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20 juillet 2012 5 20 /07 /juillet /2012 20:55

hebergeur imageRoman, lu par Bouquineuse, Céline, Enigma, Irrégulière, Madimado, Mango, Mélusine, Nath. Conseillé par la Confrérie des 10001 pages.

Lu dans le cadre du défi Premier Roman.

Merci aux éditions Persée et à Mme Thévenin-Lemoine pour l'envoi!

 

Long, long, long! Et pourtant, que de belles pages, parfois noyées dans un propos qui s'écoute parler! Voilà, pour l'essentiel, les impressions que me laisse "A la santé d'Henry Miller", premier roman d'Olivier Bernabé. Mitigé? Je l'assume, même si je reconnais que ce roman est bourré de qualités, extrêmement riche par les sujets qu'il aborde.

 

Des personnages fouillés en profondeur

Il faut reconnaître à l'auteur une qualité majeure: il sait construire ses personnages, principaux et secondaires. Cela commence par Balthazar Saint-Cène, narrateur du roman, extrêmement fouillé, dont on devine d'emblée que c'est un parfait misanthrope - qui fonctionne comme un repoussoir avec lequel le lecteur sera bien obligé de s'entendre. Pour le peindre, il suffit à l'auteur de le laisser parler, ce qu'il fera sur 319 pages - une faconde certaine! En donnant la parole à Saint-Cène, l'auteur s'ouvre un vaste espace qui oscille entre le lyrisme (surprenant chez un personnage qui n'a pas l'air d'aimer le monde, et qui va parfois jusqu'à l'outrance métaphorique: "Le soleil condescendait enfin à déchoir de son piédestal, se poser sur l'horizon, comme une boule de chewing-gum orange fluo, ..." (p. 224)), la confession (très détaillée, quitte à créer, dans les premiers chapitres, un climat sensuel qui va s'effacer au fil des pages) et le nihilisme le plus désabusé.

 

Autour de lui, gravite toute une série de personnages - une épouse un rien effacée, un petit frère dénommé Thomas qu'on va découvrir fragile alors qu'il fanfaronne - tout comme le personnage type du meilleur ami, tombeur notoire qui cache une blessure profonde. Ou les gens de la chambre de bonne - l'enfant Victor, étonnamment rebaptisé Arthur quelques dizaines de pages plus loin... Ou le père, figure écrasante... cela, sans oublier les femmes qui entourent le narrateur, un peu trop souvent considérées comme des cibles sexuelles - cela tourne un peu au procédé, entre Agathe qui est toujours partante pour un petit coup, Chiquita la patronne de bar consolatrice, Jade, dans les bras de qui il partage une nuit de consolation réciproque, etc.

 

Deux figures féminines se détachent cependant: Marie, épouse du narrateur, qui incarne la routine et la sécurité. Et Alma, qui surgit dans l'existence du narrateur en se présentant comme son ange gardien...

 

Une idée étrange

Etrange idée que celle de l'ange gardien. Pendant d'une bonne conscience nommée Henry Miller (qui fait un peu prétexte, et s'efface du reste en fin de récit), elle a un immense atout pour l'auteur: elle permet de porter la narration sur le ton fantastique pendant les deux tiers du roman, le lecteur se demandant en permanence si cette figure à la beauté maladive (de manière classique, elle a le teint super-livide et des cheveux noirs...) est un être humain ou une goule. Mais dès lors que le mystère est levé, le lecteur va se demander au nom de quoi elle s'est présentée comme un ange gardien et a joué aussi longtemps un rôle de femme à mystères: pourquoi, si ce n'est juste pour épater un lecteur qui n'en demande pas tant, ne lâche-t-elle pas le morceau tout de suite (signifiant ainsi la fin de l'histoire, avant même son début)?

 

Dès lors que l'ambivalence fantastique est brisée, l'auteur va changer de cheval pour finir son récit - et développer le thème de la crise de la quarantaine, qui frappe le narrateur de plein fouet. Il avait préparé le terrain en éjectant Balthazar du foyer conjugal; le dernier tiers du roman est consacré à la transformation radicale du narrateur. Une transformation qui se ressent dans le style d'écriture, qui devient peu à peu plus onctueux, porteur d'un message où le nihilisme violent des débuts cède la place à un certain optimisme - ce qui est habile de la part de l'auteur. Cet optimisme est indispensable pour donner corps au virage que prend le récit (et qui donne un sens insoupçonné à la très belle photo de couverture), toujours sur le thème de la maladie.

 

Réconciliations et esquive

C'est en effet la maladie qui va rapprocher radicalement Alma et Balthazar, d'une manière originale que l'auteur amène habilement quand même, en cachant à propos ce qui doit l'être. Les cent dernières pages du roman sont donc celles des soins du corps, avec les inévitables descriptions d'hôpital et d'accortes infirmières (les personnages masculins de ce roman étant ce qu'ils sont...). Mais l'auteur en profite aussi - ce sont les soins de l'âme, parallèles à ceux du corps - pour dépeindre toute une série de réconciliations qui sont autant de masques qui tombent. Il est regrettable, toutefois, que l'auteur ne soit pas allé jusqu'au bout de son propos: certes, il suggère que le narrateur va rejoindre son épouse... mais esquive la narration de cette suprême confrontation, enjeu du roman, le plus attendu de la part du lecteur. Le narrateur va-t-il retrouver sa femme et sa routine, ou s'inventer une nouvelle voie? Va-t-il se faire jeter? On ne le saura pas avec certitude, la porte reste ouverte. Tout au plus y a-t-il quelques indices qui peuvent lui souffler dans l'oreillette que oui, oui, Marie est au courant - grâce à la famille et à l'entourage de Balthazar, qui fait décidément bien les choses.

 

Du fantastique, du sentimental et des amours impossibles, la description du monde du commerce de l'art, la peinture d'une crise bien comprise puisqu'elle débouche vers de nouvelles possibilités après un passage difficile: l'auteur sait faire plein de choses, et aime le prouver au lecteur, quitte à se montrer disert à travers son personnage principal, et quitte à se disperser. L'ensemble souffre de quelques faiblesses, il a plus d'un élément qui aurait mérité d'être plus abouti; mais enfin, les personnages mis en scène, solidement détaillés et bien campés, donnent à cette lecture un côté attachant malgré tout, jusque dans ses excès et son côté bavard.

 

Olivier Bernabé, A la santé d'Henry Miller, Paris, Ed. Persée, 2011.

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commentaires

G
Love is the favorite genres of most readers. However, in this book, Olivier Bernabé has dealt with some other levels of affection! You have mentioned it as impossible, sentimental and I think it is hard to find the right word for it!
B
En effet, j'aime beaucoup quand tu dis "il aurait gagné à avoir quelques pages en moins", c'est un bel euphémisme ! Je salue ta bienveillance, elle permet d'adoucir mon propos sur ce texte, quelque<br /> peu acerbe, je le reconnais...
D
<br /> <br /> Il y a aussi du bon dans ce récit; mais comme le disait une éditrice avec laquelle j'ai eu des contacts il y a quelques années dans le cadre de concours de nouvelles, l'auteur eût gagné à le<br /> faire maigrir... Cela dit, je me réjouis de découvrir d'autres écrits de M. Bernabé.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Je suis assez d'accord avec vous. Ce livre est bourré de qualités... et de défauts ! Une lecture qui m'a insupportée par moments (les incessantes références à Henry Miller m'ont exaspérée, mais<br /> bon, c'est un peu le sujet en même temps...) mais il y a toutefois quelques très belles pages. Votre critique détaillée résume parfaitement bien la situation, je ne l'aurais pas mieux dit !
D
<br /> <br /> Merci pour votre visite et pour le compliment! :-) Il est vrai qu'il aurait gagné à avoir quelques pages en moins, mais il en est de fort belles aussi.<br /> Bon dimanche à vous!<br /> <br /> <br /> <br />
A
Merci pour cet article très charpenté !
D
<br /> <br /> Je t'en prie! Un de plus pour ton défi...<br /> <br /> <br /> <br />

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