En choisissant l'époque (1950-1962) et en optant résolument pour un point de vue féminin, Michèle Perret, auteure du recueil de nouvelles "D'ocre et de cendres", s'assure un point de vue favorisé sur un certain épisode de l'histoire de France. Les récits proposés relatent certes des faits âgés de cinquante ans au moins, ils savent toucher aujourd'hui encore, parce que les situations conflictuelles font des victimes dont l'histoire conserve toute son actualité, même quelques lustres plus tard.
Treize nouvelles en lien avec la destinée féminine et avec l'Algérie: tel est donc le programme de "D'ocre et de cendre". L'auteur offre son regard sur des destinées singulières, en mettant l'accent sur des aspects féminins. Quand on est femme, il n'est pas évident d'être l'objet de mariages plus ou moins arrangés; il est bel et bien question de cela dans ce recueil de nouvelles. A la veille de la décolonisation, l'auteur parvient ici à dépeindre une société qui a ses règles.pour ainsi dire figées: on se marie avec telle ou telle personne, et pas avec telle autre, en fonction de son rang social ou de son activité professionnelle. Et l'on croit sur parole des bonimeuteurs ou des soldats qui ne sont que de passage - quitte à attendre le prince charmant trop longtemps...
L'auteur laisse entendre par moments au lecteur superficiel que son univers est une bulle sans profondeur. Mais pour éviter cet ecueil, elle rappelle que l'Algérie française n'est pas que française, mais qu'elle constitue un creuset où se rencontrent (ou pas) Espagnols, Juifs et autres - sans oublier, bien sûr, les Français et les Arabes, chacun à leur place, les Arabes étant souvent assignés, dans les nouvelles de ce recueil, à des activités de nettoyage des vêtements. Une activité dont il est possible de faire son miel... que ce soit en tant que personnage (pour faire fortune) ou en qualité d'auteur, désireux de dépeindre un récit original.
Les premières nouvelles donnent au lecteur l'impression de découvrir une société où, finalement, chacun a sa place - Français, Algérien ou toute personne issue d'ailleurs. Dès lors, l'ambiance est celle que peut avoir, factuelle, la relation de destinées de femmes rêvant à l'amour ou à ce que celui-ci peut offrir en termes d'ascension sociale. Et progressivement, dans une démarche chronologique sans en avoir l'air, il est question des massacres parisiens, ou des pieds-noirs dont l'intégration n'a rien d'évident (le mot "pied-noir" lui-même n'intervient qu'en page 110 sur 110, à la toute fin du recueil, ce qui n'est pas innocent) - à ce moment de la lecture, on songe à l'air "Der Leiermann", qui boucle le cycle de Lieder "Die Winterreise" de Franz Schubert... ne serait-ce qu'en raison du personnage du mendiant incompris, mais riche d'un passé intéressant que personne ne veut connaître, mis en scène ici.
Et alors que le début du livre revêt l'aspect de choses vues, le ton adopte progressivement celui de la confession, en usant entre autres de la première personne du singulier - quitte à brouiller un code implicite entre le lecteur et l'auteur. est-ce que le "je" de la narration, particulièrement présent en fin de récit, correspond à l'auteur? Il est possible de le croire, tant les derniers récits de "D'ocre et de cendre" sont précisément empreints de personnalité.
Sous les dehors discrets d'une langue littéraire standard, c'est donc une certaine société que l'auteur dépeint - une société mêlée disparue à jamais sous cette forme, ce qui implique une certaine nostalgie dans la narration. Reste que "D'ocre et de cendres" conserve ce je-ne-sais-quoi qui confère à tout texte parlant de cette époque et de ce contexte un goût particulier, difficile à imiter, fait d'ennui et de liaisons, mais aussi de règles sociales avec lesquelles il n'est pas toujours évident de composer... qu'on vive à Paris ou à Oran.
Michèle Perret, D'ocre et de cendres, Paris, L'Harmattan, 2012.
Merci à Agnès Chalnot et aux éditions L'Harmattan pour l'envoi.