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J'aimerais vous faire part aujourd'hui de quelques réflexions que j'ai eues ces derniers temps au
sujet de la technique actuelle du namedropping, utilisée en communication mais aussi dans les oeuvres littéraires. Son principe est assez simple: il s'agit de lâcher des noms de célébrités, de
marques et de trucs de ce genre dans le texte qu'on écrit. On en trouve de beaux exemples dans "Glamorama", de Bret Easton Ellis, dont tout le début est tissé de noms de stars. Du côté français,
un Bertrand Guillot n'est pas en reste dans son roman "Hors Jeu".
Quel peut être le but recherché? Certaines mauvaises langues diront qu'en citant Ferrari, Armani ou Rolex, le romancier espère vaguement obtenir de jolis petits cadeaux de la part de ces
entreprises. Frédéric Dard en avait même fait une note dans un de ses San-Antonio - je cite de mémoire: "La dernière fois que j'ai mentionné Damart, l'entreprise m'a envoyé un paquet de ses
produtis. La prochaine fois, j'essaierai avec Rolls-Royce, pour voir...". Et on pourrait très bien concevoir qu'un auteur mentionnant un restaurant recevra un plat du jour là-bas.
D'une manière plus littéraire, cependant, on constate autre chose. Le phénomène est actuellement fréquent dans les ouvrages qui disent notre époque moderne, et semble être devenu l'apanage d'une
littérature citadine où ça bouge bien. J'ai déjà mentionné Bret Easton Ellis; j'aimerais aussi avancer Lauren Weisberger, qui lâche des noms de marques et de personnalités par wagons entiers dans
"Le Diable s'habille en Prada" - ça commence même dans le titre, et j'espère que vu la pub accomplie, l'auteur s'habille désormais aussi en Prada... Effet sur le lecteur? A peu près le même que
celui qu'il ressent lorsqu'il traverse une galerie marchande où les vitrines et enseignes lumineuses claironnent leur message à tout va. Inconvénient? Celui qui ne connaît pas les marques ou
personnalités mentionnées va se sentir mis à l'écart, ou pourra penser qu'on cherche à lui en imposer.
Il me semble cependant problématique d'utiliser le procédé pour dire une époque révolue, ou qu'on n'a pas connue. Celui qui pratique ainsi va fatalement citer uniquement ce que le lecteur connaît
- ce qu'a du reste fait Didier Daeninckx dans "Itinéraire d'un salaud ordinaire". Du coup, ça fait vite pièce rapportée, voire
carte postale, si on en abuse. Et c'est gênant pour autre chose également: de nos jours, les marques sont gueulées à tous les coins de rue; autrefois, elles savaient se faire discrètes, et leur
apparition intempestive sonne faux.
Autre aspect plaidant en faveur de l'utilisation dans des récits actuels uniquement: l'auteur sait quels sont les marques et les noms illustres aujourd'hui. Il est aussi conscient que demain,
certains seront oubliés. Le procédé lui permet d'ancrer son récit dans son époque, celle qu'il connaît et dans laquelle il vit, avec ses stars et produits d'un jour et ses futures légendes,
indifféremment incorporées au récit. Celui qui pratique cette technique sur des récits anciens risque de tomber dans le piège de ne citer que... les légendes en acte.
Voilà le fruit de mes réflexions... je constate que la technique est à utiliser avec modération, au risque de gonfler son lectorat - même si elle permet de dire notre époque, qui est envahie par
la publicité et la communication.
Photo: ThePictureDesign, Flickr.