Ca fait un peu de bruit, alors moi aussi, je ramène mon bon gros barouf bien conservateur de derrière les fagots. Qu'est-ce qui
peut donc bien me transformer en caisse de résonance en ce jour? Facile: la France va envoyer, au concours de l'Eurovision, un chanteur, Sébastien Tellier, qui se produira en langue anglaise.
Déjà que je saute au plafond quand j'apprends que nos chanteurs nationaux suisses veulent proposer une chanson en anglais (genre DJ Bobo l'an dernier, mais il a été recalé dans les grandes
largeurs), je suis un peu à la peine pour la France. Pourquoi? On peut en effet poser que la langue de la chanson est parfaitement libre, et que seule compte sa qualité intrinsèque, et le fait
que le tout ait de la gueule - on pourrait même considérer que notre bonhomme chante en edo, en amharique ou en algonquin, peu importe. Et je ne veux pas me prononcer sur la qualité intrinsèque
de la chanson retenue.
Mais l'anglais n'est plus une langue innocente, à l'heure où ce qu'on appelle la mondialisation devient, de plus en plus, une américanisation de notre planète, qui implique son
anglicisation. A partir de là, pour un chanteur français, choisir l'anglais, c'est pour ainsi dire une option politique. Surtout quand il s'agit de défendre les couleurs d'un pays dans un
concours international... donc de le représenter. Sur 70 millions de Français, de l'agriculteur à l'énarque, combien se sentiront vraiment représentés par un texte écrit dans une langue qui n'est
pas la leur? Que Carla Bruni chante en anglais n'est pas un argument: ce faisant, elle fait son métier et, surtout, n'engage qu'elle-même. Cela, même si c'est l'épouse du plus hongrois des
présidents de la république française.
De l'autre côté, nous avons des mouvements et des personnes si chatouilleuses quant à la défense et à l'illustration du français, qui se battent pour la pérennité de cette langue, parlée par 200
millions de personnes dans le monde quand même! Pourquoi renoncer à cette langue internationale, reconnue comme telle par les Nations Unies, organisation internationale s'il en est?
Mais l'enjeu va plus loin que celui des groupes de défense du français, grands pourfendeurs d'anglicismes, dont le combat me paraît légitime. Je le vois comme suit: le français est la langue de
la France, avant tout. C'est en France que se trouve l'Académie française, organe qui dicte la manière dont on doit parler le français. C'est un pouvoir, mais c'est aussi (comme tout pouvoir!)
une responsabilité. Et voilà qu'un chanteur se met à représenter le pays porte-drapeau de la langue de Molière... en anglais! Tout cela me renvoie à la seule question forte dans toute cette
histoire: si la France elle-même ne défend pas le français en le mettant en valeur partout où c'est possible, qui le fera à sa place? Au risque de balancer une lapalissade, je rappelle que c'est
en France qu'on trouve la plus forte et la plus nombreuse concentration de francophones du monde...
L'Etat français a donc raison de s'émouvoir de cette sélection. Bravo! Qu'il aille plus loin encore, en défendant le français sur des terrains plus significatifs encore que celui du concours
"Eurosong" - pour reprendre sa désignation officielle actuelle... anglaise, comme qui dirait.