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1 septembre 2013 7 01 /09 /septembre /2013 10:42

hebergeur imageLu par Jean-Yves Olivier, Pambazuka, Pierre Malet de Tchadoscopie.

 

L'économiste zambienne Dambisa Moyo compte parmi les cent personnes les plus influentes du monde, selon le périodique TIME. Paru en 2009 et traduit en français la même année, son ouvrage "L'Aide fatale" remet en question les politiques d'aide. Cet ouvrage paraît plus de vingt ans après "L'aide qui tue" de Brigitte Erler, dont il a été question céans il y a quelques années; le lecteur constatera cependant que même si l'approche est différente, les deux ouvrages ont de quoi interpeller, sur une thématique similaire. Avec une conclusion semblable: il faut mettre fin à l'aide.

 

Alors que Brigitte Erler, ancienne coopérante devenue politicienne d'obédience socialiste, parlait de façon très concrète de choses observées au Bangladesh, Dambisa Moyo propose une approche plus théorique et analytique, plus éloignée du terrain aussi. L'approche de "L'Aide fatale", livre au titre en forme d'oxymore, se fonde sur une définition précise de ce qu'elle appelle "l'aide" tout au long de son ouvrage: "En gros il existe trois types d'aide: l'aide humanitaire ou d'urgence, qui se mobilise et se prodigue pour répondre à des catastrophes et des calamités [...], l'aide "charitable" fournie par des organisations de bienfaisance à des institutions ou des individus sur le terrain, et l'aide systématique - c'est-à-dire les paiements effectués directement auprès des gouvernements sous la forme de transferts de gouvernements à gouvernement (elle est appelée aide bilatérale) ou de transferts par l'intermédiaire d'institutions comme la Banque mondiale (elle est appelée alors aide multilatérale." C'est avant tout le troisième type d'aide que l'auteur s'attache à critiquer ici, se fondant sur une idée qui, selon elle, en est la source: la bonne conscience que les Etats riches souhaitent se donner en donnant.

 

Dès lors, l'auteur argumente, d'un point de vue macro et micro-économique. Elle signale ce qui ne va pas dans le cadre d'un réquisitoire bien construit: mal contrôlée, non assortie d'objectifs, l'aide ne va pas à celles et ceux qui en ont besoin; elle alimente la corruption, peut détruire ce qui fonctionne, génère un afflux pas forcément souhaitable de devises étrangères dans un pays (à la façon du "syndrome néerlandais", qui rappelle que le florin a été déstabilisé par l'afflux de devises étrangères aux Pays-Bas, résultant de la découverte de pétrole dans les eaux dont ce pays est responsable). L'auteur suggère que certains pays sont devenus dépendants de cette aide, reconduite facilement, en sont devenus dépendants comme un drogué l'est de son produit - et finit par dissuader le pays bénéficiaire de chercher d'autres sources de revenus plus propres à susciter un développement solide à long terme. Le lecteur apprend même que l'aide (plusieurs milliers de milliards de dollars par an quand même, puisés dans la poche des contribuables des pays riches que nous sommes) fait "reculer" les pays qui la reçoivent.

 

Une approche théorique? Pas seulement. Dans un souci de s'adresser au grand public, l'auteur intéresse son lectorat en personnalisant et en illustrant son propos. Il y a avant tout la figure récurrente de l'entrepreneur qui produit des moustiquaires et qui voit son affaire crever parce qu'une star (genre Bob Geldof ou Bono) a décidé d'offrir gratuitement cent mille moustiquaires aux gens qui en ont besoin, mettant sur la paille les collaborateurs de la petite entreprise dudit producteur, affamant les personnes qui dépendent du revenu tiré de la production de moustiquaires et ruinant, in fine, ce segment commercial. Bel exemple d'aide délétère, que l'auteur fait ressortir à intervalles réguliers pour illustrer certaines situations. Et puis, il y a le cas du pays à la fois fictif de Dongo, qu'elle présente comme typique et, à ce titre, susceptible de rechercher des alternatives à une aide qui pourrait, d'ailleurs, se tarir bientôt: les pays donateurs ont, aujourd'hui, d'autres soucis que le salut de l'Afrique, ce que l'auteur signale. Enfin, il y a l'expérience personnelle de l'auteur, qui ouvre ce livre et se présente comme la source de toute réflexion.

 

C'est que cet essai, construit en deux parties, émet plusieurs pistes alternatives de développement après avoir posé un diagnostic sévère. Celles-ci sont souvent inspirées d'un certain libéralisme, et aussi de l'expérience, présentée comme réussie, des pays d'Asie, de la Russie, etc. (il y aurait des nuances à apporter, le tableau est parfois un brin idyllique à force d'être schématique): émission d'obligations, jeu des investissements directs à l'étranger, etc. L'auteur va jusqu'à développer le cas des Chinois qui investissent en Afrique, présentant ceux-ci comme des amis. Il est permis d'en débattre: la notion de "Chinafrique" n'est pas loin, avec tout ce qu'elle peut avoir de peu attrayant; cela dit, l'auteur prend la peine de répondre point par point aux principaux arguments de ses détracteurs. Elle rappelle aussi que pour que l'Afrique aux mille situations diverses s'en sorte, il faut que toutes les parties concernées jouent le jeu. Enfin, elle ne cache pas que des efforts seront nécessaires - et, filant la métaphore de la substance addictive, n'hésite pas parler de "sevrage de l'aide" pour les pays qui en dépendent.

 

Le livre reste donc accessible. Parfois un brin schématique, il se veut un réquisitoire solide contre un système d'aide qui, selon son auteur, va à l'encontre de ses objectifs avoués; il offre par ailleurs des pistes, présentées comme idéales, pour que ça aille mieux. L'historien britannique Niall Ferguson, préfacier, conclut: "Il s'agit ici d'un point de vue africain sur les problèmes économiques de l'Afrique. Le livre qui en résulte réussit à être à la fois réaliste et généreux. Pour ma part je ne souhaite qu'une chose en le refermant: que l'on nous donne plus de Moyo et moins de Bono." La force de "L'Aide fatale" est de ne pas se contenter de dénoncer, mais aussi de proposer. Et, en dernier ressort, d'ouvrir le débat sur un système qui a atteint ses limites.

 

Dambisa Moyo, L'aide fatale, Paris, JC Lattès, 2009, préface de Niall Ferguson, traduction française d'André Zavriev.

 

 

 

 

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