Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Le roman "Transparences" d'Ayerdhal constitue, de la part de cet auteur de science-fiction, une incursion assez réussie dans le genre du roman d'espionnage à
tiroirs version ample. Le lecteur s'intéresse volontiers aux vicissitudes des personnages, qui évoluent entre Lyon et le siège d'Interpol, la Grèce, la campagne française, Chicago, Berlin,
etc.
C'est justement à Chicago que tout commence, et que se mêlent les genres. L'attaque du
roman a en effet quelque chose du traité d'architecture et de la fluidité des foules (que l'auteur baptise "agoradynamique"). En un travelling avant saisissant qui occupe tout le premier
chapitre, l'écrivain part du général (une vue urbaine) pour se focaliser peu à peu sur l'insaisissable Naïs, as de l'arme blanche, et ses poursuivants - des "Pisteurs", comme le dit l'auteur.
Insaisissable, ai-je dit: Naïs tue avec une facilité déconcertante, sans que personne ne le remarque, un peu comme la lettre sur la cheminée, dans une nouvelle d'Edgar Allan Poe - ou comme un
être transparent. Est-elle issue d'un monde parallèle? Alors que l'auteur cite Hannibal Lecter et Nikita, l'espace d'un instant, le lecteur se croit transporté dans le film "Matrix".
Insaisissable Naïs
Insaisissable, redis-je. Car bien évidemment, cela donne à Naïs, clé de voûte du roman, une aura de mystère qui donne envie au lecteur d'en savoir plus. Mais sur ses traces, on trouve des
enquêteurs qui, victimes de rivalités, peinent à avancer dans leurs recherches - des recherches qui évoluent parallèlement aux actions de Naïs, dans des chapitres distincts. Du coup, au bout d'un
certain temps, le roman semble bloqué, à l'image de l'enquête. Le fantastique s'immisce même dans toute cette affaire: Naïs, Ann X pour les services secrets, existe-t-elle vraiment? Les traces
qu'elle brouille derrière elle sont troublantes, à telle enseigne que personne ne saura la reconnaître ou décrire son visage. Longue est la route qui sort tout ce monde d'un marécage de
dialogues où des agents s'observent... "Nous n'avons pas avancé d'un pouce", confirme du reste un personnage en p. 307. Tout au plus peut-on compter sur les interventions de Michel, sans-abri peu
conformiste, pour annoncer certains éléments avec un certain franc-parler, comme les fous osent le faire dans les pièces de théâtre.
... le virage s'accomplit cependant vers le milieu du roman (vers la page 300), lorsque Stephen, enquêteur phare du récit et Don Juan impénitent, s'aperçoit qu'à force de tremper son goupillon
partout, il l'a aussi fait avec Ann X. Cela le plonge dans une dépression qui change le ton du roman. Celui-ci bascule un instant dans l'introspection de Stephen. Sans doute est-il atteint par
une certaine paranoïa; le lecteur, en tout cas, se met à soupçonner tous les personnages féminins d'être la mystérieuse Ann X. Et à partir de là, le roman décolle, jusqu'à une cascade de
retournements de situation finaux.
Une éducation sentimentale?
Cet ouvrage au fort attirail scientifique (en particulier criminologique) pourrait passer, par ailleurs, pour une forme d'éducation sentimentale de Stephen - un aspect discret mais présent. La
quête de l'agent s'apparenterait alors à la recherche de l'être inaccessible que peut constituer la femme de sa vie. Une femme qui serait cette Naïs qui aime et tue, à la manière d'une mante
religieuse, et qu'il craindra jusqu'au bout d'aimer. Ephémères, les rencontres précédentes ne sont qu'un prélude au rapprochement ultime; cela va d'Iza, personnage assez extérieur à l'affaire,
jusqu'à des personnages qui jouent de masques (ceux-ci apparaissent du reste à la faveur d'un réveillon de Nouvel-An) pour entourer Stephen. Et sa démission d'Interpol, qui a le goût d'une
rébellion, ne serait-elle pas une manière de tuer le père?
"Transparences" est donc, on le voit, fort riche pour le genre auquel on le rattache. Cela a l'avantage de nourrir le lecteur, mais responsabilise aussi celui-ci en l'invitant à s'accrocher par
instants, voire par chapitres entiers où de nombreux lieux et personnages se croisent.
Ayerdhal, Transparences, Au Diable Vauvert, 2004/Le Livre de Poche, 2006.