Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Je m'étais arrêté sur un
article que Laurent Wolf a fait paraître dans "Le Temps" du 30 août dernier, sous le titre "La vie de toute la planète en direct des librairies". Il y aborde la question des traductions publiées
dans le contexte de la rentrée littéraire, et commence presque par s'excuser: si la rentrée propose 210 traductions contre 466 livres écrits directement en français, le cahier culturel du jour
commente 13 traductions et huit livres en français... soit une proportion non respectée.
Non respectée? L'homme considère que l'option retenue consistant à parler davantage des traductions que des romans en français se justifie parfaitement. Son argumentation est double: d'une part,
l'édition en français produit pas mal de "déchets", donc de romans d'auteurs sans avenir, créateurs d'un, deux, trois textes, ainsi que de textes plus faibles d'auteurs reconnus, que l'éditeur
n'aura pas suffisamment soignés. D'autre part, le texte traduit a en quelque sorte été sélectionné deux fois, la première par l'éditeur en langue originale, la seconde par l'éditeur qui défend sa
traduction. Cela, pour le bénéfice d'un lecteur devenu voyageur en chambre.
A cela, cependant, j'aimerais répliquer, sur deux fronts.
Le premier tient au caractère "traître" du traducteur - un cliché qui a la vie dure, mais qu'on pourrait opposer à l'auteur du papier. Certes, le traducteur littéraire est tenu d'aller chercher
les doubles, triples, quadruples fonds des textes sur lesquels il travaille. Mais est-il toujours en mesure de le faire? Le fait-il vraiment sur des textes a priori plus superficiels? Aborde-t-il
"Le Journal de Bridget Jones" dans le même état d'esprit que "Siddharta"? "Le Journal" pourrait d'ailleurs lui poser un autre problème, celui de la transposition d'un humour pas toujours
traduisible. Doit-on remplacer un gag plat étranger par un gag plat national? Rit-on des mêmes choses ici et ailleurs? Faut-il laisser perdre certains éléments, façon "Lost In
Translation"? Afin de retrouver tout le sel qu'un auteur est capable de mettre dans un texte, certains lecteurs avertis et polyglottes préfèrent s'attaquer aux versions originales. D'autres,
par déformation professionnelle, décèlent les faiblesses des livres traduits, ce qui les rend rebutants à leurs yeux.
Et ce qui est irremplaçable dans le texte d'origine, c'est justement... la plume de l'auteur, pure, non filtrée par un truchement, un intermédiaire qui, finalement, fait des choix à la place
du lecteur. Or, pour reprendre un cliché, le style de l'auteur, "c'est l'homme". Pour tout auteur à ambitions littéraires, francophone ou autre, le style est crucial; on dit même que l'écrivain
en français lui accorde une importance supérieure à la moyenne. Sera-t-il respecté ou recréé par le traducteur, dans toute la mesure souhaitable? Sans compter que le style, élément
formel clé, constitue le complément indissociable du fond, l'un servant l'autre, le portant littéralement.
Pour le critique littéraire (puisqu'on parle de choix d'un responsable culturel dans un journal), cela revient à parler d'un livre dont il ignore l'un des éléments constitutifs majeurs... Il se
retrouve obligé, souvent, soit de se rabattre sur des impressions, soit d'évoquer les thèmes abordés par l'ouvrage, voire de faire dans la paraphrase. Bref, de devoir changer d'angle, au risque
de quitter le domaine littéraire le plus strict.
Faut-il donc vraiment se priver de cela? Je ne proposerai pas de publier, dans une presse francophone s'adressant à un public francophone, des critiques d'ouvrages écrites sur la base des
versions originales. Mais pourquoi ne pas rétablir un peu l'équilibre vers davantage de textes produits en français, qu'ils soient édités par le plus grand des éditeurs germanopratins ou par le
plus discret des artisans de Suisse? Ceux-ci recèlent de nombreuses perles et découvertes aussi.
Article disponible sur http://www.letemps.ch... contre paiement, hélas!
Photo: flickr.com/banlon1964