Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
... que je me suis fait chez Gibert Jeune le mois dernier: je me suis procuré "La Petite Folie", roman de la comédienne et
chroniqueuse littéraire Alexandra Lemasson, paru aux éditions Léo Scheer. Triple découverte, donc: celle d'un roman, mais aussi celle d'un auteur qui a une bonne plume, et celle d'un éditeur dont
j'ai tant entendu parler (il tient même un blog) qu'à la fin des fins, j'ai voulu
savoir ce qu'il produisait. Et sur ce coup-ci, je n'ai pas été déçu.
"Un matin je me suis réveillée et je n'ai plus rien reconnu", dit l'incipit de ce bref récit à deux voix. Ici, c'est Sara qui parle - Anna lui donnera la réplique, pendant un chapitre
sur deux, à un rythme rapide. Qu'est-ce donc que cette "petite folie"? Le doute s'instille rapidement chez le lecteur, dès cette première phrase qui dit tout sans rien dévoiler. On pense
immédiatement à la maladie d'Alzheimer... à moins qu'il ne s'agisse de ce mal encore perçu comme vaguement honteux qui porte un nom météorologique? Ou encore tout autre chose, comme le laisse
entendre la toute fin du roman? Le doute, le flou sont entretenus de bout en bout; rien n'est nommé frontalement en ce qui concerne les maux de l'âme.
Deux voix, alors? Ou une seule? Ou plusieurs? Nous l'avons dit, le roman met en présence Sara et Anna, soeurs par la force des choses: Sara s'impose dans la vie d'Anna, allant jusqu'à lui voler
la place de fille unique en devant une personne unique au sein du foyer. Quid? Personnalité solaire (dans la mesure où elle satellise son entourage), Sara a un tempérament de meneuse. Elle est la
créatrice du tandem, et deviendra écrivain; son rôle sera, de bout en bout, de créer du neuf - des mensonges dans sa jeunesse ("elle ment comme elle respire", lit-on). C'est pourtant elle qui
flanchera, dès la publication de son premier roman. Face à elle, Anna joue les seconds violons, répond à une vocation d'actrice qui la met certes sur le devant de la scène, mais la condamne à
recréer ce que d'autres ont créé pour elles; on peut aller jusqu'à dire qu'elle vit par procuration les vies des personnages forcément formidables qu'elle incarne. Maternelle, féminine même, mais
aussi représentante de la vraie vie malgré tout (elle ne ment pas, n'invente pas), c'est elle qui prendra en charge Sara, femme quasi masculine (selon les clichés usuels opposant création
masculine et recréation féminine - une lecture possible).
Ce tandem permet à l'auteur de créer une polarisation entre deux points de vue en les confrontant: les épisodes sont volontiers présentés de deux points de vue distincts, celui d'Anna contre
celui de Sara - une Anna qui exprime à l'occasion l'impression d'avoir les épaules trop chargées de Sara, face à une Sara qui "ne peut pas", qui s'exprime sur le ton de la confession, qu'on
retrouve par exemple larguée en pleine rue alors qu'elle part rejoindre Anna à une exposition.
Expression? Naturellement, la voix n'est pas la même, et cela est également dû à la mise en perspective des personnages: Sara est présentée comme parlant à son médecin, un médecin qu'elle a eu du
mal à accepter. Anna, elle, parle dans le cadre d'entretiens moins précisément cernés; sa manière d'interpeller son interlocuteur donne même parfois au lecteur l'impression que c'est
littéralement à lui qu'on parle.
Roman à polyphonique donc, et joli petit livre aux intonations faussement calmes, il saura séduire les amoureux de flous artistiques.
Alexandra Lemasson, La petite folie, Paris, Léo Scheer, 2009.
Le site des éditions Leo Scheer: http://www.leoscheer.com.