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Fumer tue, dit-on. "Fume et tue", aurait
osé Libération, comme l'évoque Antoine Laurain dans son roman éponyme, paru il y a quelques mois de cela aux éditions Le Passage. A la fois thriller et roman quasi introspectif, ce roman un
rien subversif mérite l'attention du lectorat, à une époque où l'on est un peu trop pressé de dissiper toute fumée et de flinguer les fumeurs dans la foulée. L'auteur a trouvé là un excellent
sujet, bien dans l'air du temps - et, ce qui ne gâche rien, il l'a traité avec intelligence.
L'histoire a déjà fait le tour des blogs: pressé par sa femme, un fumeur dénommé Valantine va trouver un hypnotiseur qui le fait renoncer à son vice impuni. Plus précisément, il ne trouve plus de
plaisir à fumer... sauf si cet acte survient à la suite d'un homicide, ce qu'il constate accidentellement, après avoir jeté un agresseur sous le métro. Pour joindre l'utile à l'agréable, il va
donc faire le vide autour de lui...
Le lecteur constate assez vite qu'ici dedans, c'est le tabagisme qui, plus que Valantine, est l'acteur principal. Le comportement du fumeur fait l'objet d'une exploration minutieuse, quasi
scientifique, dans toute sa complexité et, parfois, son irrationalité. Cette approche au scalpel fait écho à l'approche scientifique du Valantine herpétologue, amateur de batraciens qu'il connaît
sur le bout des doigts: l'observé fait également office d'observateur, et cela va lui servir pour l'un de ses crimes parfaits.
Mais, en sa qualité de plaisir interdit, le tabagisme se doit d'avoir un péché originel, et l'auteur le sait bien. Valantine a connu le sien: la vision de deux de ses amies s'enlaçant, nues, dans
la nature, lui a permis de découvrir tout ce qu'une cigarette peut apporter et de connaître pour ainsi dire bibliquement le dernier secret du tabagisme, grâce à l'avalage de la fumée - avant
qu'il ne participe à son tour aux ébats. Ce plaisir trouvé dans le stupre, Valantine le perdra grâce (ou à cause de) l'hypnose, avant de le retrouver dans un péché autrement grave.
A plus d'une reprise, le personnage principal fait figure d'homme de la vieille école, et l'auteur ne se prive pas de mettre cet élément en évidence afin d'intégrer Valantine à un système - celui
du monde actuel. Vieille école face à un monde d'artistes s'adressant à des bourgeois bohèmes incapables de dire tout haut que le roi est nu: Valantine ne se gêne pas d'écrire des phrases
franches dans les livres d'or, ni d'écraser sa cigarette dans un cendrier présenté comme une oeuvre d'art, encore moins d'espérer manger un steak-frites alors que son épouse, critique
d'art, et son cercle de relations, préfèrent les petits sushis et les petites salades. Vielle école aussi face à son nouveau patron, qui lui fait sentir le poids de son âge sans même le
vouloir, en le reléguant régulièrement alors qu'il aurait pu reprendre la direction de son entreprise de chasseurs de têtes au décès de son fondateur.
Comme les bons ingrédients ne sont jamais de trop, l'auteur intègre à sa recette un soupçon de fantastique, en faisant de l'hypnotiste si génial un fabuleux charlatan. L'affaire se conclura en
prison...
En définitive, Antoine Laurain, maître de cérémonie, est un auteur retors. Il fait tout pour que son lecteur s'attache à un fumeur, entre autres en le mettant régulièrement en position de victime
(de la société, de son entourage) et en mettant en situation tous les poncifs anti-fumée, ceux que l'on lâche dans une conversation sans même se rendre compte de l'ostracisme qu'ils impliquent
pour le fumeur. Le lecteur se retrouve donc obligé de choisir son camp: soit il se range du côté des ayatollah de l'anti-tabagisme, c'est-à-dire, bien souvent, à des personnages qui ne savent pas
mieux vivre que Valantine et évolue dans son mensonge (sushi, piscine, art de bracaillons porté aux nues, etc.), soit il s'acoquine avec le fumeur, si nécessaire en se bouchant le nez. Dans
ce dernier cas, l'auteur a gagné - et il met toutes les chances de son côté pour ce faire.
Antoine Laurain, Fume et tue, Paris, Le Passage, 2008.