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9 juillet 2016 6 09 /07 /juillet /2016 19:25

Bied FiersLu par Antigone, Charybde 2, Clara, Tilly Bayard-Richard.

 

Quelle antiphrase que le titre "Nous sommes jeunes et fiers"! Avec son deuxième roman, Solange Bied-Charreton annonce la couleur: s'il sera question de jeunesse, la fierté va en prendre un coup. Surtout, la romancière, également journaliste, va creuser dans ce livre le sillon qu'elle a ouvert dans "Enjoy". Autant dire que les lecteurs qui la suivent vont se retrouver en pays connu: il sera question d'une radiographie d'une certaine jeunesse, parisienne sans doute, aisée mais dessillée et désabusée, pour ne pas dire nihiliste. Si un doute devait exister, l'auteure crée elle-même le lien entre son premier et son deuxième roman en y glissant le personnage désormais récurrent de Théodore R. Zami. Cela dit, l'écriture à la troisième personne ajoute un soupçon d'ironie par rapport à "Enjoy". Et là, on aime.

 

La romancière installe le couple formé d'Ivan et Noémie. Lui est mannequin, elle est enseignante. Tranquillement, le premier chapitre installe d'emblée l'idée que tout ne va pas pour le mieux, et la romancière en profite pour indiquer les limites d'un certain politiquement correct: une phrase peut briser l'ambiance d'une soirée et, plus largement, détruire une amitié. Au fil du roman, cette remise en question du politiquement correct prend également la forme du rejet d'un projet d'école imaginé par Noémie. Le lecteur comprend que si les idées nouvelles sont bienvenues, elles doivent rester dans les clous et ne pas pécher par un excès d'audace. Difficile, dès lors, de se positionner "contre l'époque": comme le dit l'auteure, en une excellente formule (p. 69), "certaines laisses étaient invisibles".

 

Ces "laisses", constitutives de la prison de l'humain actuel, naissent dans les racines de la civilisation européenne, dont l'évocation occupe le début de "Nous sommes jeunes et fiers". Ces racines sont un héritage perçu comme encombrant, fatigant, dont on ne sait pas forcément quoi faire aujourd'hui. Dès lors, le lecteur se trouve en présence de personnages qui peinent à dépasser l'idée d'avoir une sécurité professionnelle. L'enseignante Noémie l'a acquise, certes; cela, au contraire de son compagnon Ivan, dont le métier est sujet aux tracas de l'âge. C'est donc sur ce maillon faible que le roman va pivoter, éclairant son socle d'idées d'une manière nouvelle.

 

En effet, Ivan va subir un accident. L'auteure jette dès lors un nouveau regard sur ce personnage, désormais inapte à exercer son métier. Elle dessine dès lors un lien indiscutable, souligné par l'inévitable "Il voyagea. Il connut...", avec le Frédéric Moreau de "L'Education sentimentale" de Gustave Flaubert. Ivan est-il pour autant le pendant du personnage velléitaire, incapable d'entrer dans l'histoire, de Gustave Flaubert? Certes non, puisqu'il va chercher sa voie malgré l'adversité. Tout au plus pourrait-on dire qu'il "vit sa vie par procuration", faute de mieux, comme le dirait un certain Jean-Jacques Goldman.

 

Reste que l'idée voyageuse de Flaubert conduit les personnages à Penarak, une utopie lointaine avec tout ce qu'elle peut avoir d'étouffant, on le sait au moins depuis la Thélème de François Rabelais. Cela dit, c'est plutôt aux sectes et aux émissions de téléréalité contraignantes de type "Koh-Lanta" que l'on pense ici. Toute d'ironie, la romancière dégomme le mythe rebattu du bon sauvage, mais aussi ceux qui l'entretiennent aujourd'hui pour culpabiliser l'homme occidental blanc. Il est permis de se demander ici si l'auteure dénonce ici un certain racisme bienveillant... de la part de qui?

 

"Nous sommes jeunes et fiers" est un roman du dérisoire de notre époque, marquée par l'envie de festif. Publié en 2014, son actualité s'avère glaçante à l'heure où seule l'occupation militante des terrasses paraît une arme, une fierté même, contre le terrorisme tel qu'il a sévi le 13 novembre 2015 à Paris. Dans une société désarmée, largement sécularisée, que dire à ceux qui se heurtent à ses limites, à ceux qui, aspirant à mieux, visent une transcendance ou, au moins, une discipline? "Il ne se passerait rien"... telle est la terrible réponse qui tombe, comme un couperet, en fin de roman, suggérant qu'il n'existe aucune voie autre que celle que la société, consumériste et conformiste, assigne aux jeunes.

 

Solange Bied-Charreton, Nous sommes jeunes et fiers, Paris, Stock. 2014.

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30 juin 2016 4 30 /06 /juin /2016 20:16

Bied EnjoyLu par Céleste, Clara, Jérôme Leroy, Nadège, Shallow But Not Too, Tilly.

Défi Premier roman.

 

Malaise dans la société des écrans... c'est là que tout commence dans "Enjoy", premier roman de Solange Bied-Charreton, blogueuse parisienne devenue journaliste. "Enjoy" met en scène un jeune adulte, Charles Valérien, aux prises avec les servitudes de son existence de jeune collaborateur taillable et corvéable à merci et les impératifs d'un réseau social branché, ShowYou.

 

Narcissime et servitude

ShowYou? C'est le réseau où il faut être. Une fois devenue membre, une personne sera tenue d'y publier régulièrement des informations à partager, sous peine d'exclusion - la honte suprême, pour quelque chose de bien dérisoire finalement. Charles Valérien a trouvé un sujet: son installation dans son nouvel appartement, plutôt bien situé à Paris. Si l'impératif de publier régulièrement suggère la nécessité morale de tenir un site Internet ou un blog à jour, la règle du bannissement, irrévocable, indique carrément un esclavage moderne, au profit du Big Data sans doute.

 

Le réseau social est certes inventé, mais elle le construit adroitement en empruntant des traits marquants à un certain nombre de travers du Web, que les inconditionnels s'amuseront à reconnaître. A travers ShowYou, elle illustre parfaitement le narcissisme consistant à exhiber à la face du monde des tranches de vie dérisoires.

 

Le nom du réseau social sonne anglais, et le titre est aussi un mot anglais bien connu. La langue anglaise est aussi celle des affaires, d'un certain univers du travail dont l'auteure dessine la férocité. On croira volontiers que la présence discrète de l'anglais dans "Enjoy" est aussi une manière de dire la modernité.

 

Malaise dans la modernité

Le titre a d'ailleurs tout d'une antithèse: la jeunesse peut-elle vraiment savourer le monde que l'auteure met en scène sans fard? Hors des réseaux sociaux, l'auteure dessine le malaise d'une certaine génération, à l'image de la mentalité d'une certaine bourgeoisie du 16e arrondissement parisien.

 

Cela l'amène à retracer la reconstruction pas toujours évidente d'un lien entre Charles et son père, allant creuser dans le passé de ces personnages pour leur donner de l'épaisseur. Elle mentionne la panique après les études, contredite par l'envie de tracer sa route quand même, et aussi la prise de distance avec la religion, à l'image du catholicisme. Mais pour quoi? L'auteure n'oublie pas de mentionner les impasses de la société d'aujourd'hui.

 

Charles Valérien lui-même peine à se créer des relations. L'histoire sentimentale vécue avec Anne-Laure n'est pas sans houles, et il ne connaît guère ses voisins - qu'il regarde cependant par la fenêtre, en bon voyeur un peu lâche. Et quand les genres se mélangent, quand la vie professionnelle empiète sur la vie en ligne sur ShowYou, la servitude s'alourdit encore. Il n'est qu'à voir l'attitude de Théo Zami, qui n'est pas exactement un... z'ami.

 

Rédigé à la première personne, "Enjoy" propose un personnage de jeune homme crédible. Il faut un peu de temps pour s'habituer à l'écriture de Solange Bied-Charreton, dense, déclinée en longs paragraphes presque étouffants où les dialogues sont très rares. Mais une fois qu'il est dedans, le lecteur va apprécier à sa juste valeur une plume ravageuse qui manie vigoureusement l'ironie pour dessiner une société plutôt nihiliste. Un aspect qu'elle continuera de tracer dans son deuxième roman, "Nous sommes jeunes et fiers".

 

Solange Bied-Charreton, Enjoy, Paris, Stock, 2012.

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