particulièrement asservissante.

... et dans un trio qui marche

Face à ces méchants bien colorés, on trouve un groupe de gentils peut-être un peu convenu, où les deux sexes sont représentés, de même que les "minorités visibles" (Bahia et Alexandre, morts très tôt dans le récit, sont des étudiants venus de loin). S'en détachent cependant, au fil des morts violentes, quelques profils bien typés - ceux qui vivent le plus longtemps, bien sûr. Il y a là, en particulier, le professeur Nathan, athée (face aux bricoleurs de la religion...), figure de personnage falot que les circonstances conduisent à se surpasser, et Laure, sorte de Lara Croft, transfuge des technologies, désireuse de reprendre possession de sa vie et, finalement, de devenir une femme accomplie, porteuse d'un enfant qu'elle a désiré et non de ceux qu'elle a dû mettre au monde contre son gré à des fins d'expérimentation. Un troisième personnage vient s'y greffer, principe féminin actif, en la personne de Camille. Le trio fonctionne grâce à l'adversité, mais aussi à un jeu de sentiments ambigu: naturellement, Nathan aime Laure, mais Camille, on le perçoit en filigrane, la vise également. Le troisième côté du triangle sentimental est d'une nature différente, puisque Nathan est parent de Camille.

... après tout ça, je ne peux que vous souhaiter une bonne lecture! C'est idéal pour les vacances, si les vôtres sont encore devant vous. Et pour un thriller, ça fait quand même réfléchir un peu sur les techniques et technologies qui nous entourent, et sur leurs dérives possibles.

Marin Ledun, Marketing viral, Vauvert, Au Diable Vauvert, 2008.
L'auteur sur le web: http://marin-ledun.pourpres.net
 

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S
Je vous rejoins globalement sur ton commentaire, pour moi c’est une des meilleurs moments de lecture de l’année. <br /> Voir l’interview de l’auteur : http://silouane.blog.lemonde.fr/2008/07/15/interview-de-marin-ledun/
D
<br /> Je m'en vais aller lire cela! Merci du tuyau, et merci de votre visite.<br /> <br /> <br />
L
Je n'ai pas non plus trouvé le style lourd mais assez fluide. J'aime les thrillers qui donnent à réfléchir et qui nous donnent aussi l'opportunité de nous creuser la cervelle. Lecture et connaissance forment un bon duo !
D
<br /> Il m'a fait passer de bons moments pendant mes vacances, celui-ci! Et effectivement, il pousse la réflexion très loin, ce qui constitue sa grande force.<br /> <br /> <br />
L
Très bien, cela changera des psychopathes américains dont j'ai soupé !
D
<br /> ... des psychopathes européens? ;-) La grande force de ce roman reste l'exploitation des dérives des nano/biotechnologies; à ce titre, il est recommandable. Mais (ou: en plus), il se dévore comme<br /> un thriller américain!<br /> <br /> <br />
M
J'ai publié un essai en 2005, tiré de ma thèse de doctorat, un truc assez indigeste intitulé La démocratie assistée par ordinateur, qui porte sur une analyse socio des nouvelles technologies dans le champ politique (vote électronique, nouvelles formes de communication politique, etc.). J'y parle longuement des phénomènes idéologiques liés à Internet et de certains aspects du contrôle social (manipulation, déformation et distorsion des idées, etc.), mais j'insiste beaucoup sur les logiques de marketisation et de marchandisation du politique. Cela reste un exercice très universitaire. L'ouvrage est, je crois, encore disponible aux éditions Connaissances et Savoir. J'espère répondre à votre question.<br /> Amicalement,<br /> Marin
D
<br /> Je vais le garder en mémoire: je suis actuellement un cours de marketing public, et j'ai déjà eu l'occasion d'aborder ce genre de thématique (l'e-démocratie, etc.) l'an dernier dans un cours<br /> similaire. Cela pourrait donc m'intéresser, pour ma culture générale. Merci de votre tuyau, et de votre visite!<br /> <br /> <br />
T
Je crois que c'est le genre de livres qui ne me plairait pas même si tu en parles tres bien. Cependant je voulais en savoir plus sur l'auteur mais le lien ne se fait pas. Je ne sais pas si c'est momentané ou si c'est mon ordi...
D
<br /> <br /> Pas de souci: des goûts et des couleurs... Je suis à présent dans Annie Saumont, et ça ne m'emballe guère.<br /> <br /> Puor le site de M. Ledun, essaie ce lien: http://polars.pourpres.net/?aff-blog-per_379 Chez moi, le lien que j'ai fourni<br /> fonctionnait hier soir encore... Ah, les mystères du Web!<br /> <br /> <br /> <br />