Aujourd'hui, j’aimerais vous parler d’un premier roman qu’on
peut trouver facilement en librairie, ce qui n’enlève rien à ses multiples qualités, au contraire. Il s'agit de "Hors jeu", le premier roman de Bertrand Guillot, connu dans la blogosphère sous le
nom de "Second Flore"; il a publié au Dilettante.
La première page du roman a pourtant de quoi surprendre, de quoi lancer un défi, même. Qu’on en juge: l'auteur présente
longuement son personnage et narrateur, en se focalisant sur son nom, Jean-Victor Assalti ("assaut" en italien, JV (j'y vais) comme initiales) et en s'offrant le luxe de se la jouer british
(Charquet devient Sharkey le bien nommé). De tout cela, un lecteur attentif peut se rendre compte lui-même. D'où une alternative, dès le départ.
- soit l'auteur prend ses lecteurs pour des cons;
- soit son roman va nous parler d'étiquettes, d'apparences pas toujours choisies.
Comme j'ai souhaité une réponse à cette question, j'ai poursuivi ma lecture. Très vite, je me suis aperçu que la première hypothèse n'était pas la bonne... "Hors jeu" est le portrait d'un jeune
ambitieux issu du monde de la pub, que les hasards de la vie et de l'histoire contemporaine ont mis au chômage - ce qui le pousse à participer à un jeu télévisé de culture générale. Le début
annonce la couleur: on se retrouve dans un ouvrage qui fait penser à "99 francs" de Beigbeder, mais décliné dans un style moins "maître du monde", moins coruscant, plus familier... donc
d'autant plus crédible - avec en prime une terminologie bourdieusienne détournée pour parler de la bande à JV et des autres: les "dominés" et les "dominants" (devinez qui est qui). Un point
commun relie en outre Guillot et Beigbeder: leurs deux romans mettent en scène un personnage qui parle de son métier. On pourrait dire que Bertrand Guillot offre un Beigbeder sans amphétamines...
mais pas sans vitamines, ni plein d'autres choses tout aussi agréables, les effets secondaires en moins. C'est quand même plus confortable.
Le fait que notre narrateur parle de son métier permet à Bertrand Guillot de jouer de manière rare avec l'interactivité. Il interpelle son lecteur, ce qui n'est pas nouveau (Frédéric Dard l'a
beaucoup fait), et l'invite même à jouer avec lui (c'est une trouvaille). Quelques pages d'annexes proposent au lecteur de se faire poser les questions par un ami afin qu'il comprenne mieux
le stress que l'on peut ressentir lors d'un jeu télévisé. A un moment donné, le narrateur se voit demander six métiers en P. On peut se demander pourquoi il n'a pas répondu "prostituée" (ou
poule, pute, professionnelle, péripatéticienne, pierreuse, soit six d'un coup - ce que le règlement du jeu n'interdit pas), ni "papa" (ou "père", deux d'un coup - t'as tout bon mon gars!).
Cela me paraît renvoyer à des éléments inhérents au personnage de JV.
Celui-ci est en effet un gagneur, mais durant tout le roman, il ne parvient pas à se fixer, à s'arrêter à une femme - pas, en tout cas, avant son oaristys avec Emma. Virginie le quitte
discrètement après une seule nuit, et Romane le lâche en pleine nature et en pleine cuite. Quelque part cependant, le refus de la relation d'une nuit est inscrit dans cet oubli. L'oubli du métier
de "père", en revanche, pourrait démontrer a contrario que JV n'est pas mûr pour se reproduire. Chaque chose en son temps...
Jean-Victor Assalti aime à se mettre en scène - et là, on repense à "Glamorama" de Bret Easton Ellis. Normal dans un roman de notre temps, où chacun a sa tribune (à commencer par le
blogmestre qui est en train de radoter ici). La drague est pour JV une manière de se créer un personnage: il fait de nécessité vertu en camouflant son chômage et en s'improvisant chef d'une
entreprise de consulting. JV n'hésite pas, en outre, à imaginer la musique de fond des épisodes de sa vie (Pink Floyd, p. 182), et s'adonne volontiers au jeu vidéo, vivant par procuration, des
journées entières, la vie d'un coach de club de football. L'épreuve de la lettre d'amour à Emma, où il convient d'être sincère, le ralentit cependant (p. 187), faisant de la conquête
d'Emma un nouveau sport pour JV, une quête de l'essentiel que l'auteur peint avec force détails et beaucoup d'originalité.
Le roman brille aussi par son usage du "namedropping", ou utilisation de noms propres de personnes ou d'objets pour "faire vrai". Le procédé parsème le roman, ce qui est la moindre des choses
quand on parle du monde de la publicité; de plus, les noms lâchés ne font jamais "pièce rapportée", et sont également les témoins de notre temps, à savoir celui de JV. On voit ainsi apparaître,
par exemple, Eddie Barclay (p. 71) ou Paris Hilton (p. 70), voire des slogans - la force tranquille, par exemple (p. 177), qui renvoie immédiatement au publicitaire Jacques Séguéla.
Au final, voici un roman bien ancré dans notre époque, qui a un rythme formidable et va vous faire passer la nuit. Excellent, drôle souvent, cynique parfois... et pas seulement au premier
degré - cela, jusqu'à la fin, puisque la vie est un jeu... et que JV en est le gagnant. Vu le pseudonyme de son auteur "Second Flore", n'hésitez pas à le lire au Café de Flore, à Paris.
C'est ce que j'ai fait...
Bertrand Guillot, Hors Jeu, Paris, Le Dilettante, 2007.