Ah, cette Suisse qu'on adore taquiner! Son attitude de première de classe qui attire les critiques de toutes parts... des critiques parfois justifiées, mais qui méritent aussi des nuances. Après une carrière de rédacteur spécialisé dans l'hôtellerie, José Seydoux offre, avec "Incohérences", un essai qui jette un regard critique sur ce qu'il y a derrière la façade "propre en ordre" de la Suisse.
Sous-titré "La Suisse... paradis perdu?", "Incohérences" est construit en dix-huit chapitres qui, chacun, abordent des aspects qui font débat. Ces aspects sont d'une grande diversité: il est question de politique des transports, de paix des religions, de guerre des langues, d'abstentionnisme lors des scrutins, de tourisme et d'accueil, d'égalité homme/femme (je me suis senti visé par une remarque de l'auteur à ce sujet...) et même de grand âge. L'auteur aborde ces aspects de manière descriptive, avec une critique toute personnelle. Il partage ses impressions face aux évolutions d'aujourd'hui: l'anglais qui s'impose dans la publicité et la langue, le journalisme qui n'est plus ce qu'il était, la disparition des des bistrots de village et de leur rôle social.
Pour donner de la chair à un essai qui pourrait paraître sec sans cela, l'auteur a créé les personnages de Carine et Patrick, représentants du ménage suisse moyen, avec deux enfants. Certes, l'auteur aurait pu donner davantage encore de corps à ce tandem. Mais ses interventions, développées sous la forme de dialogues très synthétiques et pertinents, assaisonnés s'il le faut d'un brin de mauvaise foi, illustrent les incohérences et difficultés qui se font jour en Suisse.
Incohérences... le mot fait figure de leitmotiv dans le livre de José Seydoux. Celles-ci sont présentées comme le constat de l'auteur, qui offre donc un livre tout à fait personnel qui, par moments, expose des convictions personnelles autant que des faits objectifs. Face à ces choses vues et ressenties, le lecteur aurait aimé, parfois, avoir face à lui un peu plus d'analyse et d'enquête, des chiffres peut-être, ou alors les arguments d'interlocuteurs qui ne pensent pas comme l'auteur. Et qui, c'est certain, s'accommodent tout à fait, voire assument telle ou telle incohérence. C'est humain, après tout!
Il est possible de voir dans "Incohérences" un pendant au "Bienvenue au Paradis" de la journaliste française Marie Maurisse, que l'excellente blogueuse Kantu (de "Y'a pas le feu au lac") a évoqué de la belle manière. Si le regard de Marie Maurisse est celui, extérieur, d'une expatriée, celui de José Seydoux vient de l'intérieur. José Seydoux offre un essai intéressant, même si on l'aurait aimé parfois plus fouillé, ou - pourquoi pas - plus distant par rapport à des idées qu'on a beaucoup vues. Le lecteur aimera réfléchir avec ou contre l'auteur, cependant, en vue de se forger sa propre idée en fonction de ce qu'il a lui-même vécu ou connu. Rédigé d'une plume alerte dans la ligne de "Souriez... on vous ressuscite!", construit comme la vision à la fois argumentée et personnelle d'un Suisse sur la Suisse, "Incohérences" s'avère une séduisante invitation au dialogue.
José Seydoux, Incohérences, Hauterive, Nouvelles éditions, 2016.