Après l’alcool, la viande : alors que le restaurant « Alcool » des cuisiniers G-Man et Rickey bat son plein au cœur de la Nouvelle-Orléans, Rickey se voit proposer une mission de consulting bien payée à Dallas afin de remonter un restaurant qui bat de l’aile. Pour faire bon poids, ce roman contient quelques coups tordus en coulisse (en particulier une bisbille électorale sans merci entre Lenny Duveteaux et le procureur sortant). Voilà l’essentiel des ingrédients de ce nouveau cocktail à déguster bien frais sur 492 pages, constituant le deuxième tome, après Alcool, des Liquor Novels de Poppy Z. Brite.
Tome deux, donc. L’auteur fait tout pour mettre à l’aise le lectorat novice, rappelant dès les premières pages de nombreux éléments du premier roman. De quoi camper le décor, mais aussi, peut-être, donner aux connaisseurs une impression de déjà lu. A moins qu’il ne s’agisse de recréer une connivence, d’organiser des retrouvailles ? Le fait est que le lecteur d’Alcool se retrouve rapidement plongé dans un univers familier.
Un univers dont G-Man et Rickey sont le centre. Le lecteur les découvre plus amoureux l’un de l’autre que jamais, ce qui permet à l’auteur de développer, bien plus que dans Alcool, la relation sentimentale qui unit ces deux garçons depuis leur jeunesse. Pour ce faire, elle se donne une excuse commode : sortis des années de galère évoquées dans Alcool, G-Man et Rickey ont davantage de temps pour vivre leur relation, même si le travail n’est jamais loin. La relation décrite est saine, et refuse toutes les étiquettes qu’on colle aux gays, ou qu’eux-mêmes arborent comme des étendards (p. 255) : là, c’est plutôt « on s’aime, point barre. »
Et ce « on s’aime, point barre » va être mis à l’épreuve de la séparation et des tentations. Cela commence naturellement par Rickey qui balance son téléphone portable à l’eau : se doute-t-il qu’il va en avoir besoin tout au long de son odyssée texane ? Face à la séparation, et alors que Rickey et G-Man ont toujours vécu ensemble comme deux personnages complémentaires, il convient qu’ils réinventent leur communication. Le téléphone fonctionne, mais autrement. Les états d’âme et l’introspection trouvent leur place dans le récit. Et s’il le faut, on se déplace !
Enfin, naturellement, la cuisine est omniprésente, côté fourneaux et côté tables. Le lecteur assiste à de nombreux repas de tous styles, du bête hot-dog avalé lors d’un match au repas gastronomique de haut vol à la façon de Dallas. Le tout met l’eau à la bouche. Quant au rythme du récit, il est vif, narré sur un ton qui ne fait pas de quartier, et sait peindre, à l’occasion, des scènes presque gratuites mais finalement cocasses, à l’instar de la mycose à l’aine qu’attrape un Rickey soudain diminué.
A savourer saignant, alors ? Oui – mais sans oublier le cocktail louisianais de circonstance. On the rocks, please.