Cette oeuvre littéraire est évoquée chez François Prost.
"Un altare per la madre", tel était le titre italien, fort parlant, du bref roman de Ferdinando Camon connu en français sous un très énigmatique "Apothéose". C'est
effectivement d'un autel qu'il est question. Mais aussi d'une mère morte. Et, enfin, de la disparition discrète d'un certain mode de vie: celui des campagnes pauvres de l'Italie profonde au cours
des Trente Glorieuses. Porté par une prose sobre, loin de l'emphase que pourrait suggérer le titre, "Apothéose" est une merveille de simplicité littéraire qui se décline en mode
mineur.
C'est en effet sur les funérailles de "la mère", Elena alias Leni, que s'ouvre ce roman dont toute la première partie s'apparente à un éloge funèbre 'd'une mère perçue comme humble,
astucieuse, laborieuse, révérée aussi. Le premier problème du narrateur est de trouver une photo d'elle qu'il soit possible d'agrandir pour en garder un portrait. L'image ne correspondra jamais,
bien sûr, au souvenir qu'on garde de l'être disparu, idéalisé. Ou quand d'aventure elle correspond, c'est l'état de la photo qui empêche tout travail d'agrandissement... et au moment de donner au
photographe le nom de la personne dont il faut agrandir le portrait, le narrateur donne le nom d'Elena, qui n'est pas le nom usuel de la mère. Privée de visage, privée de nom... et pourtant,
c'est elle, figure floue puis disparue.
Eloge funèbre pour un mode de vie oublié également, celui qui permet de rendre la misère supportable voire vivable ou digne, et de vivre de manière humaine. C'est par exemple le père qui
s'injecte de l'eau infectée dans son genou pour échapper à la guerre et revenir assumer ses responsabilités au pays. C'est aussi la mère qui demande combien un cadeau qu'on lui offre a coûté, et
s'il a privé celui qui l'offre de quelque chose de plus important pour lui. C'est aussi cette solidarité qui se met en place dès lors qu'il faut trouver du cuivre pour produire un autel - autel
de village bientôt promu au rang de véritable autel d'église, qui garde le souvenir de la mère disparue.
L'idéalisation devient-elle donc apothéose? Tout le monde souhaite y participer, tout le monde, même les plus pauvres, donnent un chaudron à cet effet - quitte à faire patienter jusqu'à ce qu'il
ait fini de servir pour cuire une soupe. Les ornements de l'autel rappellent un temps révolu, en particulier la représentation de la sorte de blé: il faut retrouver un vieux grain bien indigène
et pas la sorte "Imperatore" qui, plus grosse, est aussi plus fragile face au vent du fait que sa tige est proportionnellement plus faible. Ainsi se crée une oeuvre d'artisanat à la gloire d'une
défunte, mais aussi un lieu de mémoire pour un temps révolu, symbolisé par mille objets à la fois agricoles et religieux - on pense à la vigne, par exemple.
C'est ainsi qu'au village, naissent les légendes... devenues, en l'occurrence, "autels de paroles", comme le souligne le prière d'insérer.
Ferdinando Camon, Apothéose, trad. Jaen-Paul Manganaro et Pierre Lespine, Paris, Gallimard/L'Imaginaire, 2008.
Le site de l'auteur: http://www.ferdinandocamon.it/