Avertissement: ce billet parlera d'un roman, mais pas de Chloé. Cela signifie deux choses: 1. la sulfureuse Chloé, personnage de pub virtuelle pour ledit roman, n'y
apparaît pas du tout. 2. il risque d'y avoir des spoilers...
Qui sont "Les enfants du néant", qu'on découvre en titre du dernier roman de l'auteur
français Olivier Descosse? Titre accrocheur pour un récit qui va immerger son lecteur dans des profondeurs quand même assez incroyables - dans le genre "polar qui fait froid dans le dos", il
faut reconnaître qu'Olivier Descosse, peintre réaliste des cimetières, des squats hostiles et des immeubles glauques, fait fort.
Cela dit, le titre est trompeur: ce n'est pas d'enfants qu'il s'agit, mais bien d'ados -
qui n'aiment pas beaucoup être considérés comme des enfants... reste que face à ce qui les attend dans ce récit, ils n'ont guère plus de ressources qu'un gosse sans défense. Rappel succinct
de l'histoire: François Marchand, psy reconverti en policier, enquête sur une série d'homicides perpétrés sur des adolescents modèles, ou en tout cas sans problème... apparemment.
Considérons que la structure romanesque de ce livre est d'une solidité à toute épreuve. A chaque partie, subdivisée en chapitres courts et haletants, correspond le nom d'un personnage
qui donne son climat au récit, l'espace d'une centaine de pages. Dans les trois premiers cas, il s'agit des victimes d'homicides particulièrement cruels, commis un peu partout en France
(Grenoble, Avignon, Bagnolet). Les cinéphiles seront interpellés! Très explicite sur ces trois homicides, l'auteur n'évoque le quatrième, celui de Limoges, que par allusions - cassant
ainsi astucieusement une structure narrative qui aurait paru trop régulière au lectorat.
L'horreur des crimes constitue un écho à la face obscure des victimes - de braves jeunes apparemment sans histoire: un catholique fervent, une coiffeuse émancipée, une jeunette apparemment en
pleine forme. Les apparences sont toujours trompeuses: le catholique est attiré par les cultes sataniques, la coiffeuse se prostitue et drague sur Meetic, la jeunette cache bien son anorexie. Et
hop: l'auteur balance ainsi des thèmes qu'on associe de manière assez convenue à l'adolescence. Cliché? On serait tenté de le dire. Mais parfois, mieux vaut associer un cliché à un personnage que
ne rien en faire. Et à ce jeu, Olivier Descosse est habile, donnant une épaisseur, même minimale, à chacun de ses personnages, même les plus fugaces. Le cafetier de Châteaurenard, qui apparaît au
chapitre 10, est exemplaire, à ce titre: il ne réapparaîtra pas, mais le temps de le saluer, le lecteur devine qu'il aime la chair fraîche... et peut même imaginer son regard.
Cette manière de procéder permet de rapprocher tout ce petit monde du lecteur, et c'est fort efficace pour l'accrocher. Autre ficelle: le jeu des décors, et en particulier des localités. Certes,
je n'ai pas la même image de Grenoble qu'Olivier Descosse, qui la peint en ville prisonnière de sa pollution; mais sur la base des dires de l'auteur, j'imagine qu'Avignon ou
Châteaurenard sont de jolies cités. Les lieux décrits dans le 93, en revanche, n'inspirent pas confiance - comme on peut s'y attendre.
Et François Marchand,alors? C'est le meneur de l'histoire. Il exerce la fonction de profileur, un métier à la mode dans les polars d'aujourd'hui. Il est très intelligent, puisqu'il est psy... et
pourtant, c'est là qu'il sera piégé en fin de récit. Le fait de lui donner un solide bagage de médecin des esprits permet à l'auteur de camper un personnage de flic atypique, capable d'empathie,
profondément original. Question, cependant: un tel homme peut-il être aussi désemparé qu'il l'est face à Internet? Heureusement, sa coéquipière Julia se débrouille - ce qui permet à l'auteur
d'exposer le fonctionnement du site de rencontres et de masques Meetic par le biais de dialogues, ce qui atténue habilement le côté didactique de la démonstration.
Homme défait, François Marchand est également un personnage dont la destinée repose entre les mains des femmes, présentées comme puissantes dans ce récit. Puissantes? Certes, l'épouse de Marchand
est trucidée avant même que l'histoire ne commence; mais Charlotte, sa fille, est parvenue à se reconstruire d'une manière incroyable, et à manipuler son monde en coulisse. "Les garçons sont
stupides", affirme-t-elle (p. 432). Egalement cabossée de la vie, Julia est parvenue à se construire malgré tout, et c'est bien elle qui prend l'initiative dans l'idylle qui ne manque pas de
se nouer avec François. Face à elles, et aussi face à sa propre mère qui protège sa petite-fille contre lui, François Marchand fait figure de personnage faible derrière une forteresse qui
n'attend qu'un coup de boutoir pour voler en éclats. La faille? Le poids de la responsabilité de la mort de sa femme...
... et tout au long du livre, le lecteur se dit: "Bordel, mais n'y a-t-il eu personne pour lui dire que ce n'est pas de sa faute? Même pas un confesseur en goguette...?" Olivier Descosse prévoit
cette question... et y répond en page 435, avant-dernière du livre, par le biais de Julia: "Tu n'y es pour rien". Idylle il y a entre Julia et François; on imagine donc le poids de cette
phrase - un poids qui reflète le rôle de "deus ex machina" qu'elle endosse dans cette galère qui mêle intrigue policière, films d'horreur, débauche de violence, jeux de masques et de
faux-semblants, à un point exacerbé. Le tout, sur des bases solides et des valeurs sûres du genre du thriller.
Olivier Descosse, Les enfants du néant, Michel Lafon, 2009.
Le site de l'éditeur: http://www.michel-lafon.fr/
Le site de l'écrivain: http://www.olivier-descosse.com/.