"A Monsieur Daniel Fattore, dans l'espoir que ce livre ne le scandalisera pas... trop", m'écrivait
Malaren en dédicace à son roman "Le Sacre des impostures", acquis le 17 octobre à la Fête du Livre de Saint-Etienne. Le bandeau qui enserre ce roman aux allures mystérieuses, publié par un petit
éditeur niçois (FEEL), interroge: "Faut-il interdire ce livre?" Et le prière d'insérer va plus loin en demandant s'il est permis de relater les faits que contient ce roman. Nous voilà
prévenus: l'auteur se pose en lecteur non conformiste de l'histoire contemporaine, plus précisément de celle de la Seconde guerre mondiale, entre collaborateurs et résistants.
On l'imagine, le sujet peut être délicat. L'auteur prend le parti, risqué, de monter un roman des grandes familles, saga qui relate la destinée presque maudite des Valfort et de leur château,
situé quelque part entre Lyon, Roanne et Saint-Etienne. On pense rapidement aux "Aristocrates" de Michel de Saint-Pierre... Dès le départ, le lecteur est plongé dans la description de la
propriété de Valfort, enjeu du récit et lieu d'Histoire, dans une entrée en matière plutôt lente qui invite le lecteur à se laisser intriguer. Face à eux, on trouve les communistes,
présentés comme détestables, Despréaux en tête...
Vision manichéenne? On peut le craindre: comme dit, les communistes n'ont pas le beau rôle. Mais la famille Valfort n'est pas dépourvue de tout reproche, entre alliances, mésalliances et pièces
indignes. La subtilité de l'affaire, et son aspect potentiellement sensible, est ailleurs: regroupant d'anciens combattants de la Grande Guerre, le camp des Valfort passe beaucoup de temps à
discourir de politique. Et qu'est-ce qu'on trouve là? Un facteur de pianos juif, un résistant pétainiste, une noblesse ancienne dont le point commun est une vision très critique de Charles de
Gaulle, perçu comme un planqué à Londres, volontiers surnommé "L'Asperge". Pétain, de son côté, est vu comme un chef faible, collaborateur pour protéger la France (certains personnages
croient même, jusqu'au bout, à la pureté de ses intentions), alors que Laval fait figure de collabo zélé. L'univers religieux catholique est également présent: prêtres héroïques, encyclique
"Mit brennender Sorge", etc. On attend Pie XII, c'est Pie XI qui est évoqué ainsi.
Il conviendrait certes d'analyser à fond les faits parfois méconnus que l'auteur relate ou évoque, tels le non-transfert de Pétain en Algérie, du côté des Américains, qui lui eût valu la gloire
car il aurait signifié un refus de combattre du côté de l'occupant allemand. La force de ce roman réside cependant dans les prises de position que les Valfort et affiliés, résistants de
la première heure, responsables très tôt d'un réseau qui fait passer les Juifs en Suisse via le Léman, adoptent face aux faits et aux idées. L'auteur fait preuve ici d'une grande liberté et
essaie d'adopter le point de vue de ses personnages, non filtré par tout ce que la recherche historique et le poids des idées reçues ont produit depuis la fin de la guerre. Le commentaire se fait
au jour le jour ou presque, avec les a priori du moment, comme si chacun lisait et commentait ce qu'il a dans le journal.
La Résistance est aussi vue de manière nuancée, loin de tout héroïsme. Les Valfort ne se vantent guère de leur réseau, qu'ils font fonctionner avec la discrétion voulue; quant aux résistants les
plus bruyants, maquisards de la dernière heure (après l'instauration du Service du travail obligatoire, présenté comme un élément déclencheur d'un engagement massif de jeunes gens) prompts à
"voler au secours de la victoire" et à faire une justice de ruffians, ils ne recueillent pas l'adhésion des personnages, de par leurs actes - du terrorisme? Parfois, c'est un peu de cela qu'il
s'agit dans ce roman. Est-ce la règle ou l'exception? De telles questions sont impossibles à poser aujourd'hui, selon l'auteur.
Tel est l'essentiel du propos de cet épais roman (375 pages), non exempt de longueurs et de passages touffus qui altèrent parfois l'intelligibilité du propos. Un propos porté par un style au
petit goût parfois archaïque à force d'être classique, jouant parfois avec les répétitions de mots pour créer un rythme. Plutôt que scandaleux, ce roman m'a donc paru original, en ce sens qu'il
offre un certain regard, sans doute fort personnel, sur une époque sombre. Regard juste? Regard intéressant? Faut-il y croire? Si l'on peut répondre par l'affirmative à ces questions, s'il permet
à l'amateur d'être secoué à bon escient dans ses certitudes, c'est un livre qui mérite l'effort d'une lecture. Mais les historiens sauront mieux que moi démêler l'écheveau de cette saga
historique.
Malaren, Le Sacre des impostures, Nice, FEEL, 2008. Préface de Sixte-Henri de Bourbon-Parme.