Il faut croire que c'est dans l'air: au moment où Philippe Méoule évoque les impôts à la française dans un billet, je viens de terminer la lecture de l'ouvrage "Dans le labyrinthe fiscal" de Robert Matthieu. Et mes lecteurs fidèles pourront se demander ce qu'un Suisse peut bien trouver dans un ouvrage qui se concentre sur ce qui, année après année, attend le contribuable français, domicilié en France. Il est vrai qu'une lecteur superficiel de ce livre pourra ne pas se sentir concerné s'il n'est pas un habitant de la république des Droits de l'Homme; mais il suffit de réfléchir un peu pour qu'apparaissent, dans l'esprit du lecteur, comparaisons, raisons et réflexions. Rien que pour ça, il a valu la peine de lire les 291 pages de ce livre.
La structure de l'ouvrage se fonde sur deux éléments principaux: la dénonciation d'une situation présentée comme insatisfaisante, d'une part, et, d'autre part, l'énonciation d'idées novatrices.
Dénonciation à plusieurs niveaux
"Contribuables, si vous saviez!" - tel est le sous-titre du livre de Robert Matthieu. Ancien inspecteur des impôts et auteur de plusieurs livres consacrés à la chose fiscale, l'auteur dénonce l'obscurantisme organisé autour de la perception de l'impôt, sous toutes ses formes, en France, en 2010. La charge est détaillée: elle vise les différentes couches légales, allant du droit international à une riche jurisprudence, en passant par des lois qui, comme j'ai compris, changent chaque année.
Dans son collimateur, se trouve également l'ignorance du contribuable - qui a deux sources: le désintérêt de celui qui va payer et les lacunes du fisc en matière d'informations. Les exemples précis abondent, au fil de nombreux chapitres: donations, héritages, ventes, affaires immobilières. Faute de savoir, le contribuable paie trop - ce que l'auteur résume en parlant d'"impôt sur l'ignorance", appelant de ses voeux une information plus vaste et plus complète.
Complexe, le système? L'art de payer moins d'impôts n'a rien d'un sport national typiquement français comme le suggère Robert Matthieu; les Suisses s'y adonnent aussi, recherchant désespérément quelle déduction convient le mieux à leur situation. Mais la complexité apparente du système fiscal français, riche en subtilités qui peuvent paraître byzantines ou insidieuses au profane, semble offrir un terrain d'exercice propice à celui qui sait... ou plus précisément à celui qui a les moyens de se payer un consultant fiscaliste. Résultat: aux riches les déductions, crédits et réductions, aux démunis les paiements de trop, par ignorance.
Et si l'impôt est si impopulaire en France, c'est que, pour l'auteur, le contribuable ignore finalement à quoi les sommes qu'il paie sont affectées.
Force de proposition
L'auteur ne se contente pas de dénoncer un système piégeux. C'est dans la série de propositions qu'il émet dans les derniers chapitres de ce livre qu'il se montre le plus provocateur, le plus audacieux aussi, le plus dérangeant parfois - chaque proposition puisée dans ce livre peut faire l'objet d'un débat - et naturellement, l'auteur défend ses idées.
Il trouve ainsi quelques arguments frappants pour une fiscalité verte, taxant les énergies plutôt que le travail. Celle-ci doit-elle se substituer au système de taxation actuel, ou s'y additionner? La réponse n'est pas très claire; il conviendra d'en débattre. L'auteur aborde la question de la lutte contre les paradis fiscaux, de manière un peu moins convaincante il est vrai: rien ne sert de pourchasser le secret bancaire si l'on ne fait rien contre les trusts. L'auteur semble par ailleurs accorder beaucoup de crédit au G20, oubliant que cette instance n'a rien de démocratique et semble, en la matière, préserver les intérêts de certaines juridictions (le Delaware, au hasard...) plutôt que d'autres (euh, la Suisse?). En la matière, Robert Matthieu pourra parcourir avec profit l'ouvrage que Myret Zaki a consacré à ce sujet.
De même, est discutable la proposition de créer un "impôt sur les repas au restaurant", volontaire ou obligatoire, qui fonctionnerait selon le principe du pourboire: on peut craindre qu'il vienne concurrencer ces derniers, quitte à contrarier le personnel des restaurants. En revanche, sa suggestion d'imposer modiquement les entrées aux activités sportives ou culturelles est déjà pratiquée ailleurs... dans certaines communes suisses en particulier. Et ce ne sont là que quelques-unes des 75 idées que l'auteur émet dans le dernier chapitre de son ouvrage, qui confinent à l'idée de trouver des moyens de rendre les contributions sexy...
Voyage au pays des impôts? Cela valait le détour! Et à l'avant-veille de remplir ma propre déclaration, cela ouvre des portes de réflexion à tout contribuable - français ou non - et s'avère instructif à de nombreux égards. Le tout, sur un ton accrocheur qui ne gâche rien...
Robert Matthieu, Dans le labyrinthe fiscal, Paris, Albin Michel, 2010.