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16 juin 2009 2 16 /06 /juin /2009 21:46

Avertissement: ce billet parlera d'un roman, mais pas de Chloé. Cela signifie deux choses: 1. la sulfureuse Chloé, personnage de pub virtuelle pour ledit roman, n'y apparaît pas du tout. 2. il risque d'y avoir des spoilers...

 


Qui sont "Les enfants du néant", qu'on découvre en titre du dernier roman de l'auteur français Olivier Descosse? Titre accrocheur pour un récit qui va immerger son lecteur dans des profondeurs quand même assez incroyables - dans le genre "polar qui fait froid dans le dos", il faut reconnaître qu'Olivier Descosse, peintre réaliste des cimetières, des squats hostiles et des immeubles glauques, fait fort.

 

Cela dit, le titre est trompeur: ce n'est pas d'enfants qu'il s'agit, mais bien d'ados - qui n'aiment pas beaucoup être considérés comme des enfants... reste que face à ce qui les attend dans ce récit, ils n'ont guère plus de ressources qu'un gosse sans défense. Rappel succinct de l'histoire: François Marchand, psy reconverti en policier, enquête sur une série d'homicides perpétrés sur des adolescents modèles, ou en tout cas sans problème... apparemment.

Considérons que la structure romanesque de ce livre est d'une solidité à toute épreuve. A chaque partie, subdivisée en chapitres courts et haletants, correspond le nom d'un personnage qui donne son climat au récit, l'espace d'une centaine de pages. Dans les trois premiers cas, il s'agit des victimes d'homicides particulièrement cruels, commis un peu partout en France (Grenoble, Avignon, Bagnolet). Les cinéphiles seront interpellés! Très explicite sur ces trois homicides, l'auteur n'évoque le quatrième, celui de Limoges, que par allusions - cassant ainsi astucieusement une structure narrative qui aurait paru trop régulière au lectorat.

L'horreur des crimes constitue un écho à la face obscure des victimes - de braves jeunes apparemment sans histoire: un catholique fervent, une coiffeuse émancipée, une jeunette apparemment en pleine forme. Les apparences sont toujours trompeuses: le catholique est attiré par les cultes sataniques, la coiffeuse se prostitue et drague sur Meetic, la jeunette cache bien son anorexie. Et hop: l'auteur balance ainsi des thèmes qu'on associe de manière assez convenue à l'adolescence. Cliché? On serait tenté de le dire. Mais parfois, mieux vaut associer un cliché à un personnage que ne rien en faire. Et à ce jeu, Olivier Descosse est habile, donnant une épaisseur, même minimale, à chacun de ses personnages, même les plus fugaces. Le cafetier de Châteaurenard, qui apparaît au chapitre 10, est exemplaire, à ce titre: il ne réapparaîtra pas, mais le temps de le saluer, le lecteur devine qu'il aime la chair fraîche... et peut même imaginer son regard.

Cette manière de procéder permet de rapprocher tout ce petit monde du lecteur, et c'est fort efficace pour l'accrocher. Autre ficelle: le jeu des décors, et en particulier des localités. Certes, je n'ai pas la même image de Grenoble qu'Olivier Descosse, qui la peint en ville prisonnière de sa pollution; mais sur la base des dires de l'auteur, j'imagine qu'Avignon ou Châteaurenard sont de jolies cités. Les lieux décrits dans le 93, en revanche, n'inspirent pas confiance - comme on peut s'y attendre.

Et François Marchand,alors? C'est le meneur de l'histoire. Il exerce la fonction de profileur, un métier à la mode dans les polars d'aujourd'hui. Il est très intelligent, puisqu'il est psy... et pourtant, c'est là qu'il sera piégé en fin de récit. Le fait de lui donner un solide bagage de médecin des esprits permet à l'auteur de camper un personnage de flic atypique, capable d'empathie, profondément original. Question, cependant: un tel homme peut-il être aussi désemparé qu'il l'est face à Internet? Heureusement, sa coéquipière Julia se débrouille - ce qui permet à l'auteur d'exposer le fonctionnement du site de rencontres et de masques Meetic par le biais de dialogues, ce qui atténue habilement le côté didactique de la démonstration.

Homme défait, François Marchand est également un personnage dont la destinée repose entre les mains des femmes, présentées comme puissantes dans ce récit. Puissantes? Certes, l'épouse de Marchand est trucidée avant même que l'histoire ne commence; mais Charlotte, sa fille, est parvenue à se reconstruire d'une manière incroyable, et à manipuler son monde en coulisse. "Les garçons sont stupides", affirme-t-elle (p. 432). Egalement cabossée de la vie, Julia est parvenue à se construire malgré tout, et c'est bien elle qui prend l'initiative dans l'idylle qui ne manque pas de se nouer avec François. Face à elles, et aussi face à sa propre mère qui protège sa petite-fille contre lui, François Marchand fait figure de personnage faible derrière une forteresse qui n'attend qu'un coup de boutoir pour voler en éclats. La faille? Le poids de la responsabilité de la mort de sa femme...

... et tout au long du livre, le lecteur se dit: "Bordel, mais n'y a-t-il eu personne pour lui dire que ce n'est pas de sa faute? Même pas un confesseur en goguette...?" Olivier Descosse prévoit cette question... et y répond en page 435, avant-dernière du livre, par le biais de Julia: "Tu n'y es pour rien". Idylle il y a entre Julia et François; on imagine donc le poids de cette phrase - un poids qui reflète le rôle de "deus ex machina" qu'elle endosse dans cette galère qui mêle intrigue policière, films d'horreur, débauche de violence, jeux de masques et de faux-semblants, à un point exacerbé. Le tout, sur des bases solides et des valeurs sûres du genre du thriller.  

Olivier Descosse, Les enfants du néant, Michel Lafon, 2009.

Le site de l'éditeur: http://www.michel-lafon.fr/
Le site de l'écrivain: http://www.olivier-descosse.com/.

 

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commentaires

R
J'attends toujours ce livre, j'ai sans doute dû mal donner mon adresse. En même temps, avec tout ce que j'ai à lire en attente, pas de regret même si votre billet me donne envie de le lire ... Cornélien tout ça quand même ;)
D
<br /> <br /> Un oubli de leur part? En tout cas, c'est un bon livre pour les vacances... Merci de votre message!<br /> <br /> <br /> <br />
T
Je suis en train de le lire, mon billet sera publié prochainement.<br /> Bon week-end
D
<br /> Bonne lecture! Et je me réjouis de vous lire. Bon week-end à vous, et merci de votre visite.<br /> <br /> <br />
G
Pour moi, très bonne intrigue mais personnages un peu caricaturaux !
D
<br /> ... mais au moins dotés d'une épaisseur. Mais je me suis fait plaisir avec ce livre. A bientôt, et merci de votre passage!<br /> <br /> <br />
E
Excellent billet ! Par contre, je n'ai aucune intention de lire le livre ;-)
D
<br /> Merci du compliment! Après, à toi de voir, en effet; mais c'est un bon livre pour les vacances...<br /> <br /> <br />
L
Je ne me lasserai jamais de lire ta prose, tant c'est agréable à lire et bien tourné quel que soit le thème abordé !<br /> <br /> Bon, je vois que ce polar t'a plu... malgré le bins qu'il y a eu tout autour ! Il sera dans ma valise cet été pour ma semaine bretonne de liberté (pas de mari, pas d'enfant, la mer à mes pieds, les chemins de rando pour moi toute seule, les bons petits plats de ma tante chérie qui m'accueille (me recueille !) + un bon bouquin = LE BONHEUR !!!
D
<br /> <br /> Gosh! Voilà que mes chevilles se mettent à gonfler... <br /> J'avoue que je n'ai pas boudé mon plaisir, et que je n'ai guère pensé à la campagne de buzz qui a déferlé sur le Web pendant ma lecture - j'ai même intentionnellement essayé d'en faire<br /> abstraction. Résultat? Je pense que ce volume fort accrocheur sera parfait pour tes heures de "mer à tes pieds"!<br /> <br /> <br /> <br />

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