Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Il y a un
petit mouvement d'humeur que j'ai envie de commettre depuis un certain temps, au sujet de ce qu'a dit un jour un certain Philippe Néricault-Destouches: "La critique est aisée, mais l'art est
difficile." Souvent, je me suis demandé si ce n'était pas, dans une certaine mesure, le contraire qui serait vrai - et quelques expériences réalisées dans le domaine m'ont donné à réfléchir.
On admettra volontiers qu'à l'époque de Destouches, l'artiste était coincé, dans son activité créatrice, par de nombreux impératifs liés à une censure omniprésente. Pour l'artiste, le fin du fin
consistait régulièrement à trouver des chemins de traverse pour faire passer le message de manière non frontale, mais de manière à ce que le public comprenne... Cela, sans oublier, bien sûr,
l'exercice d'un métier fortement codifié: au dix-huitième siècle, personne n'a encore fait exploser les formes les plus classiques, comme le feront plus tard les romantiques en prônant mélanges
des genres et autres spécialités.
Mais aujourd'hui, certains artistes n'hésitent pas à revendiquer une liberté absolue. La poésie libérée (de quoi?) est trop souvent confondue avec un alignement quasi aphasique de mots sans
rythme perceptible, ou de phrases avec renvois à la ligne aléatoires pour "figurer des vers". Lors d'un symposium organisé à Berne au sujet des limites du représentable il y a quelques années,
une peintre locale se demandait pourquoi ce qui est permis à un médecin ne le serait pas à un artiste, et brandissait haut et fort sa liberté absolue, article 21 de la Constitution à l'appui,...
oubliant fort opportunément que les libertés fondamentales peuvent être limitées à certaines conditions (art. 36). Il faut dire que le symposium avait pour origine une "installation" mettant en
scène une mouette avec une tête de bébé humain... Jusqu'où peut-on aller? On peut aller partout, diront certains, sans hésiter.
Face à eux, le travail du critique n'est pas forcément évident. Certes, il est facile de torcher une critique assassine d'un film lorsqu'on sait que le réalisateur, surbooké à Hollywood, ne
la lira jamais - quoique, vu le travail de fourmi que font les argus et les attachés de presse en épluchant les médias. Mais qu'en est-il du travail de proximité? Une proximité accentuée par le
phénomène de l'Internet, qui permet à chacun d'accéder à tout, ou presque. En écrivant que telle ou telle oeuvre relève du génie ou de la bouse, le critique n'a rien dit. Dans le second cas, il
blessera inutilement l'auteur de ladite bouse, ainsi que ceux qui ont su l'apprécier mieux que lui. Vue comme cela, la critique est facile... mais ce n'est pas de la critique. Destouches aura
peut-être été victime d'un tel torchon assassin; si ce'st le cas, que l'auteur du torchon brûle en enfer!
Celle-ci doit adopter également un travail d'argumentation basé sur des faits que tout un chacun peut constater dans l'oeuvre - de nombreux vers boiteux dans un poème classique, par exemple,
dénoteront un travail négligé. L'argumentation sera du reste d'autant plus bétonnée que le critique souhaite émettre des réserves. Rien ne sert, par ailleurs, d'attaquer frontalement une création
déplaisante - si ce n'est à s'attirer des lettres de lecteurs haineuses, ce qui ne devrait pas être le but de l'exercice. Le critique n'a pas aimé tel ou tel concert donné par une société locale?
Plutôt que d'aborder le caractère affligeant de la musique, il parlera des costumes. Les costumes sont communs? Il changera encore d'angle, parlant du cadre, du public, etc. Ou alors, il donnera
un tour positif à ce qui, a priori, peut paraître négatif: plutôt que de parler, au sujet d'un concert, d'une "scie mille fois entendue", pourquoi ne pas évoquer "le choix de valeurs sûres
et intemporelles"?
Cela sans compter, enfin, que le critique donne une visibilité, et non des moindres, à l'artiste - qui ajoutera toute critique favorable à son press book, et se mettra même à exiger des
"critiques positives". Au rédacteur de faire son travail en conscience, en esquivant les pièges... au fond, la critique, c'est un art!
Illustration: Destouches/source: Wikipedia.
L'affaire dite du "bébé mouette" a été lancée par un blog (très) conservateur suisse, le Bureau audiovisuel francophone, qui a interrompu ses activités. Le symposium a été entièrement transcrit,
ici: http://www.freiheitderkunst.ch/files/Ruan_podium_transcript%20.doc (en allemand)
Constitution suisse, pour ceux que cela amuse: http://www.admin.ch/ch/f/rs/101/index.html