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27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 21:41

hebergeur imageIl n'est pas évident de parler de sa mère, de le faire avec franchise, loin des clichés. Il y a les relations parfois problématiques, et le choc des générations. De tout cela, Sophie Avon parle sans fard dans le récit "Dire adieu", qui vient de paraître aux éditions Mercure de France. Un récit aux allures de portrait de la défunte mère de l'auteure.

 

De manière classique, le premier chapitre de cet ouvrage est l'occasion de poser quelques jalons, de faire les présentations. L'auteure choisit de dresser un portrait pointilliste qui évoque certaines particularités de sa mère, et surtout certains paradoxes - à l'instar de son (non-)alcoolisme, abordé dès la première phrase: "Ma mère n'était pas alcoolique mais avec le temps, avait fini par se convaincre de l'avoir été." Plus loin, le lecteur intrigué découvre que la même personne a l'habitude de recevoir ses invités à poil. En la voyant agir, il fait ainsi la connaissance d'une personnalité originale.

 

Progressivement, cependant, l'auteure quitte ce côté pointilliste pour rappeler des épisodes de vie de plus grande ampleur, tels que le retour d'Algérie en France métropolitaine et l'éclatement familial qui en est résulté. Evoqué dès les premières pages, le sujet de la séparation de la mère d'avec son mari devient récurrent.

 

Les relations mère-fille sont également évoquées, dès le début, comme quelque chose d'à la fois nécessaire et impossible. Les pleurs sont fréquents, jusqu'à constituer un leitmotiv émotionnel tout au long de "Dire adieu". Gage de dynamisme dans le récit, l'auteure n'hésite pas à s'adresser directement à sa mère, suggérant que la mort n'a en aucun cas rompu la relation. Dynamisme également dans le choix des titres de chapitre, qui sont toujours des verbes d'action à l'infinitif.

 

Les pages relatant le décès de la mère s'avèrent poignantes, sans verser dans le pathos; elles font écho au souhait maternel, exprimé plus tôt dans ce récit, de mourir. Mais la narration ne s'arrête pas au décès. L'auteure a en effet la sagesse de dépeindre, dans une écriture concrète, sobre et forte, ce que sa mère laisse à ses proches après son décès. Elle s'arrête aux détails tels que les résidus de son parfum, ou son lit resté défait. Et puis, le chapitre "Manquer", qui conclut le livre, relate la manière de vivre avec l'absence.

 

Dynamique, franc et sincère, "Dire adieu" constitue un très bel hommage à la mère de l'auteure. Alternant détails et fondamentaux, celle-ci présente au lecteur une personnalité qui lui paraît bien réelle, vivante même. Cela, sans oublier son contexte, son entourage, constitutifs de la personnalité de la mère.

 

Sophie Avon, Dire adieu, Paris, Mercure de France, 2014.

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9 avril 2014 3 09 /04 /avril /2014 20:56

hebergeur imageJamais je n'aurais connu "Les Hauts-fonds" si je n'avais passé une journée à dédicacer aux côtés de Sophie Avon, auteure de ce roman. L'occasion était belle de découvrir un écrivain. C'est pourquoi je lui ai demandé de me dédicacer un exemplaire de son troisième roman. Bien m'en a pris: ce fut une belle lecture.

 

C'est l'histoire d'une vie...

"Les Hauts-fonds", c'est l'histoire d'une vie. Celle de la narratrice, Anna Viale, qui collectionne les conquêtes masculines, les recherche même, sans parvenir à se fixer vraiment. Afin de rester fidèle à l'expérience universelle qui veut qu'une existence humaine se déroule de manière continue, l'auteure adopte une narration chronologique classique.

 

Celle-ci fait se succéder quelques découvertes vitales. Judicieusement et naturellement, l'auteure place en début de récit quelques fondamentaux qui fonctionneront comme des constantes tout au long des 152 pages des "Hauts-fonds" - parmi celles-ci, on notera les bouteilles de Pétrus 1961, récurrentes dans un roman par ailleurs joliment arrosé d'alcools divers. Plus largement, les plaisirs de bouche, porteurs d'une certaine sensualité, sont toujours présents. Le personnage de Willy, cuisinier en herbe passionné et obèse, semble montrer la voie en fonçant tête baissée dans ce segment; la narratrice, elle, garde un rapport ambigu avec la nourriture, indissociable d'un fantasme d'empoisonnement.

 

... et d'une lacune...

La vie d'Anna Viale compte une cicatrice, ou du moins une lacune. Poétesse prodige à l'âge de 9 ans, sa veine se tarit au décès de son père: "A douze ans, j'avais tout écrit". Dès lors, tout ce roman peut être vu comme le récit d'une volonté de combler cette lacune. C'est ainsi que l'on peut trouver un sens à la recherche effrénée d'hommes à laquelle s'adonne Anna Viale, une recherche qu'on peut voir comme un appétit, une soif inextinguibles.

 

L'auteure installe dans son récit un personnage masculin de jeune poète, et c'est habile. Il intervient assez vite dans le récit, avant d'être oublié puis de refaire surface en devenant l'élément dominant de la dernière partie des "Hauts-fonds": "Le petit poète". Il est assez aisé de voir en lui l'alter ego qu'Anna n'a pas su trouver; et il est évident de constater que le thème de la poésie domine la première et la dernière partie de ce roman - qui prend dès lors une allure cyclique.

 

... et de quelques vies

Le propos est nourri par le portrait, ébauché mais réussi, de quelques personnages. Autour d'Anna, personnage proche de tout un chacun en ce sens qu'elle porte une cicatrice, gravitent quelques figures. Elles peuvent être pittoresques, comme ces deux vieilles dames qui, habitant le même immeuble, se haïssent sans savoir pourquoi. Elles peuvent être sentimentales, voire sensuelles: les portraits d'hommes sont réussis, approfondis, délicats et originaux - à l'instar d'Antoine, qui vit dans son hôtel.

 

Les vies qui entourent Anna Viale ont aussi connu leur lot de blessures, à l'instar du personnage de Willy, fils de bonne famille qui rêve de devenir cuisinier. Par la bande, le lecteur apprend qu'il occupe un poste de cuisinier français au Brésil; à lui d'imaginer dès lors, en creux, la bataille qu'il a dû mener face à des parents pleins de projets plus ambitieux pour lui.

 

Question poésie enfin, il est permis de considérer que Marco, qui s'est donné ce prénom tout seul, se montre, ce faisant, poète de sa propre existence, menteur mystérieux... ou recréateur assumé. Une certaine Mathilde paraît aussi jouer le jeu trouble de la mythomanie - qui peut être vu comme une manière de reconstruire sa biographie, d'en faire un poème.

 

"Les Hauts-fonds", ce sont ceux de la mémoire, toujours enfouis, mais jamais vraiment lointains, comme ces fonds maritimes que la mer recouvre à peine. Il suffit d'un peu pour qu'ils soient perceptibles. Anna Viale ne redeviendra certes jamais poétesse; mais aux yeux du lecteur, son parcours est une belle recréation poétique - comme si une vie, si ordinaire qu'elle soit, pouvait être un poème. Plus de vingt ans après sa parution, ce roman a encore de quoi faire vibrer celles et ceux qui savent être touchés par des thèmes aussi universels que la vie humaine, ses illusions, ses contrariétés et ses quêtes inassouvies.

 

Sophie Avon, Les Hauts-fonds, Paris, Gallimard, 1993.

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