Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 juin 2014 1 09 /06 /juin /2014 19:34

hebergeur imageJérôme rend visite à Anna, son épouse amnésique, qui vit dans un étrange hôtel. Ils se parlent. Il n'en faut pas plus pour construire un bref roman - celui-ci s'intitule "Tangage". Gisèle Fournier, écrivaine genevoise, en est l'auteure. L'on découvre que c'est un roman de la difficulté de communiquer entre humains, mais aussi de la porosité. Cela, au fil de pages extrêmement écrites, soignées, au vocabulaire riche et parfois flamboyant.

 

Incommunicabilité d'abord: pas évident de trouver une manière de converser avec une personne amnésique. Le personnage de Jérôme joue dès lors le rôle de révélateur, dynamique, s'emportant à l'occasion, à tort ou à raison, suscitant des réactions relativement passives de son interlocutrice, Anna. Celle-ci n'est pas en reste, ne trouvant jamais le ton juste avec Olivier, celui qui l'accueille à ce fameux "hôtel" des Pradelles. Elle le considérera comme un ami - l'est-il vraiment? Du début à la fin du séjour d'Anna, en tout cas, ce sera un passeur, le seul qui acceptera de jouer le jeu des prénoms quotidiennement changeants d'Anna. Incommunicabilité avec les autres pensionnaires de l'"hôtel", enfin: tous sont présentés comme des personnes handicapées dans leur manière de communiquer - handicap plus ou moins surmontable, si l'on sait ou si l'on veut bien.

 

Porosité, ai-je dit aussi. C'est que la communication, lorsqu'elle s'installe, si difficile qu'elle soit, trace des chemins hasardeux mais continus: une montre suffit à établir le contact, une porte à laisser un lieu ouvert. Cela se retrouve dans la narration, qui prend la forme d'une polyphonie à deux voix où, surtout au début, l'on se demande un peu qui parle. Cela, d'autant plus qu'elle alterne la première et la troisième personnes du singulier. Par ailleurs, la Pradelle est présentée comme un lieu que l'on quitte comme l'on veut, que ce soit par effraction ou par sa propre volonté. Même l'étymologie de "Pradelle", un mot qui signifie "Prairie naturelle", suggère cette porosité: où commence et où s'arrête cette prairie dite "naturelle", sur laquelle on a précisément construit cet "hôtel"? Enfin, la limite entre le rêve et le réel, de manière assez classique, n'est pas toujours claire. Les transitions sont volontiers suggérées par de simples points de suspension...

 

Difficile, d'ailleurs, de donner un statut à "La Pradelle". Le lecteur sera spontanément amené à penser qu'il s'agit d'un asile ou d'un hôpital psychiatrique. Mais l'image de l'hôtel s'avère récurrente, encouragée encore par l'idée confortable, véhiculée par Anna, qu'on prend soin de vous et qu'on vous déresponsabilise ici - au fond, c'est des vacances! L'idée de "secte", enfin, est suggérée. Une option acceptable a priori: les lieux ont leurs règles, pas toujours très lisibles. Et si l'impression de confinement est soulignée par moments par certains paragraphes longs, rappelons-nous toujours qu'il existe une sortie, que le huis clos n'est pas total ici.

 

L'issue du roman suggère d'ailleurs qu'il est facile, en définitive, de quitter un lieu de maladie afin d'affronter la réalité. Un déclic suffit, un souvenir inattendu, le souvenir d'une porte vue en rêve associé à une manière de marcher vue, et une décision suit... Entre maladie et bonne santé, la limite s'avère poreuse aussi: de l'un à l'autre, il y a toujours un chemin, que la réalité des lieux matérialise dans "Tangage".

 

Ce court roman n'est pas de ceux qui se lisent à la va-vite. Courtes ou longues, marquant le rythme sans se perdre, ses phrases donnent à réfléchir. Et en fin de lecture, l'impression demeure d'avoir passé un moment en compagnie d'un beau moment de littérature, fait à partir d'un minimum d'éléments pleinement exploités.

 

Gisèle Fournier, Tangage, Paris, Mercure de France, 2014.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Daniel Fattore
  • : Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
  • Contact

Les lectures maison

Pour commander mon recueil de nouvelles "Le Noeud de l'intrigue", cliquer sur la couverture ci-dessous:

partage photo gratuit

Pour commander mon mémoire de mastère en administration publique "Minorités linguistiques, où êtes-vous?", cliquer ici.

 

Recherche

 

 

"Parler avec exigence, c'est offrir à l'autre le meilleur de ce que peut un esprit."
Marc BONNANT.

 

 

"Nous devons être des indignés linguistiques!"
Abdou DIOUF.