Lu par Francis Richard, Frédéric Vallotton.
Le site de l'éditeur, Olivier Morattel.
Vorace, insatisable, l'écrivain Pierre Yves Lador laisse à chacun de ses ouvrages son lectorat la bouche pleine, repu de beaux mots et de sonorités fécondes. Pourtant, à chaque fois, on en redemande. "Confession d'un repenti", son dernier opus, ne fait pas exception à la règle. Et la boulimie des mots trouve ici un écho réel, concret: l'auteur a choisi d'aborder le thème de ses propres addictions. Et tout commence par le sucre: "Au commencement ou plus tard le sucre me servit de doudou, de consolation, de compensation au stress, aux frustrations comme à chacun.", décrète l'incipit. Le ton est donné.
Tout trouve son origine dans la douceur du lait maternel. Le titre du premier chapitre, "Téter le monde", suggère les deux directions de ce roman: d'une part, il sera question de manger; de l'autre, l'auteur suggère une vision du monde - qui n'est pas sans rapport avec les dysfonctionnements alimentaires évoqués. Commençons par ceux-ci.
Le narrateur suggère avec brio l'attirance que les produits sucrés ont exercé sur lui. Cela passe par une écriture qui détaille les ressentis, qu'ils soient précis ou au contraire trop vaporeux. Lorsqu'ils sont précis, le lecteur retrouvera à coup sûr, çà et là, des impressions déjà vécues de dégustation de telle ou telle friandise trouvée dans le commerce: bac à glace, chocolat Crunch, têtes de nègre Perrier dont on casse l'enveloppe chocolatée à la cuillère, comme on décalotte un oeuf à la coque... Les marques elles-mêmes sont citées, suscitant chez n'importe quel lecteur des souvenirs de choses lues et goûtées. Par moments, face à tant de précision, on se sent comme dans l'un ou l'autre des tropismes de Marguerite Duras.
De là, l'auteur explore d'autres compulsions et addictions: l'addiction sociale de l'alcool et la pression de l'entourage à la consommation de chasselas vaudois, la collection compulsive de livres (le chiffre de 40 000 titres est évoqué), les drogues, les femmes (mais de façon parcimonieuse, l'auteur s'étant promis de ne pas s'appesantir sur cet aspect) et le goût des mots. Mais si l'auteur partage volontiers l'addiction, il ne partage pas la diction: celle-ci lui paraît être une manière de réduire le monde en petites cases, en en gommant ce qui passe pour des scories, et en définitive de l'édulcorer. Or, toute son écriture transpire le refus des petites cases qui en appauvriraient la saveur: "En français je travaille sur les sons et les sens, les assonances et les consonances, tel un inséminateur" (p. 148). Force est de constater que ce programme est accompli: l'auteur n'hésite pas à privilégier les sonorités évocatrices plutôt que le sens, ni à aligner les rimes en séries copieuses qui ont tout de l'association libre.
Refus de l'édulcoration du monde: là, on bascule dans la vision du monde que l'auteur donne dans "Confession d'un repenti". Ici, le lecteur découvre une soif d'authenticité, qui entre en dissonance avec l'envie, parfois, d'absorber du sucré, quelle qu'en soit la qualité. Quant au politiquement correct, qui change les mots en croyant changer le sens (tête de nègre ou tête au choco? L'auteur a choisi...), c'est, de l'avis de l'auteur qui le rejette, une manière de rendre le monde plus doux... donc, encore une fois, de l'édulcorer.
Pleines de souffle, les phrases sont souvent longues, comme peut l'être la quête d'un absolu: "Mais l'expérience m'a montré que j'avais raison de tenter l'impossible, épouser le mouvement du monde, de mon cerveau, de la découverte, au risque de perdre des auditeurs, lecteurs, mais qu'importe.", décrète l'auteur, qui ne poursuit qu'une ambition: montrer le monde et sa complexité, en s'y inscrivant. A cela vient s'ajouter, ai-je dit, un jeu sur les sonorités; il n'en faut pas plus pour qu'on ait envie, pour mieux goûter la prose de l'auteur, de les lire à haute voix - tantôt vite comme lorsqu'on dévore un bac de glace à grands coups de cuillère, par gourmandise, tantôt lentement pour déguster chaque mot: dans "Confession d'un repenti", ouvrage littéraire ample, franc mais aussi joueur, le rythme se met au service du goût.
Pierre Yves Lador, Confession d'un repenti, La Chaux-de-Fonds, Olivier Morattel, 2014.
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