Premier roman, lu par Audrey,
La Lettrine, Le Golb, Marie Lebrun.
Le blog de l'auteur: http://www.ohmydahlia.com/blog
Le blog de l'éditeur: http://www.leoscheer.com/blog
... il est mieux que ça! Premier roman de Dahlia, "Adore" a paru aux éditions Leo Scheer en 2009, dans sa collection M@nuscrits, spécialisée dans la "rétropublication" d'ouvrages préalablement parus sur une partie dédiée du site Internet de l'éditeur. Ce premier roman est aussi l'une des premières rétropublications de la collection, qui vise à cerner les tendances des écritures émergeant d'Internet. C'est donc à double titre qu'"Adore" est intéressant... et plus que cela.
L'auteur propose ici une manière de huis clos où l'on voit un homme, Verlaine, fermement attaché à un fauteil d'osier, face à la femme qu'il a larguée par SMS, Anabel. Alors que Verlaine, bâillonné, ne peut s'exprimer, Anabel dit ses quatre vérités à son vis-à-vis. Méfiance face à la femme qu'on a quittée trop légèrement, voudrait-on dire!
Un univers tendu...
La mise en mots de cette histoire qui commence comme un combat amoureux et s'achève sur une réconciliation rassérénée (une évolution qui rappelle certains mythes antiques) est pertinente dès le premier chapitre. Certes, on peut se dire que la migraine du personnage de Verlaine est annoncée de manière abrupte; mais elle permet à l'auteur de dépeindre une prise de conscience progressive du corps de l'amant attaché. Puis, à la manière d'un zoom arrière, de planter le décor... et le second personnage de son récit, qui apparaît en fin de chapitre. D'un bout à l'autre de ces quelques pages, tout est en place pour créer la tension, la polarisation du récit.
Pour souligner cette tension, l'auteur choisit la forme du huis clos. Un huis clos où l'anxiété est certes présente dans l'esprit d'un homme qui ne sait pas ce qui lui arrive, mais qui est encore soulignée par le choix de l'auteur de camper son récit en plein été. Ainsi apparaissent chaleur difficile à supporter, transpiration, soif, etc.
... mais où il est permis de respirer
L'auteur sait cependant oxygéner son lecteur. Certes, tout se passe en un lieu confiné. Mais le récit prévoit un jeu de "rewinds" qui permettent l'évasion: ils constituent autant de flash-back relatant, par éclats, les huit semaines qu'a duré la relation entre Anabel et Verlaine: rencontre dans une librairie, rendez-vous en fin d'après-midi, soumission totale d'Anabel à Verlaine, présenté comme un seigneur sadique, peut-être phallocrate, en tout cas désireux de dominer - en particulier de dominer Anabel, qu'il trouve, non sans un paternalisme condescendant, "adorable".
Adorable? Le titre du roman, "Adore", peut dès lors être perçu comme un impératif adressé par Anabel à Verlaine: "Adore-moi, puisque tu me trouves si adorable!" Impératif comminatoire, souligné par la situation de contrainte dans laquelle est placé Verlaine, qui signifie en outre un retournement de situation, puisque c'est, durant tout le récit, Anabel qui domine Verlaine. Le retournement est symbolisé par le jeu des sièges: Verlaine est attaché au fauteuil d'osier inconfortable style Emmanuelle sur lequel il prie ses invités de s'asseoir pour les mettre mal à l'aise (une manière de test), alors que lui s'arroge le fauteuil de cuir, plus confortable.
De son côté, Anabel est un personnage complexe. Certes, elle a été quittée de manière inélégante, ce qui devrait la rendre sympathique a priori. Son comportement déterminé qui confine au harcèlement, même si elle l'exerce face à un homme finalement lâche, lui fait cependant perdre de son capital sympathie. L'auteur explore par ailleurs avec elles les arcanes du plaisir féminin et de la jouissance de la soumission. Cela, sans oublier ses humeurs indigo, son horreur des couchers de soleil de de leurs couleurs, ni sa difficulté à assumer son rôle intenable de femme qui dit franchement à l'autre ce qu'elle pense.
L'apaisement vient cependant petit à petit - le verre d'eau offert par Anabel à Verlaine prend des allures de réconciliation, apparente seulement. L'auteur excelle ainsi à résoudre une tension d'hostilité en le transformant en un lien affectif différent, plus naturel que celui, sophistiqué, qui liait les deux protagonistes avant leur rupture. Ainsi évolue un récit très personnel, complexe mais humain, si humain.
Dahlia, Adore, Paris, Leo Scheer/M@nuscrits, 2009.