Un septuagénaire se met dialoguer avec l'adolescent qu'il était. Qui n'aurait envie d'oser cette démarche, qui crée des résonances d'un bout à l'autre de la vie? L'écrivain José Seydoux, Fribourgeois de naissance, qui a fait carrière comme rédacteur spécialiste du monde hôtelier, a fait le pas. Il a retrouvé des écrits datant de son adolescence et, du haut de sa septantaine, a choisi de leur répondre. "Souriez... on vous ressuscite!" est donc un livre atypique que l'on peut voir comme un dialogue entre deux hommes qui n'en sont qu'un seul: José Seydoux à quinze ans et José Seydoux à septante ans.
Des idéaux bien sages
Dès les premières pages, le lecteur est frappé par une certaine maturité, dont a fait preuve l'auteur lorsqu'il avait quinze ans. Adolescent, il est tout à fait en mesure de développer une certaine vision du monde - preuves en sont les textes rédigés dans les années 1950, que l'auteur présente sans modifications. Il lui manque certes parfois la nuance, le vécu; certains chapitres se ressentent d'une généralisation facile qui peut choquer aujourd'hui. Mais au fil des pages, le rêve, les idéaux sont toujours présents.
Sont-ils exceptionnels? Force est de constater que les ambitions de l'auteur restent assez conventionnelles. "Suissaudes", a-t-on envie de dire, en utilisant un néologisme inventé par d'autres: si les révoltes exprimées par le petit jeune sont légitimes, elles s'inscrivent dans le cadre sage, pour ne pas dire conformiste, d'une Suisse épargnée par deux guerres. De ce point de vue, l'auteur est le produit de son époque, une époque aux apparences ouatées: s'il est certes évoqué, Mai 68 paraît bien lointain sous la plume de l'auteur - qu'il soit ado ou grand-père.
Raconte encore, grand-père!
Grand-père, justement... du haut de ses quelque septante ans, l'auteur se propose de répondre directement à l'adolescent qu'il était, et c'est là que réside l'aspect le plus original de "Souriez... on vous ressuscite!". Ce retour n'est pas exempt de critiques sur le passé, en particulier sur une école à l'ancienne dont l'auteur ne dit rien de bon. Le lecteur pourra aussi ressentir un malaise face à une certaine manière, outrancière, de mettre les femmes sur un piédestal en suggérant qu'elles sont supérieures à l'homme.
Mais ce n'est qu'un élément d'un dialogue plus vaste qui touche de nombreux aspects de la vie. L'auteur n'hésite pas se faire moraliste ou théoricien, quitte à interpeller le lecteur, voire à lui faire crier qu'il n'est pas d'accord: est-on vraiment conditionné trop vite, aujourd'hui, à prendre un métier et une situation? N'y a-t-il pas, au contraire, des possibilités inouïes pour en changer? Et surtout, l'adolescence ne tend-elle pas à se prolonger au-delà de la vingtaine? L'auteur ouvre cette porte, en utilisant le terme d'"adulescent", mais ne l'exploite guère: pour lui, les jeunes Suisses sont décidément aiguillés trop vite.
Etait-il dès lors indispensable de publier cet ouvrage? Celui-ci est le fruit d'une réflexion personnelle et d'une vision du monde qui n'appartient qu'à l'auteur. Il n'est certes pas sûr que le lecteur entre dans un jeu fort personnel. Mais c'est possible: en héritier de Jean d'Ormesson, conscient des question d'orientation clientèle comme peut l'être un homme dont la carrière a été proche de l'hôtellerie, l'auteur, du haut de ses septante ans, a choisi, et c'est heureux, d'adopter un ton léger où l'optimisme domine lorsqu'il choisit de dialoguer avec l'adolescent qu'il a été - et de se replonger dans sa propre jeunesse d'auteur et d'être humain. Au fond, "Souriez... on vous ressuscite!", ce sont des souvenirs personnels, parfois proches de ceux de tout un chacun, mis en forme de manière originale et forte.
José Seydoux, Souriez... on vous ressuscite!, Hauterive, Attinger, 2014.