Telle pourrait être la traduction littérale du titre de "Millenium People", ouvrage signé James Graham Ballard, si le traducteur était arrivé au bout de son ouvrage au lieu de
reprendre le titre anglais d'origine: dans le texte, peu de choses évoquent ce nom, qu'on pourrait prendre pour celui d'une société secrète. Voilà pour le titre...
Une bonne idée de
départ...
L'idée de départ de ce roman est excellente, comme souvent. James Graham Ballard a en effet voulu peindre un
mouvement social issu non pas des couches défavorisées, mais des classes moyennes aisées d'une Angleterre actuelle ou d'un futur proche. La révolte porte sur ce que les classes moyennes doivent
endurer: cours privés pour la génération montante, parcomètres partout, voyages hors de prix, etc. Orchestrée par le psy Richard Gould, elle dérape rapidement: une bombe placée dans un aéroport
cause le décès d'un personnage... qui se trouve être l'ex-épouse du narrateur. Celui-ci va donc rechercher le fin mot de l'affaire.
Portrait d'une certaine Angleterre? Le lecteur est naturellement servi en éléments pittoresques comme tout ce qui
peut rappeler la conduite à gauche. James Graham Ballard prête par ailleurs à ses compatriotes le défaut (ou la qualité, c'est selon) d'être des râleurs toujours disposés à lancer une
manifestation. C'est du reste par ce biais que le narrateur, David, va entrer dans le jeu des "révolutionnaires".
Jusque-là, ça va.
... mais des difficultés à créer l'empathie
voulue
Là où l'on peine cependant à suivre le narrateur, c'est qu'il paraît un peu emprunté lorsqu'il s'agit de définir
contre quoi les classes moyennes aisées doivent se révolter. Il en fait un assez peu crédible "nouveau prolétariat", une contradiction dans les termes puisque littéralement, le prolétaire a ses
enfants pour seule richesse... et qu'ici, tous les personnages nommés, et en particulier les meneurs, n'ont pas de progéniture.
Il semble assez évident d'emporter l'adhésion d'un lecteur en lui narrant les vicissitudes de personnes
défavorisées, ou dans le besoin, etc.; depuis Zola, au moins, c'est même un système dont on sait qu'il fonctionne très bien. Beaucoup plus difficile, en revanche, est le sport consistant à
chercher l'empathie du lecteur lambda pour des groupes sociaux qu'il considérera volontiers comme favorisés: médecins, psychiatres, architectes, professions libérales, etc. Et là, l'auteur m'a
paru manquer sa cible, péchant par excès de froideur.
Certes, il y a des scènes dramatiques, où l'on voit les habitants de la Marina de Chelsea (ça fait luxe, comme
appellation) quitter leurs logements, présentés comme les réfugiés d'un village yougoslave partant en hâte de leurs maisons. Pour créer un peu d'empathie, peut-être aurait-il suffi de donner la
parole à l'un ou l'autre de ces fugitifs?
James Graham Ballard a cependant bien cerné, et c'est là la principale force de ce roman, l'une des
caractéristiques des classes moyennes qu'il ambitionne de peindre: celles-ci sont foncièrement loyales et dociles, et ont été conditionnées pour cela, en particulier par l'instruction reçue - et
conclut, quelque part, à l'inaptitude de cette classe à la révolution.
Reste que cet ouvrage me laissera un souvenir un peu moins bon que "Super-Cannes", du même auteur, qui se balade dans les coulisses des classes sociales ultra-favorisées qui se gobergent dans le
Sud de la France...
James Graham Ballard, Millenium People, Folio, 2006/n° 4350